La combinaison de plusieurs évolutions récentes présente quelques aspects effrayants pour l'investisseur.

Depuis la COP21 à Paris, les journalistes ont publié plusieurs articles sur le thème de l’ESG et notre site [précédemment investir-funds.ch] n’a certainement pas été le dernier à les relayer. D’autres publications ont régulièrement porté sur les produits financiers dits passifs, les ETF. Enfin, le développement des robots inquiète et interpelle. Il nous semble opportun de faire une petite synthèse de ces différents éléments et l’on verra ainsi que la réalité a probablement déjà dépassé la fiction.

 

Premier chapitre. L’ESG est une approche de l’investissement appelée à se développer.

Les arguments sont connus, à savoir que les jeunes (les fameux millennials) et les femmes représenteront, dans les années à venir, une part de plus en plus importante des épargnants, donc des investisseurs. Ces 2 groupes auraient comme caractéristique de porter un regard différent sur leurs investissements et désireraient, entre autres, que ceux-ci répondent à certains critères de responsabilité sociale, éthique, écologique, etc.

Il ne s’agit pas ici d’une mode passagère mais d’une tendance démographique, une lame de fond qui va croitre en importance au cours des années à venir. Des acteurs importants du marché mainstream, tel Morningstar, ne s’y sont pas trompés en intégrant des critères d’évaluation ESG, facilement compréhensibles, à leur offre. L’ESG ne sera donc plus le seul apanage de quelques cabinets de conseil spécialisés gérant des mandats pour des fonds de pension ou des fondations.

 

Deuxième chapitre. Le succès croissant des ETF.

Une première génération de ces produits permettait de répliquer les indices boursiers les plus courants à moindre coût. Les nouvelles générations intègrent des caractéristiques smart beta de plus en plus complexes, la seule règle étant que celles-ci puissent être exprimées de manière à respecter une approche d’investissement passive, ce qui in fine veut dire sans nécessiter d’intervention humaine ultérieure. De tels produits permettent au promoteur de l’ETF de relever son niveau de rémunération tout en maintenant des frais inférieurs à ceux des fonds gérés activement. Notre site s’est régulièrement fait l’écho du succès croissant des ETF auprès des investisseurs.

 

Chapitre troisième. L’émergence des robo advisors.

A priori, ces robots seront plutôt en charge des petits épargnants, ceux qui nécessitent trop de temps par rapport à ce que leurs maigres avoirs pourraient générer comme revenus pour la banque. Des clients livrés à eux-mêmes, ne bénéficiant jusqu’à présent que d’un conseil minimal et dont les performances étaient en tous cas largement amputées par des frais de gestion et de transaction trop élevés du fait des faibles montants en jeu. Cette solution – algorithmique plus que robotique – offrira un meilleur service à un coût plus bas à tout un segment de clientèle relativement mal servi auparavant.

 

Quel serait alors l’ « effet cocktail » découlant du regroupement des 3 éléments évoqués ?

Commençons par relier les différents composants de la trame, à savoir des robo advisors qui, pour aller au bout de la logique de réduction des coûts, sont amenés à utiliser des ETF. A côté de cela, des jeunes investisseurs qui se méfient des banquiers traditionnels mais qui ont toute confiance dans la technologie et sont donc les clients tout désignés des robo advisors pour gérer leur épargne naissante. Reste à leur fournir des produits labellisés ESG répondant à leurs attentes et l’histoire finira bien.

Nous avons constaté que les Sustainability Ratings de Morningstar étaient dorénavant également disponibles pour les ETF. Une offre de produits labellisés ESG est donc déjà à la disposition des robo advisors mais ce serait sans compter sur l’ingéniosité des personnes travaillant au développement de nouveaux produits. Dernier exemple en date, un ETF SPDR SSGA Gender Diversity lancé en mars aux Etats-Unis par State Street Global Advisors, un des leaders du marché.

Dans une approche ESG qui fait sens au niveau d’un acteur institutionnel, la caisse de pension des enseignants de Californie (CalSTRS) a demandé qu’une partie de ses avoirs soit gérée selon un mandat dont le principe porte sur la présence de femmes aux échelons élevés de la hiérarchie des 1000 plus importantes sociétés américaines. Au niveau d’une caisse de pension, il est tout à fait compréhensible d’inclure de tels critères dans un de ses mandats de gestion. Loin de nous toute idée misogyne mais il est tout de même assez surprenant – du point de vue de l’analyse financière – qu’un ETF « grand public » au sein duquel les titres sont pondérés par le ratio hommes/femmes des conseils d’administration ait été lancé (et financé à hauteur de USD 250 millions afin d’assurer sa pérennité).

D’autres offres « innovantes » sont déjà apparues à travers des produits structurés mais rien n’empêcherait que ces idées soient répliquées par des ETF. Par exemple, pondérer les sociétés d’après leur nombre de followers ou de likes sur Facebook (sans surprise on y retrouverait Coca Cola, MacDo, Nike, Apple ou Starbucks). Ensuite, tout le monde sait que l’imagination humaine ne connait pas de limites et nous pourrions concevoir de nouveaux filtres sélectionnant par exemple les sociétés employant le plus de personnes de plus de 50 ans, ou celles dont le plus d’employés se déplacent à vélo, etc… bref, des produits faisant appel à l’émotionnel plus qu’à une approche rationnelle de l’investissement.

Les lecteurs se souviennent probablement du livre de George Orwell, 1984, et du personnage Big Brother. Celui-ci se cacherait aujourd’hui sous le nom de Big Data, des algorithmes qui cherchent, coupent et recoupent chaque bribe d’information distillée sur le net et qui profilent de manière de plus en plus précise les attentes de chacun. Des profilages qui pourront être utilisés par les robo advisors mais aussi par les créateurs d’ETF et la boucle sera bouclée. Des humains analysés par des machines, conseillés par des machines et dont l’épargne sera investie dans des produits créés par des machines.

L’effet cocktail évoqué plus haut se retrouve donc au cœur de ces différents mélanges et quelques investisseurs avertis en constatent déjà certains maux. Par exemple, des analystes commencent à s’inquiéter du comportement de certains ETF smart beta durant des phases de marché où ils sous-performent fortement sans que l’explication en soit évidente. D’autres analystes attirent également l’attention sur les déséquilibres sectoriels au sein de certains ETF répondant à des critères de sélection qui ne sont pas purement financiers.

Certes, nous sommes encore loin du scénario catastrophe que le titre de cet article pouvait laisser présager, néanmoins la route que nous montrent les derniers développements semble receler quelques pièges que tous les investisseurs ne seront pas en mesure d’éviter. D’autant plus qu’une partie de leurs investissements ne reposeront pas sur des bases financières mais sur des choix liés à des critères plus émotionnels et subjectifs.

Pour conclure, quelques chiffres tirés d’une enquête de 2016 du CFA Institute qui indiquent que 46% des répondants craignent des défauts dans les algorithmes de conseil automatisé. Par ailleurs, 37% des répondants estiment que les robo advisors représentent la technologie qui aura l’impact le plus fort sur l’industrie des services financiers d’ici 1 an, et 40% estiment que ce sera le cas d’ici cinq ans.

Dorénavant, Big Brother fait beaucoup plus que simplement regarder… Happy end ? L’avenir nous l’apprendra. Rapidement.

 


Quelques sources d’inspiration

Une application du big data : Dataminr

L’ETF SPDR SSGA Gender Diversity

FinTech Survey Report 2016 du CFA Institute

Les sociétés ayant le plus de followers sur Facebook

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