Le nouveau président des Etats-Unis divise fortement stratèges et analystes financiers. Un nouvel exemple de ce type de divergences a été mis en avant durant la conférence d’investissement organisée hier par la société de gestion Notz Stucki à Genève.

Le ciel bleu

Le premier point de vue a été présenté par Jeffrey Saut, Chief Investment Strategist auprès de la société Raymond James. Positif sur le marché américain depuis 2009, le stratège ne compte pas modifier son opinion de si tôt et a cité nombre d’éléments soutenant sa vision très optimiste. Pour commencer, l’économie américaine ne présente aucun signe présageant d’une prochaine récession. Les indicateurs de risque sont actuellement proches de leur moyenne historique, le marché de l’emploi affiche des chiffres positifs et le PIB américain s’améliore et pourrait atteindre 3% de croissance à la fin de cette année.

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Jeffrey Saut à Genève le 10 janvier

La hausse des taux par la Fed pourrait-elle enrayer cette belle mécanique ? Pas le moins du monde puisque historiquement le marché a en moyenne connu de belles hausses dans les mois qui ont suivi les remontées de taux. La bonne question est donc de savoir à quelle vitesse interviendront ces hausses de taux si bénéfiques.

Le marché américain restera d’après M. Saut dans une phase haussière alimentée par une amélioration des résultats des entreprises. Résultats qui ont toujours bénéficié de la baisse des taxes alors que diminuer la fiscalité est justement un des piliers du programme du nouveau président. Le marché des actions ne devrait donc pas manquer de stimuli pour monter et part de loin si l’on considère que le rendement des actions sur 10 ans a récemment atteint un plus bas qui n’avait été vu que lors de la crise des années ‘30. D’autant plus que du point de vue des valorisations de long terme – indicateur beaucoup plus pertinent que le niveau de prix du marché – la bourse américaine serait actuellement à l’aube d’une nouvelle phase de hausse séculaire et ne montre aucun signe d’exubérance.

Ceux qui pensent que la mécanique des marchés serait « cassée », prenant pour preuve les différents flash crash de ces dernières années, s’inquiètent pour rien. Ces événements sont des aberrations dont les causes sont connues. Le célèbre buy the dip est plus que jamais d’actualité et offre d’excellents points d’entrée, que ce soit suite au stress du Brexit ou à la surprise émanant de l’élection de Donald Trump. Et pour ôter les dernières ombre du tableau, le stratège indique que la bulle immobilière ainsi que le levier excessif au niveau des bilans des entreprises (y compris les banques) appartiennent dorénavant au passé. Quant au marché chinois, il ne devrait aucunement s’effondrer, le pays ayant réussi à développer une forte demande domestique.

L’augmentation de la volatilité dans les marchés est par ailleurs une bonne chose pour les gérants actifs qui ont eu du mal à battre les indices depuis 3 ans. Dans un tel contexte, Jeffrey Saut délaisserait les titres à faible volatilité et favoriserait les sociétés à la fiscalité élevée qui seront les grandes bénéficiaires des baisses de taxation. Ses thématiques d’investissement préférées sont actuellement les millennials, l’efficacité énergétique, la gestion des déchets, la cyber sécurité, les technologies disruptives (type Airbnb ou Uber) et le développement de l’e-commerce.

 

Les nuages

La seconde intervention a été faite par Louis-Vincent Gave, CEO de GaveKal. Moins exubérant que le premier orateur, il adopte une vision plus large permettant de nuancer quelque peu la hausse inconditionnelle du marché américain attendue par Jeffrey Saut.

Premièrement, des dépenses en infrastructures avaient été annoncées bien avant l’arrivée de Donald Trump et ne devraient pas être vues comme une surprise par les investisseurs. Le déficit du gouvernement américain était déjà attendu à la hausse et Trump ne fait que confirmer ceci, sans oublier que de tels projets prennent de nombreuses années à mettre en place et que leurs retombées n’apparaissent qu’après un temps assez long.

La vraie question porte plutôt sur la menace que font peser les déclarations intempestives du nouveau président sur les différents accords commerciaux internationaux et force est de constater que l’incertitude plane tant sur les décisions qui pourraient effectivement être prises que sur leurs conséquences en cas de dénonciation d’accords qui ont façonné le développement économique mondial depuis l’après-guerre.

Rappelons que la croissance du PIB est directement liée à la croissance de la population ainsi qu’à la croissance de la productivité. Aucun élément du programme de Trump ne semble favoriser la première, alors que la seconde dépend de la globalisation à laquelle le nouveau président s’oppose.

Le spectre du protectionnisme est également à mettre en relation avec le besoin de financement accru des Etats-Unis. La solution à ce problème ne viendra vraisemblablement pas du marché domestique mais les étrangers pourraient montrer un moindre appétit pour les emprunts d’un gouvernement américain engagé dans une nouvelle voie politique du “chacun pour soi”. La résultante d’une telle situation serait la hausse du dollar et des taux américains ainsi que la hausse du chômage. A moins d’être en mesure de négocier de nouveaux accords capables d’enrayer la hausse du billet vert, le nouveau président verrait le marché américain entamer une phase de forte baisse.

Dès lors, Donald Trump est-il en mesure d’assurer le rendement du capital des entreprises américaines ? Si la réponse est négative, la devise et les actions américaines s’effondreront. Si par contre la rentabilité des sociétés américaines est assurée, cela se fera-t-il aux dépens du reste du monde ?

Se pourrait-il que les USA évoluent vers une politique fiscale plus accommodante combinée à une politique monétaire plus restrictive, à l’image du contexte du début des années ‘80 ?

 

Conclusion

Autant de questions qui démontrent que les propos du nouveau président américain sont loin d’être clairs et que ses prochaines décisions influenceront radicalement la performance des différentes classes d’actifs. Sans parler des surprises qui pourraient découler de nouveaux déséquilibres au niveau mondial.