Certains OAR sont appelés à disparaitre pour laisser place à des organismes de surveillance. Serge Pavoncello, son nouveau président, entend donner à l'ASG une dimension plus importante dans le support et les services proposés à ses membres.

Serge Pavoncello, président de l’Association suisse des gérants de fortune

A partir de 2019, l’ASG n’assumera plus son rôle d’organisme d’autorégulation. En tant que président nouvellement élu, ne regrettez vous pas de voir cette mission vous échapper?

Absolument pas. Je pense qu’il s’agit au contraire d’un changement bénéfique, autant pour l’association que pour ses membres. Certains OAR vont effectivement progressivement disparaître pour laisser place à des organismes de surveillance. L’ASG a été extrêmement active dans la conception du nouveau système de surveillance et le sera aussi dans sa constitution. Un premier organisme de surveillance se fondera sur le partenariat que nous avons avec l’OAR-G et, pour les trustees, avec la SATC et STEP Suisse. Un deuxième organisme devrait émaner de l’OAR du VQF. L’ASG pourra alors se concentrer sur les tâches qui sont les siennes, en tant qu’organe patronal. Quoiqu’il en soit, ce changement est le bienvenu car nous aurons plus de marge de manœuvre dans les actions que nous souhaitons mener. Précédemment, c’était peut-être parfois un peu compliqué car il nous fallait effectuer à la fois un travail de conseil et de police.

Aujourd’hui, ce qui nous apparait comme le plus important est de voir la gestion de fortune indépendante reconnue par la loi, ce qui n’était pas le cas auparavant, du moins pas directement. Dans le cadre de la LEFin, la loi sur les établissements financiers, plusieurs dispositions régiront la profession de gérant et nous ne pouvons que nous en réjouir. Les sociétés de gestion devront être agréées par la Finma et leur surveillance courante sera assurée par ces nouveaux organismes de surveillance. Ce système est également reconnu au niveau international, notamment par les normes de l’OICV et par les règles MIFID, car la souveraineté de décision quant aux questions d’agrément et aux sanctions en cas d’infraction revient à l’autorité étatique.

 

Selon vous, quel rôle l’ASG doit-elle jouer à l’avenir? Sur quelles directions souhaitez-vous l’engager?

Heureusement, l’ASG n’a pas attendu que je sois élu pour avancer! Les grands axes stratégiques ont été définis voilà maintenant de nombreuses années. En revanche, il est clair que l’association de demain n’aura que peu à voir avec celle d’aujourd’hui. Nous allons poursuivre ce qui a été initié et nous allons intensifier nos efforts. C’est le cas notamment des activités de lobbying dans lesquelles nous avons obtenu jusqu’à présent des résultats très concluants. Il va falloir par exemple se concerter avec les banques pour réduire la surcharge administrative qui pèse aujourd’hui sur les gérants. Là, franchement, on a largement dérapé! Ce que nous souhaitons obtenir, ce sont des standards et des règles communes qui soient les mêmes pour chaque établissement financier, contrairement ce qui se pratique en ce moment. C’est beaucoup de travail en perspective, mais ce sera un travail très productif.

Nous allons également fournir à nos membres une information juridique plus substantielle puisque nous disposons de juristes qui comptent parmi les meilleurs spécialistes dans ce domaine. Nous allons aussi faciliter les échanges au sein de l’ASG. Nous devons avoir une excellente communication en interne pour faciliter les prises de position, les échanges et les interactions. Enfin, il est clair que nous allons multiplier les services proposés aux membres.

 

Ne craignez-vous pas de leur part un mouvement de désaffection?

Je suis intimement convaincu de la nécessité d’une association comme l’ASG et du rôle qu’elle est amenée à jouer dans notre secteur d’activité. Je suis convaincu que les membres suivront car l’ASG va en accomplir beaucoup plus pour eux à l’avenir. De même que je suis intimement convaincu de la pérennité de la profession.

 

On a longtemps reproché à l’ASG d’être dirigée par des juristes. Comment entendez-vous remettre plus de gérant dans l’association?

Contrairement à d’autres associations et OAR, le conseil de l’ASG a toujours été constitué exclusivement de gérants indépendants en activité. Mais la remarque est pertinente puisque ce reproche nous a souvent été adressé. Cependant, il faut bien reconnaitre que les profonds bouleversement réglementaires qui ont eu cours ces dernières années nous contraignaient d’une façon ou d’une autre à cette période « juriste » sur un plan opérationnel. L’association a déployé une énergie considérable pour aider à façonner l’environnement réglementaire. Maintenant qu’il se met en place, les aspects juridiques devraient être plus limités.

D’ailleurs, nous venons d’embaucher deux collaborateurs-clés qui ne sont pas juristes. Ils viennent du monde financier. Ce sont Eleonore Charrez et Bertrand Jakob. Eleonore Charrez a travaillé pour des banques, pour Thomson Reuters ou encore pour le SIX Swiss Exchange. A l’ASG, elle est plus particulièrement en charge du dossier de la formation qui est pour nous d’une importance capitale.

Quant à Bertrand Jakob, qui est basé à Zurich, c’est un ancien gérant de fortune qui a également travaillé pour les banques dans le domaine des services aux GFI. Il a, au sein de l’ASG, une fonction de support, notamment pour le développement des services que nous destinons à nos membres.

 

Quel genre de services pouvez-vous leur proposer?

Je pense par exemple à la manière dont on construit les profils de risque des clients, ou dont on organise le suivi de la gestion selon les rendements ajustés du risque. Pour mener à bien ce travail, nous avons besoin de spécialistes de la finance qui comprennent ce qu’il en est de la volatilité. Sur ce point précis, nous travaillons déjà avec des partenaires. Voilà le genre d’initiatives que nous allons développer. Fondamentalement, le temps de l’allocation d’actifs devrait être révolu. La façon dont un gérant produit de la performance ne devrait pas être du ressort du régulateur, sachant qu’il est possible aujourd’hui de calculer et de contrôler le risque en continu.

 

L’ASG a-t-elle vocation à agréger des prestataires de services?

Clairement non. Nous ne sommes pas des prescripteurs. Par contre, nous pouvons jouer un rôle exploratoire, identifier différents types de solutions et avaliser les concepts. Libre ensuite à nos membres de suivre ou non nos recommandations. Pour reprendre l’exemple ci-dessus, nous allons expliquer à nos membres l’usage qu’il est possible d’en faire, ainsi que les avantages qui en découlent, mais nous ne l’imposerons pas. Nous voulons préserver notre indépendance.

 

Vous-même, en tant que gérant cette fois, qu’attendez-vous d’un organisme comme l’ASG?

J’attends une information juridique traitée pour que je puisse l’intégrer facilement. J’attends des documents standardisés, prêts à l’emploi. Jusqu’à présent, l’ASG se contentait de délivrer des indications. Nous allons proposer des modèles à nos membres pour faciliter leur quotidien et les décharger autant que se peut du fardeau administratif.

J’attends bien sûr de l’ASG qu’elle puisse parler en mon nom et protéger mes intérêts. Ce n’est pas toujours évident de fédérer les besoins de gérants qui ne sont pas indépendants pour rien. Il n’est pas non plus question de rentrer tout le monde dans un même moule, mais nous devons nous doter d’un cadre de travail conforme à la législation sans chercher à dépasser les attentes du législateur. En la matière, nous avons toute la confiance de nos autorités de tutelle.

Et puis finalement j’attends de l’ASG qu’elle puisse m’assister dans les domaines où je n’ai aucune expertise. Je reviens au droit: juriste, ce n’est vraiment pas le métier de base du gérant.

 

A propos de métier, avez-vous l’intention d’imposer aux gérants un cursus particulier en matière de formation?

Non, pas plus que nous ne voulons imposer des prestataires de services à nos membres. En revanche, nous allons leur proposer différents modules à suivre sur des périodes de deux ans par exemple. Dans l’ensemble, les gérants de l’ASG sont très bien formés. Je rappelle par ailleurs que les gérants souhaitant rentrer à l’ASG doivent justifier de cinq ans d’expérience dans le domaine de la gestion de fortune. Pour chacun d’entre eux, nous connaissons leur parcours et nous comprenons parfaitement leurs besoins.

Nous voulons donc créer un catalogue assez large, une plateforme où nous allons regrouper les différents cursus disponibles aujourd’hui en Suisse, et en partie à l’étranger. Il y aura entre autres les formations universitaires, celles que dispensent les instituts spécialisés, ou encore les diverses certifications. Ce sera aux gérants de faire leur choix et d’en prendre l’initiative. Ce qui va changer, c’est que nous validerons les cursus qu’ils auront choisi de suivre. Je suis persuadé que nous aurons un grand taux d’acceptation et que cet effort sera perçu de manière bénéfique.

 

D’après vous, comment se fait-il que la Suisse ne propose pas autant de cursus universitaires que la France dans le domaine de la finance?

Ce n’est pas tout à fait exact. Il existe peut-être plusieurs dizaines de deuxièmes ou de troisièmes cycles en France, mais la Suisse ne souffre d’aucun retard en la matière. Qu’il s’agisse de maîtrises d’études avancées, de diplômes de formation continue universitaire ou de certificats de formation continue universitaire, la Suisse dispense elle aussi plusieurs dizaines de programmes. Ils couvrent entre autres la gestion bancaire, le corporate finance, la banque privée, l’analyse financière, la compliance et la gestion des risques.

 

Selon vous, comment les gérants doivent-ils faire évoluer leur offre de produits et de services?

D’abord, il est essentiel de la faire évoluer selon la façon dont se transforment en parallèle les attentes des clients, quelque soit la diversité que cela implique. La typologie des gérants, c’est surtout la typologie de leurs clients. Ensuite, je vois bien que les gérants ont d’autant plus de potentiel de développement qu’ils sont capables de sortir de la gestion des actifs financiers à proprement parler pour s’aventurer sur des services élargis. Cela peut prendre différentes formes. Ils peuvent étendre leur offre vers le conseil au sens large, flirter avec le corporate finance ou la gestion du patrimoine. Ils peuvent aussi se consacrer davantage à l’administratif pour leurs clients. Les outils qui étaient réservés voilà peu à des family offices sont devenus abordables pour les gérants indépendants. Encore une fois, tout commence par les clients. Les gérants qui réussissent, ce sont ceux qui savent se mettre complètement à leur écoute.

 

Cet article a été publié initialement dans le magazine SPHERE (N°6 – juillet/septembre 2017)
interview: Jérôme Sicard / photo: Karine Bauzin