La gestion thématique se situe à la croisée de l’allocation des actifs et de la construction de portefeuille.
Cet article co-écrit par Sébasien Gyger et Serge Ledermann a été publié initialement dans
La Lettre N°5 d’investir.ch (décembre 2017)
Si l’allocation d’actifs demeure – et nous en sommes convaincus – le principal moteur de la performance dans le cadre de la gestion multi-classes d’actifs, la construction de portefeuille vise à assurer la cohérence et la stabilité de l’ensemble. Dans ce contexte, la gestion thématique en actions trouve un écho de plus en plus favorable, tant de la part des allocateurs que des gérants multi-assets.
Nouvel essor de la gestion thématique
La gestion active dite «sectorielle» n’est pas morte, elle vit une mue en profondeur. La fin des années 90 avait vu l’émergence de stratégies mono-sectorielles, comme la biotechnologie, les services de télécommunication ou les technologies de l’information. Puis, dans les années 2000, la vague de produits adossés aux matières premières avait déferlé, telles les énergies propres ou renouvelables (appelées «clean tech»). Victimes de leur caractère cyclique et de leur concentration sectorielle, ces stratégies avaient déçu et montré leurs limites au moment de l’effondrement des cours. Si longtemps cette approche de gestion avait connu un grand succès auprès de la clientèle des particuliers, nous sommes persuadés que la gestion thématique devient aujourd’hui «mainstream», c’est-à-dire digne d’intérêt pour l’ensemble des investisseurs.
L’idée sur laquelle repose la gestion thématique est finalement assez simple: elle consiste à sélectionner les entreprises qui contribuent à trouver des solutions aux défis démographiques, sociaux, écologiques et technologiques, et qui en tirent un avantage compétitif. Nous observons qu’un nombre croissant de nouveaux produits se sont développés autour d’approches dites «thématiques». Ce type de gestion prend clairement un nouvel essor en s’appuyant, et c’est nouveau, sur des thématiques transversales couvrant plusieurs secteurs.
Capter les tendances de long terme
Nous faisons le constat quotidien de vivre dans une période de changements extraordinaires. Et profonds. La gestion thématique 2.0 cherche précisément à adresser ces tendances de fond.
D’un point de vue démographique, nous pensons bien sûr au vieillissement de la population et aux millennials – la génération née entre 1980 et 2000 – qui représentera bientôt la majorité de la population active.1 Dans les deux cas, les entreprises dont les produits et les services sont adaptés aux modes de vie, aux besoins, aux habitudes de consommation ou à la conscience sociale de ces générations pourront en tirer un avantage compétitif qui se matérialisera dans leur performance économique.
Un autre exemple bien documenté est celui de l’ascension de la classe moyenne dans les économies en développement. L’actualité récente des catastrophes naturelles – ouragans, inondations, sécheresse – a replacé les défis environnementaux au centre des débats avec des thématiques comme la réduction de l’impact carbone des portefeuilles, la transition énergétique et dans une perspective plus large l’investissement durable et responsable. Les transformations technologiques font partie des thématiques qui tiennent actuellement le haut de l’affiche avec la progression rapide de la digitalisation et de l’automatisation, de la génomique et de l’économie de réseau, pour ne citer qu’elles. Encouragée par la technologie, la sélection de titres orientée sur la satisfaction des clients est une illustration pratique de processus de gestion ayant émergé plus récemment. Nous l’intégrons dans notre vue d’ensemble car, dans un contexte concurrentiel fort, la satisfaction client est un critère déterminant des niveaux de cash-flow et de rentabilité des entreprises.
Tous ces thèmes ont en commun un pouvoir transformant pour la société, les entreprises et les individus. Force est toutefois de constater que toutes les tendances ne présentent pas des opportunités d’investissement intéressantes. Par conséquent, une analyse préliminaire approfondie visant à identifier les facteurs stratégiques de différentiation doit être conduite. En outre, notre expérience démontre que les thèmes retenus doivent se placer dans un horizon de long terme afin que l’investisseur puisse tirer pleinement parti des avantages qu’il a identifiés en évitant de succomber aux différentes modes ambiantes. Nous pensons finalement que ces stratégies doivent offrir un potentiel de croissance durable et supérieur à la moyenne, et idéalement des caractéristiques de «qualité» pour offrir une certaine visibilité. Nous aimons aussi à rappeler que l’investissement thématique nécessite une compréhension fondamentale de l’impact des tendances économiques, politiques et sociales sur les résultats des sociétés concernées.
Dans l’investissement, les modes sont passagères
Le principal défi de l’investissement thématique réside dans le fait que l’identification d’un thème ne conduit pas nécessairement à un investissement couronné de succès. L’impression 3D en est une illustration récente et concrète: les cours se sont envolés en juillet 2010 pour atteindre leur apogée en janvier 2014, puis se sont brusquement affaissés jusqu’en janvier 2016 (cf. illustration). Comment est-il possible que cette technologie ait pu susciter autant d’enthousiasme, aussi bien dans le grand public que chez les industriels? Ce type de cycle boursier est maintenant bien documenté: les investisseurs tendent à extrapoler trop loin dans le futur la croissance passée des résultats, justifiant ainsi la hausse des cours boursiers. Le phénomène inverse se produit lorsque les attentes trop élevées finissent par décevoir: les cours plongent jusqu’à n’anticiper qu’une maigre croissance. L’histoire regorge ainsi d’exemples d’industries qui ont émergé pour finalement s’éteindre dans l’anonymat.
Certes moins étroites, des thématiques comme le luxe ont également connu leur moment de gloire avant de s’étioler. Le secteur est soumis à une dynamique par essence cyclique et l’univers d’investissement reste malgré tout limité à un petit nombre de titres. Par conséquent, ce type de thématique ne sort pas indemne du bas de cycle lorsque les gérants n’ont pas la flexibilité pour positionner leurs portefeuilles sur des facteurs différents en fonction du contexte macro-économique.
À la lumière de ces expériences, certains prennent des raccourcis en imaginant que le point cardinal de l’investissement thématique est d’être parmi les premiers à adopter le thème. Notre vision est sensiblement différente: selon nous, l’approche multi-sectorielle et transversale des thématiques, couplée à la recherche de caractéristiques intrinsèques de «qualité» et de durabilité des facteurs réduit l’aléa de l’investissement cyclique tel qu’évoqué plus haut.
Quel bénéfice pour l’investisseur ?
La gestion thématique résonne aux oreilles des investisseurs particuliers car elle fait souvent appel à des convictions profondes, et parfois à des passions (comme le vin, l’art ou les voitures de collection, que nous pourrions intituler des «placements plaisirs»). Nous voyons que la gestion thématique est souvent chargée d’une part d’émotion pour l’investisseur en quête de sens. De manière plus pragmatique, l’approche thématique complète une construction traditionnelle par blocs puisqu’elle couvre généralement plusieurs secteurs d’activité et ignore les limites géographiques. Le taux de recoupement avec le portefeuille est souvent relativement faible et l’avantage offert aux investisseurs de parcourir l’ensemble de la cote afin de convertir des tendances ou des critères quantitatifs est potentiellement générateur de valeur ajoutée.
Du côté des investisseurs institutionnels, nous faisons l’observation que les fonds trop «marqués» ou trop concentrés ont souvent de la peine à entrer dans une grille d’allocation, à l’exception des stratégies qui peuvent démontrer qu’elles recouvrent la grande majorité des secteurs, avec des écarts maîtrisés par rapport aux indices de référence. Ainsi, la grande majorité des institutions n’ont pas fait le pas vers la gestion thématique, malgré les avantages dont elles pourraient bénéficier dans un cadre de risque bien défini. D’un point de vue stratégique, elle permet donc de miser à la fois sur la dynamique d’une société et sur la tendance de fond à partir de laquelle cette dernière tire sa croissance.
Conclusion pour la gestion du portefeuille
Les faiblesses historiques des approches thématiques mono-sectorielles ont été corrigées grâce à une couverture plus large et transversale des secteurs, et par l’adossement à des tendances séculaires de long terme plutôt que conjoncturelles. Nous considérons la gestion thématique comme une approche complémentaire aux portefeuilles traditionnels, essentiellement positionnés sur des facteurs géographiques. La gestion thématique est donc une source de diversification et un moyen d’exposer le portefeuille à des tendances de long-terme par une sélection rigoureuse des sociétés qui y sont exposées.
Telle que décrite ci-dessus, l’approche thématique tirera toute sa substance d’expertises de gestion actives, plutôt que d’instruments passifs qui, par construction, sont orientés sur le court terme et peu flexibles. Concrètement, et en fonction de l’appétit des clients pour cette approche, nous recommandons la création d’une «poche thématique» au sein des portefeuilles. Pour des raisons de bonne gouvernance et de diversification, nous insistons sur la matérialité et la diversification des thèmes. Nous notons aussi que la majorité des thématiques possèdent des biais de style et de capitalisation boursière, tels que les facteurs «croissance», «momentum» et «small cap». La construction de portefeuille veillera donc à mesurer, intégrer puis contrôler ces éléments dans une vision globale de la gestion des risques.
Les millennials font partie intégrante de notre panorama. Nous sommes en effet en train de passer d’une consommation structurée autour des baby-boomers à une consommation qui sera bientôt dominée par la culture des millennials. Qui doit se réinventer ? Les remises en question, les défis et les opportunités concernent tous les acteurs de l’économie. Pour conclure, une étude récente du Credit Suisse décrit les millennials comme une génération sacrifiée.2 Il serait pourtant préférable de relever que cette génération a confiance en l’avenir qu’elle dessine. Nous plaçons notre confiance en elle!
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1. Saviez-vous par exemple que la population agée de 65 ans et plus augmentera de 900 millions d’individus à l’horizon 2050 et que les millennials représenteront plus de 50% de la population active dès 2020 et 75% à partir de 2025 ?
2. Credit Suisse Global Wealth Report 2017.