Le retour au bureau aura été difficile pour les traders américains. Après une semaine de folie ou les Bulls avaient pris leur revanche après la correction du début du mois, soudainement le doute envahissait Wall Street ; ce rebond était-il pour de vrai ? Ce rebond pouvait-il durer ? Est-ce que le marché n’est pas trop cher ? Qui suis-je ? Où vais-je et surtout : dans quelle étagère ?

L’Audio du 21 février 2018

Il faut reconnaître que s’il y a une chose immuable dans ce monde, en plus du fait que les gens ne s’intéressent au curling que tous les 4 ans, c’est le fait que le doute n’est pas le meilleur collaborateur pour le trader ou l’investisseur quand il s’agit de prendre une décision. Et c’est ce que nous avons vécu hier.

Je dois dire qu’en lisant la presse de ce matin, ce qui frappe le plus c’est la notion de « réchauffé » dans à peu près tous les articles qui sont rédigés. On reprend exactement les mêmes histoires qu’il y a dix jours, on justifie les mouvements des marchés par les mêmes raisons que lundi dernier ou celui d’avant. On fait preuve d’un manque d’originalité flagrant. D’ailleurs ce matin quand j’ai lu le dernier résumé de marché du site Marketwatch, j’ai eu l’impression que c’était le même article qu’ils avaient publié 9 jours avant et qu’ils avaient simplement changé les dates.

Je vais vous le dire, c’est très simple. Une fois que vous aurez lu ce petit « guide du fonctionnement des marchés en hiver 2018 » vous pourrez vous faire inviter sur le plateau de Darius Rochebin pour expliquer pourquoi ça bouge et qu’est-ce qui se passe, debleu…

Règle de fonctionnement numéro un, : Pourquoi est-ce que l’Europe monte ?

– Facile. L’Europe monte parce que l’Euro s’affaiblit et que quand l’Euro s’affaiblit c’est une bonne nouvelle pour les sociétés européennes qui exportent à cause de l’argent.
– La réponse ci-dessus peut également être utilisée en cas de baisse des marchés en Europe, puisque, si c’est le cas, il est plus que probable que l’Euro soit en train de monter ce qui, du coup, devient défavorable pour les exportatrices européennes. Alors oui, je le conçois, il y a aussi des sociétés qui n’exportent pas et qui sont cotées en bourse, mais dans le cas présent et si la question venait à se poser, la réponse serait inévitablement : ON S’EN FOUT !

Règle de fonctionnement numéro deux : Pourquoi est-ce que les marchés américains baissent ?

– Facile aussi. Mais encore plus. Les marchés américains baissent TOUJOURS et d’abord parce qu’il y a plus de vendeurs que d’acheteurs. Ensuite, et surtout pour le moment, les marchés US baissent parce que l’inflation fait peur et que le fait que les rendements des bons du trésor à 10 ans frise les 3%, l’angoisse est à son comble. On ne sait pas trop quelle est le taux d’inflation aux USA, ça change tout le temps et puis ça dépend quand même vachement du prix du pétrole, mais peu importe. On aime utiliser cette mesure pour se faire peur.
– Alors bien sûr, nous ne sommes pas encore dans une inflation type pays d’Afrique où il faut payer son pain avec une brouette de billets de banque et que le jour d’après pour le même pain, il faut deux brouettes, ce qui n’est pas facile parce que quand on est tout seul, ce n’est pas simple de conduire DEUX brouettes en même temps. Mais peu importe, on a de la peine à calculer l’inflation, on ne sait pas trop ce qu’elle va nous faire sur le prix du Big Mac Menu extra-large avec un litre de Coca Zéro, mais elle nous fout les jetons.
– Elle nous fout les jetons parce que si l’inflation grimpe, la FED (l’autre truc qui dirige le pays aux USA), la FED devra donc venir monter les taux plus que de raison. Et si les taux montent, les investisseurs vont vendre TOUTES LEURS ACTIONS – j’ai bien dit TOUTES et acheter des Obligations à la place.
– Si, c’est comme ça, il n’y a pas de juste mesure dans le monde merveilleux de la perception des marchés financiers après un week-end prolongé.
– Si l’on vous demande pourquoi les marchés montent aux USA , vous avez deux réponses possible : Réponse A) les valorisations des actions sont élevées mais pas tant élevées que ça (retenez bien la phrase dans l’ordre, c’est important) ou alors, réponse B) Après la correction du début du mois, les intervenants profitent des opportunités que nous n’avions plus vu depuis la crise des subprimes il y a 10 ans…

Vous en conviendrez, avec ces quelques phrases, vous avez à peu près la totalité des « justifications des mouvements de marchés » de ces 4 dernières semaines.

Rappelez-vous bien, si l’Europe bouge c’est à cause de l’Euro qui est trop fort ou trop faible. Et si les USA bougent, c’est à cause de l’inflation, des taux qui montent, du rendement du 10 ans qui pourrait atteindre les 3%, ce qui ferait bien plus peur que le croque-mitaine ou un One-Man-Show de Schneider-Ammann.

Pour être parfaitement exact et transparent avec vous, il faut aussi reconnaître que les marchés européens peuvent bouger pour les mêmes raisons qu’aux USA, parce qu’allez savoir pourquoi, on a toujours peur que l’inflation qui pèse sur le consommateur américain nous retombe direct dessus. Dans l’heure qui suit. À croire que l’inflation voyage plus vite que la lumière et que les avions de ligne. Peut-être que finalement Elon Musk devrait essayer de travailler sur la vitesse de déplacement de l’inflation pour aller sur Mars plus vite.

Donc voilà. Hier l’Europe est montée parce que l’Euro baissait un poil que le ZEW en Allemagne était pourri, mais moins pourri que prévu. HSBC a raté son année mais n’empêchait que le Footsie londonien de monter. Mais en même temps on s’en fout parce que Londres c’est pas en Europe. Et puis les USA ont baissé parce qu’on avait peur pour l’inflation – pas qu’il y avait des chiffres pour le justifier, non, juste le rendement du 10 ans qui frisait les 2.93% au plus fort de la journée. Et quand les rendements montent, on se dit qu’il y a forcément quelque part quelqu’un qui est plus égaux que les autres qui sait quelque chose sur l’inflation qui monte, alors on suit le mouvement.

Et puis, bon, aux USA on est beaucoup monté la semaine dernière et comme on avait oublié que lundi c’était férié, il a fallu prendre les profits mardi. Sans compter que Wal-Mart a foiré son trimestre et quand Wal-Mart perd 10%, ça pèse sur le Dow Jones, c’est immanquable. Il y avait aussi NXP Semiconductors qui prenait 6% parce que Qualcomm va augmenter son offre d’achat pour convaincre les actionnaires récalcitrants et puis une fois que NXP sera racheté, Qualcomm va se faire bouffer par Broadcom, on attend de voir qui va avaler Broadcom.

Pour le reste, l’Asie est toujours à moitié fermée pour cause de Nouvel An. Hong Kong est ouvert et monte de 0.9% et le Nikkei ne fait rien. Il est ouvert, mais il ne fait rien. L’or est à 1326$, que dire de plus. Quand au pétrole il vaut 61.70$, il baisse un peu. Les plus positifs diront que ça calme un peu les peurs de l’inflation. Les plus négatifs diront que de toute façon on va tous mourir un jour et que c’est pas la baisse du prix du baril qui va y changer quelque chose.

Et puis le Bitcoin remonte à coup de 1’000 Balles par jour. Enfin hier, parce que cette nuit il a déjà reperdu 614$ sur l’avance de 1000 de la veille, mais c’est un marché de traders, c’est donc assez facile, il suffit d’acheter bas et de vendre haut et puis vous pourrez rapidement arrêter de travailler et rouler en Lamborghini. Ou en Ferrari, il n’y a pas de règle. Ce matin le Bitcoin vaut 10’850$ et l’ensemble des Cryptos sont sous pression.

Dans les nouvelles du jour, Trump se mouille dans la polémique des armes aux USA, il propose que l’on interdise la vente des accessoires qui permettent de transformer plus ou moins n’importe quelle arme en fusil mitrailleur. Du coup, les fusillades se feraient au coup par coup, ce qui prendrait tout de même plus de temps. C’est un petit pas pour Trump, mais un grand pas pour l’humanité.

La Corée du Nord a annulé la rencontre avec le Vice-Président américain au dernier moment. Certains des commentaires de ce dernier n’auraient pas plus au leader maximo local. En Europe, on commence à parler du 4 mars. Peut être que le 4 mars ça ne veut rien dire pour vous et non, ce n’est pas la date des votations pour « No Billag », c’est la date à laquelle les Allemands vont devoir voter pour accepter la coalition du gouvernement et aussi la date à laquelle les Italiens vont devoir voter entre un gouvernement à la Mussolini ou un gouvernement qui ne sert à rien ou un gouvernement qui ne travaille pas assez à vite ou Berslusconi.

Autant vous dire que si le 5 mars on se réveille avec PAS de coalition en Allemagne et l’extrême droite ou gauche au pouvoir en Italie, l’Euro peut être à parité avec le Dollar, ça risque de secouer.

Autrement le Barron’s est positif sur Apple, la volatilité est repassée au-dessus des 20% – Oh my God – les algos vont recommencer à vendre alors ? – et puis sans compter que le rendement du 10 ans s’approche des 3% !!!

Ah non, ça j’avais déjà dit. Oubliez, c’est pas grave.

Et puis, dans la série « je fais des prédictions, mais si je me goure c’est pas grave on aura tout oublié rapidement », le stratège de Morgan Stanley, Monsieur Sheets (ça ne s’invente pas) a déclaré que des « corrections de 10% comme celle que nous venons de vivre » pourraient arriver plusieurs fois cette année.

Notez l’utilisation du conditionnel. En finance l’utilisation du conditionnel, ça veut dire : « J’en ai foutrement aucune idée, alors dans le doute je dis n’importe quoi et au cas où j’ai du bol, ça sera chouette !!! » …

Côté chiffres économiques, nous aurons plein de Manufacturing PMI et les Minutes du FOMC Meeting dans lesquelles nous verrons si Yellen est inquiète à propos de l’inflation, même si on s’en fout, puisqu’elle est à la retraite.

Pour le moment, les futures sont en baisse de 0.13% et l’Euro/Dollar a encore baissé durant la nuit, si ça se trouve l’Europe va encore monter !!!

Bon, après cette chronique scolaire, je vais vous laisser aller boire votre litre de café Starbucks au prix du Channel Numéro 5 et je vous retrouve demain pour faire le point. Passez une très belle journée !

Thomas Veillet
Investir.ch

« The four most beautiful words in our common language: 
I told you so. »
Gore Vidal