Plusieurs pays asiatiques ont récemment introduit des codes de bonne gestion pour encourager les investisseurs à agir de manière responsable et inciter les entreprises à réfléchir à la pérennité de leur modèle économique. Ces codes s’avèrent déjà un moyen efficace d’engager un dialogue constructif avec les émetteurs obligataires sur le développement durable et le financement vert. Mais comme Felipe Gordillo de BNP Pariba AM l'a expliqué lors d’un récent Forum à Singapour, le BNP Paribas Sustainable Future Forum, ils ne représentent qu’une partie des problématiques à traiter dans l’optique du développement du marché des obligations vertes en Asie.

Une réglementation bien adaptée et axée sur le pragmatisme

Felipe Gordillo, Senior SRI/ESG analyst,
BNP Paribas Asset Management

Concernant la réglementation du marché des obligations vertes, nous avons beaucoup à apprendre du « miracle économique » de Singapour qui, en 50 ans (depuis 1965), a fait passer son PIB nominal par habitant de 500 USD (à peu près celui du Mexique) à 56 000 USD, soit un niveau comparable à celui de l’Allemagne ou des États-Unis. Mais, dans le cas de Singapour, on ne peut pas à proprement parler de miracle. Les autorités avaient choisi de mettre en place des politiques et réglementations visant à promouvoir un niveau d’éducation publique élevé, à instaurer le concept de méritocratie et à interdire strictement toute forme de corruption. Ces politiques et réglementations étaient régies par le pragmatisme. Comme Lee Kuan Yew, Premier ministre fondateur de Singapour, l’a expliqué : « Nous sommes pragmatiques… est-ce que cette méthode fonctionne ? Essayons et si c’est le cas, et bien, continuons. Et si ce n’est pas le cas, et bien arrêtons, et essayons d’une autre façon. Nous ne sommes pas [tenus par] une idéologie [unique] ».
Le pragmatisme (et non l’idéologie) s’avère indispensable au développement du marché des obligations vertes. Il n’y a pas de réponse unique, ce n’est ni « le marché a réponse à tout », ni « l’intervention de l’État est la solution à tous les problèmes ». L’essentiel est de tester de nouvelles idées et d’observer les meilleures pratiques appliquées dans le monde pour voir si elles peuvent être adaptées au marché local.

Le dernier rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) sur le développement de la finance verte dans le monde met en évidence l’importance de l’adéquation au marché local. Selon ce rapport, la croissance des flux en faveur de l’investissement vert a pu être mesurée grâce aux liens étroits entre politique et évolution du marché.

L’approche de chaque pays dépend du développement de ses propres marchés financiers et de ses ambitions « vertes » qui, précisons-le, ne sont pas contradictoires. Voici quelques exemples de recommandations qui ont été émises lors du G20 l’année dernière à Hangzhou et qui font partie du suivi de progrès du PNUE :

Fournir des signaux et des structures politiques stratégiques
Ce point est important, car les signaux et structures politiques stratégiques permettent de réduire la perception des incertitudes au sujet des investissements verts et contribuer ainsi au développement plus rapide de ce dernier. Les gouvernements exposent leur vision, mais les acteurs financiers la concrétisent. Par exemple, l’Article 173-VI de la législation française relative à la transition énergétique pour une croissance verte applique, pour les investisseurs, le principe selon lequel il faut « se conformer ou s’expliquer ». Les investisseurs doivent non seulement rendre compte de la manière dont ils intègrent les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leurs décisions d’investissement, mais aussi de leur contribution à la lutte contre le changement climatique.

• Développer les marchés locaux des obligations vertes à l’aide d’une intervention gouvernementale directe
Les marchés locaux des obligations vertes constituent une source supplémentaire de financement vert à long terme pour les prêts bancaires et le financement par émission d’actions. Les gouvernements jouent un rôle actif, notamment grâce à l’émission de titres souverains et quasi souverains, montrant la voie à suivre aux entreprises et aux autres acteurs. En 2017, la plus importante émission d’obligations vertes souveraines revient à la France qui a émis un montant de 7 milliards d’euros d’obligations vertes (avec une maturité de 22 ans), et qui a également défini la norme en matière d’évaluation des projets et de reporting de l’impact environnemental. Mais le mouvement gagne également de l’ampleur en Asie-Pacifique. En juillet 2016, l’État de Victoria est devenu le premier gouvernement australien à émettre une obligation verte (300 millions de dollars américains), suivi de l’État du Queensland cette année (750 millions de dollars américains).

Comment évaluons-nous les obligations vertes des marchés émergents ?

Nous notons les obligations vertes sur une échelle de 0 à 100. Le score moyen des émetteurs des marchés développés est de 62 points, alors que le score moyen des émetteurs émergents est de 40 points. Nous remarquons de nettes différences de qualité et de transparence des structures des obligations vertes.

En particulier, 60 % des obligations vertes émergentes que nous avons évaluées ne font pas appel à des normes internationales et manquent d’un cadre transparent pour l’atténuation des risques environnementaux et sociaux. C’est une faiblesse critique dans les pays émergents où les projets pourraient avoir des répercussions négatives importantes sur l’environnement et les populations locales.

De plus, 45 % des émetteurs émergents d’obligations vertes n’ont pas de structure de gouvernance claire relative à la mise en œuvre de leur programme d’obligations vertes. Le niveau de transparence vis-à-vis du processus de sélection des projets est insuffisant. Ce point est crucial car de nombreux pays émergents souffrent d’instabilité politique, ce qui peut mettre en péril la mise en place de projets « verts ».

Nous suivons également les 17 objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies concernant les obligations vertes que nous évaluons. Outre l’ODD 7 (Énergie propre et d’un coût abordable) et l’ODD 13 (Action climatique), 40 % des obligations vertes des marchés émergents soutiennent l’ODD 6 (Eau propre et assainissement) et 35 % l’ODD 11 (Villes et communautés durables).

Marchés obligataires verts de la région Asie-Pacifique : émetteurs et investisseurs

Investisseurs

Les actifs sous gestion des fonds communs de placement asiatiques sont répartis équitablement : les obligations, les actions et les actifs mixtes sont représentés à hauteur d’un tiers chacun. Il existe donc un véritable appétit pour les produits de taux, ce qui est une bonne nouvelle, mais cela ne suffit pas. Nous devons réagir et nous adapter au profil et à l’intérêt de ces investisseurs.

À Singapour, le marché de l’investissement est composé à 96 % de particuliers et à 4 % de clients institutionnels, ce qui signifie que nous devons sensibiliser les investisseurs aux obligations vertes, en mettant particulièrement l’accent sur le fait qu’ils ne se résument pas à des investissements éthiques : ils génèrent des rendements similaires à ceux des obligations conventionnelles, mais les recettes provenant de ces émissions vont aux actifs et aux projets relatifs aux changements climatiques.

Selon un rapport de la Banque des Règlements Internationaux publié en 2017, les indices obligataires verts ont enregistré une performance corrigée du risque équivalente à celle des indices obligataires mondiaux, avec un ratio de Sharpe de 0,35 contre 0,33, respectivement.

Les codes de bonne gestion stimulent l’investissement durable en Asie

Plusieurs pays d’Asie, notamment le Japon, la Malaisie, Taïwan, Hong-Kong, la Corée du Sud et Singapour ont mis en place des codes de bonne gestion. Ces codes engagent les investisseurs à agir de manière responsable au nom de leurs clients et à inciter les entreprises à réfléchir à la pérennité de leur modèle économique. Ces codes offrent une base de discussion efficace avec les émetteurs en matière de développement durable et de financement vert.

Émetteurs

Présenter de solides arguments sur les avantages liés aux émissions d’obligations vertes :

  1. Les obligations vertes peuvent développer votre base d’investisseurs. Par exemple, à Paris, la base des investisseurs négociant les obligations classiques est à 75 % composée de clients français. Pour les obligations vertes, la base des investisseurs est composée à 75 % d’étrangers et à 25 % de Français.
  2. Le recours aux obligations vertes pour financer et soutenir un modèle économique plus durable peut être un avantage concurrentiel à long terme. La réglementation environnementale deviendra plus stricte à mesure que les pays chercheront à respecter leur engagement à limiter le réchauffement à 2ºC, conformément à l’accord de Paris sur le climat. Ainsi, les banques allemandes utilisent les obligations vertes pour accroître la proportion des bâtiments écologiques au sein de leur portefeuille de prêts.
  3. Les coûts et les frais liés à l’émission d’une obligation verte ne sont pas plus élevés que ceux liés à l’émission d’obligations ordinaires. En effet, l’Autorité monétaire de Singapour a mis en place une initiative qui compense les coûts des émetteurs en offrant des subventions sur la communication et le suivi. Dans le cadre de ce programme, les émissions éligibles peuvent compenser 100 % des coûts liés à une analyse externe des obligations vertes, jusqu’à concurrence de 100 000 SGD (soit environ 73 300 dollars) par émission.