Le parcours boursier de Nestlé rompt avec l’image paisible du navire de croisière. Le géant veveysan de l’agroalimentaire vole de record en record depuis la fin d’année dernière

Alors que le prix de l’action cotait à 78,30 Franc le 27 décembre 2018, elle a atteint 112 en cours de semaine dernière pour une progression de plus de 42%.

Sur la même période, l’indice vedette des actions suisses est en hausse de 21,8% (Swiss Market Index ou SMI). Il faut remonter à la Grande Crise Financière de 2008 pour observer un tel écart entre Nestlé et l’indice. Quels parallèles pouvons-nous tirer avec cet épisode du passé et surtout quel message le parcours en bourse de Nestlé adresse-t-il aujourd’hui aux investisseurs de tous bords?

Virage stratégique maîtrisé

Sous la direction de Mark Schneider, arrivé en janvier 2017, Nestlé a transformé son portefeuille d’activités et affiné son orientation stratégique: le groupe s’est séparé d’actifs moins performants (comme la division confiserie aux Etats-Unis et sa filiale dermatologique) pour poursuivre le développement des produits liés à la santé nutritionnelle. Après six ans de ralentissement, les derniers résultats valident ce tournant stratégique: la croissance organique s’établit à 3,6% (après le point bas de 2,4% atteint en 2017), la marge opérationnelle récurrente est en hausse de 1% à 17,1% et les ventes atteignent 45,5 milliards de Franc suisse (en hausse de 3,5%). L’accélération du programme de rachat d’actions de 20 milliards de francs (qui sera achevé plus tôt que prévu en décembre 2019) participe aussi au pouvoir quasi-hypnotique du titre sur les marchés.

A la recherche de rendement

A fin août, Nestlé capitalise plus de 330 milliards de Francs suisses et conforte sans surprise sa place de numéro 1 en Suisse. Plus remarquable, le groupe est rejoint par Novartis et Roche en tête des indices européens. Comment expliquer que la Suisse, au 20e rang mondial par PIB, loin derrière l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France, monopolise le podium européen par capitalisation boursière?

Nous observons qu’au-delà des caractéristiques propres à Nestlé, l’environnement macro-économique joue un rôle décisif dans l’intérêt que les investisseurs portent à la société, et plus largement au marché suisse. Dans un monde à taux d’intérêts proches de zéro, et négatifs en Suisse, la recherche d’investissements qui offrent du rendement ne faiblit pas. Quelles sont les alternatives lorsque l’épargne ne rapporte plus et que le créancier paie pour prêter son argent ? L’immobilier, la dette à plus haut rendement et les produits structurés ont la cote, mais la réponse qui domine est de continuer à investir dans les valeurs avec des caractéristiques défensives et qui paient un dividende. En effet, lorsque le taux directeur fixé par la Banque nationale suisse est ancré de manière durable en territoire négatif (à -0,75% depuis janvier 2015) et sans perspective de retour à la normale, le rendement de dividendes (en moyenne 3,2% brut pour le SMI) est devenu un argument irrésistible auprès des investisseurs.

Quel est l’impact de l’environnement macroéconomique?

Dans le contexte actuel de taux bas, de franc fort, d’inflation atone et d’incertitudes sur la croissance (notamment dues aux effets induits de la guerre commerciale que se livrent les Etats-Unis et la Chine) nous cherchons à estimer l’incidence des facteurs macroéconomiques sur les cours de bourse.

Un modèle qui intègre les taux d’intérêts, l’inflation et le taux de change, donne des résultats tout à fait remarquables: le modèle est simple, le nombre de facteurs limité et la qualité de la prédiction est élevée.

Nous observons premièrement que le marché suisse est correctement valorisé dans les conditions actuelles (de taux d’intérêt, d’inflation et de taux de change). Deuxièmement, les 3 grandes banques ne présentent pas d’écart marqué par rapport aux prévisions du modèle qui accorde dans ce cas une place prépondérante aux taux d’intérêts. Des titres comme Compagnie Financière de Richemont et Swatch, exposés au cycle économique, affichent des sensibilités plus marquées aux taux d’intérêts et au taux de change. Pour ce qui concerne les trois titres favoris du marché suisse, Nestlé fait figure d’exception puisque le titre est passé d’une situation de décote marquée sur la 2e partie de 2018 à une prime relativement conséquente depuis trois mois. Toutes choses étant égales par ailleurs, le modèle indique que le prix actuel de Nestlé sous-entend que les taux longs à 10 ans se dirigent vers -2% (ils sont à -0,9%). Si ce scénario ne vous réjouit guerre, 24 années consécutives de hausse du dividende vous rassurera (tout comme l’éventualité d’une autre annonce de rachats de titres).

Qui aurait pensé il y a quelques années investir dans les actions pour le revenu au lieu du gain en capital et dans les obligations pour l’appréciation du capital, au lieu du revenu!