Il y a des matins où écrire une chronique boursière n’est pas simple. Pas simple, parce que parler argent, performance et investissement ne semble plus faire aucun sens alors que la préoccupation centrale est ailleurs. Que les gouvernements peinent à mettre des vraies règles en place pour éduquer les gens qui ne parviennent pas à le faire eux-mêmes. Et moi là au milieu qui suis censé parler «performance » et décoder le comportement complètement débile des places boursières depuis quelques semaines, je dois dire que je m’interroge.

L’Audio du 16 mars 2020

 

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Le cycle essorage continue

Je m’interroge déjà de savoir pourquoi est-ce que l’on garde tout ça ouvert alors que plus rien ne fonctionne et qu’en plus, on peut clairement se rendre compte que depuis quelques jours, plus rien ne marche. Le marché ne sait plus où il va et quand on sait qu’il y a une chose que l’on déteste à la bourse ; c’est l’incertitude, autant vous dire qu’avec ce que l’on vit actuellement, cela ne fait plus aucun sens de rester « ouvert ». Nous sommes en train de tenter de stopper la propagation d’un virus tueur et pendant ce temps, on laisse ouvertes des places boursières qui paniquent totalement sous le coup de l’incertitude, j’avoue que là tout de suite, je ne vois pas bien l’intérêt, si ce n’est de faire plus de mal encore et ajouter un stress supplémentaire aux emmerdements du moment.

Il n’y a pas besoin d’avoir 50 ans d’expérience sur les marchés pour se rendre compte que l’on est en train de perdre la raison. Sur les six dernières cessions de trading nous avons fait appel aux « circuits breakers » cinq fois. 5 fois nous avons dû stopper le marché pour donner aux traders et autres investisseurs, le temps de réfléchir 15 minutes pour éviter de faire n’importe quoi. Et MÊME ça, ça n’as pas suffi. Rien qu’en regardant la journée de vendredi, on peut se rendre compte que l’on est passé du stade « stupide » au stade « hystériquement stupide » et à voir la gueule des futures, ça continue ce matin. Je dois vous avouer que ces dernières années, je n’ai jamais eu l’impression que les places boursières débordaient d’intelligence tout en faisant preuve d’une logique parfaitement rationnelle, mais là nous sommes en train de perdre le peu de crédibilité qui reste.

Mais peu importe

Mais peu importe. Peu importe le Coronavirus, peu, importe la course contre la montre dans laquelle nous sommes, les bourses mondiales doivent continuer à fonctionner. Pourquoi ? Je n’en sais foutrement rien – surtout qu’au vu des comportements erratiques qu’elles montrent, je n’appelle même pas ça « fonctionner », mais : « dysfonctionner ». Comme je viens de le dire juste avant ; pour que les bourses fonctionnent à peu près normalement, il leur faut un minimum de « certitude », de convictions et là tout de suite, nous sommes aux antipodes de cela. Oui, effectivement, le fait que tout doive s’arrêter de fonctionner pendant 6 à 8 semaines n’est pas de bonne augure pour la croissance économique en 2020 – pour arriver à cette conclusion il n’y a pas besoin d’avoir un diplôme en Physique Nucléaire.

Mais déjà que lorsque l’on fait des prévisions dans un marché boursier dit « normal », on est faux une fois sur deux, pourquoi est-ce que notre « track record » serait soudainement meilleur dans un marché qui est devenu proprement taré. Autant je n’ai pas été forcément surpris de voir la bourse se planter de plus de 10% la semaine dernière – vu l’ambiance apocalyptique que l’on nous vend dans les médias et sur les réseaux sociaux – autant le rebond de vendredi semblait complètement ridicule, débile, pour ne pas dire complètement con. Ou alors on part du principe que ce marché est piloté par des algorithmes et des systèmes électroniques qui sont en plus terrorisés que nous à l’idée de rester short sur le week-end et qui se couvrent comme des bœufs à la clôture du vendredi soir. L’absence de liquidité aura fait le reste.

Et puis il y a la volatilité

Il y a aussi la volatilité. Cette mesure obscure qui représente soi-disant le niveau de stress des investisseurs. Jeudi dernier nous sommes montés à plus de 75% – des niveaux plus vus depuis Lehman Brothers… On peut donc se poser des questions et se demander si nous avons encore toutes les cases sur le tablard et si nous ne sommes pas en train de partir en sucette à force de tourner en rond dans tous les sens et se raconter les mêmes histoires et leur contraire toutes les 5 minutes. Mais visiblement non, la bourse c’est le dernier rempart qui ne tombera pas. Cette semaine nous allons fermer les « floors » pour les bourses qui en ont encore, mais pour le reste, on va continuer à brasser de l’air dans tous les sens, ce qui va sûrement aider à contenir le virus.

Jusqu’à aujourd’hui, notre job en tant que « type qui fait de l’investissement et qui sait alors que les gens normaux ne savent pas » a été de résoudre des équations assez simples, des équations comme : « est-ce que ça va monter ou baisser ». Mais en ce moment, en plein pandémie, nous sommes en train de passer au niveau supérieur. Niveau supérieur qui nous demande de résoudre des questions bien plus compliquées, des équations du style : « que va-t-il se passer pendant la pandémie, si la pandémie dure longtemps, pas longtemps et tout le temps, et après la pandémie ça sera comment, s’il y a un après et si oui, dans combien de temps et ensuite est-ce que l’on redeviendra tous des capitalistes ou est-ce que l’on votera à gauche (comme à Genève). Bref, vous voyez ce que je veux dire ; l’équation que nous devons résoudre est bien plus compliquée qu’hier et en plus on a bien moins d’informations qu’avant. Ce qui donne lieu à des crises d’hystéries bien plus puissantes que ce qu’on n’ait jamais connu. Mais on doit rester ouvert envers et contre tout. Pourtant, après le 11 septembre, le marché était resté fermé plusieurs jours et ça ne lui avait pas fait de mal de se recueillir, de réfléchir et – peut-être de ne pas devenir complètement con.

Et cette semaine, ça continue

Et visiblement cette folie passagère – enfin, quand je dis « passagère », j’espère que ça sera passager – mais visiblement ce n’est pas près de s’arrêter. Parce qu’au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, la FED a baissé les taux hier soir. Un dimanche soir alors que tout le monde était au balcon en train d’applaudir le personnel médical, Powell a décidé de mettre les taux à zéro et de RELANCER le QE pour 700 milliards, juste pour voir. Lui qui voulait y aller « doucement », il vient de couper les taux de 1.75% en l’espace de 3 semaines. En temps normal, la nouvelle aurait littéralement fait exploser le marché à la hausse, mais justement – et c’est là que ça devient complètement débile – dans l’environnement où nous sommes, le marché et les experts qui sont dedans, voient ça comme une « mauvaise nouvelle » parce que ça le goût de la panique, ça a la consistance de la panique, ça a l’odeur de la panique. Et donc logiquement, c’est de la PANIQUE.

Quand le patron d’une banque centrale vient couper les taux massivement comme ce fût le cas hier, c’est un peu comme quand un politicien vient à la télé pour vous dire que « tout va bien », qu’il ne faut pas avoir peur, que la vie va continuer normalement et qu’il termine son discours en hurlant : ON VA TOUS MOURIR !!!! Ce que Powell a fait hier soir est donc considéré par les marchés comme une décision sous le coup de la panique, de l’angoisse et de la peur, parce qu’honnêtement, il n’a aucune idée de ce qui va se passer après. Et puis surtout, le gars, il y a trois semaines il pilotait la seule banque centrale qui avait encore de la munition. Et en moins de temps qu’il ne faut pour dire « Coronavirus », il se retrouve à poil après avoir étalé tout son jeu. Pas sûr qu’il ait lu « L’art de la guerre », ni qu’il ait fait partie du club d’échecs à l’Université. En tous les cas, si ce qu’il a fait hier ne suffit pas, qu’est-ce qui va  falloir faire.

Black Monday one again

Autant vous dire que la semaine ne commence pas sous les meilleurs auspices. Déjà on a rien à dire, mais en plus quand la FED veut nous aider, on se met en hyperventilation et on court dans tous les sens en criant « Oh My God, Oh My God » tellement fort et tellement souvent qu’après 5 minutes on ne sait même plus pourquoi on criait. La bonne nouvelle c’est que « pour l’instant » – les marchés asiatiques ne paniquent pas sur la tronche du future US qui est en baisse de 5%. Le Nikkei est plus ou moins inchangé, tout comme les Chinois, finalement il n’y a que Hong Kong, Singapour et Bombay qui sont franchement dans le rouge. L’ouverture en Europe devrait également être intéressante, puisque les marchés du Vieux Continent ont raté le rebond de vendredi – les Américains ayant décollé à 17h30, comme d’habitude – mais qu’en même temps il ne serait pas exclu que le rebond de vendredi soit majoritairement effacé ce soir. Ou pas. Ou pas, puisque de nos jours ce qui est valable à 9h du matin n’est pas forcément valable à 15h30 et sûrement différent à 22h…

Oui, le Muppet Show continue et il semble carrément motivé. L’Europe sera-t-elle donc capable de faire les comptes et de naviguer dans cet océan de folie furieuse ? En tous les cas, en attendant, plus personne ne veut d’or, on attend de voir si l’on meurt tout de suite ou plus tard. Actuellement l’once vaut 1547$, le pétrole, quant à a lui, est toujours collé à 31 dollars et des bricoles.

Nouvelles du jour

L’avantage de ce monde de dingue dans lequel nous vivons, c’est que les nouvelles du jour sont de plus en plus facile à lire. Faciles et rapides à lire. Ce matin ça se résume à ce qu’a fait la FED hier soir. Au fait que le Coronavirus continue son job et que visiblement un paquet de crétins refusent de se confiner pour casser la chaîne de contagion et que certains gouvernements peinent à prendre des mesures drastiques parce que y n’a point comme nous et que le Coronavirus ne passera pas par nous. On pourrait presque penser que si on reste « neutre » ça va bien se passer, sauf que cette saloperie issue d’un pangolin qui a passé la nuit avec une chauve-souris dans un labo de la CIA n’est visiblement pas au courant des accords de neutralité déclarés par la Suisse.

Donc on parle de l’évolution du Coronavirus, du fait que l’on ne sait pas combien de temps ça va durer – ce qui n’est pas nouveau – mais aussi de l’éternel bilan qui augmente tous les jours et du fait que ça s’accélère tous les jours. À ce propos la Suisse est en train de prendre la tête du classement en terme de propagation en Europe. Pour une fois que l’on gagne un truc à l’Euro et qu’on est premier du classement on aurait largement pu s’en passer. On notera encore que Ray Dalio et son plus gros Hedge Fund du monde s’est pris une claque monumentale – comme tout le monde depuis 3 semaines – son fonds principal a perdu 20% de sa valeur. Pourtant, lui qui bosse avec des ordinateurs qui ne se trompent jamais, on peut se poser des questions. Ailleurs Goldman Sachs pense que l’on n’a pas vu le pire et la plupart des analystes ont fabriqué des spreadsheet excel pour savoir combien va nous coûter la récession – pour ne pas dire la dépression – qui arrive. Ce qui revient à vouloir connaître la date exacte à laquelle on aura vaincu le virus.

Chiffres économiques – mais qui s’en préoccupe encore ?

En ce lundi matin il y a encore quelques chiffres économiques, mais pour être franc ; ça fait un moment que plus personne ne s’en préoccupe et vu la situation, je crois qu’aujourd’hui ça sera pire. Je ne vais donc pas vous faire perdre du temps avec ça.

Pour faire simple, les futures US sont à la cave, les marchés européens se demandent quoi faire et moi je me demande pourquoi on ne se casse pas tous un mois dans nos salons à la place de vouloir gratter des journées boursières débiles comme en ce moment.

Mis à part ça, je vous souhaite un très bon début de semaine, restez chez vous et refaites-vous encore une fois les 10 saisons de Walking Dead, il y a des trucs à apprendre pour quand il faudra aller braquer le stock de pâtes et de PQ du voisin.

Prenez soin de vous et à demain. Si le marché est encore ouvert.

Thomas Veillet

Investir.ch

“A fanatic is one who can’t change his mind and won’t change the subject.” – Winston Churchill