Lorsque l’on regarde le titre de ce matin, on pourrait croire que j’ai complètement disjoncté et que je me suis mis à la rédaction des contes de fées. Mais en fait, ce n’est pas moi qui ai disjoncté, c’est juste les marchés qui sont en train de perdre la raison – ou plutôt qui ne trouvent plus leur direction. En ce qui concerne les IPO’s, la direction est claire, mais en ce qui concerne le reste, c’est plutôt flou et ce n’est pas en écoutant Powell que le GPS se remet illico en fonction. En fait la journée d’hier pourrait se diviser en deux sections ; la section FED et la section IPO et si l’on se réfère à la seconde, il semble clair que les investisseurs n’ont plus peur d’aucune valorisation lorsque l’on se met à parler de nouvelles technologies que l’on comprend à peine, alors que de l’autre côté, on devient très susceptible sur les déclarations du patron de la FED par rapport aux taux d’intérêts de dans trois ans.

L’Audio du 17 septembre 2020

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Double face

Prenons d’abord le cas de la FED. Hier soir Jerome Powell a déclaré que tant que le taux de chômage n’était pas revenu à la normale et que l’inflation ne serait pas de 2% ; les taux resteraient là où ils sont. Pour le reste il s’est montré très peu enthousiasme sur l’état de l’économie et on peut le comprendre étant donné la situation actuelle. Suite aux déclarations, les experts en analyse comportementale de Jerome Powell étaient tous de sortie et à peu près tous les avis étaient dans la nature. Pour faire simple et pour résumer, les taux vont rester bas, l’économie est toujours plutôt morose, le chômage doit baisser et l’inflation doit monter si l’on veut que ça change.

De mon point de vue, strictement rien n’a changé de puis AVANT le meeting de la FED et APRÈS le meeting de la FED. Ou je me trompe. Mais je ne crois pas me tromper. Donc après les déclarations de Powell, on a senti comme un découragement dans le marché et le mini sell-off qui a suivi a entrainé les indices en direction des plus bas de ces derniers jours, mettant encore une fois en doute le rebond souffreteux que nous vivons depuis quelques jours. Encore une fois, les gérants se sont attaqués aux big names et ont allégrement tapé dessus. Pour faire simple, les Apple, Amazon, Microsoft, Google et Facebook ont passé une sale journée. Facebook plus que les autres parce qu’ils ont la brigade anti-trust sur le dos, mais on se rendait bien compte – encore une fois – que la taille démesurée des géants de la tech en fait une cible de choix lorsque la lassitude s’empare des marchés.

Graphique du Nasdaq 100 – Source : Tradingview.com

Il y a quelque chose de pourri à Wall Street

En tous cas, il y a quelque chose qui semble cassé à Wall Street. Depuis le rebond de mars et l’envolée qui a suivi, nous étions dans une espèce d’euphorie dynamique qui ne laissait aucun doute sur l’avenir, dès que ça baissait on voyait revenir les acheteurs comme si ça ne coûtait rien. On nous parlait stimulus, liquidité abondante, soutien des banques centrales, soutien des gouvernements, injections monétaires et puis depuis quelques semaines : plus rien. Le stimulus américain est en panne, les élections à venir freinent le processus, les valeurs technologiques ont atteint des niveaux de valorisation extrêmes qui laisse quand même à penser que l’on anticipé une croissance majeure du secteur jusqu’en 2030 et on sait tous qu’il y a une explosion d’achats optionnels qui se baladent là dehors un peu comme si un terroriste se promenait dans un van avec une bombe sale prête à sauter au cœur de Manhattan. On sait qu’il y a un risque potentiel de « retour de flamme » si ces positions revenaient brutalement sur le marché. On a beau ne plus en parler depuis quelques jours, mais entre la crispation sur le sujet de la surconcentration des portefeuilles sur 5 titres – tout comme la surconcentration du S&P500 sur les 5 MÊMES titres et le fait qu’il y a peut-être quelqu’un là dehors qui a une exposition optionnelle hors du commun et qu’en cas de retour de manivelle, le Nasdaq et ses stars pourraient en garder des cicatrices, cet état de fait rend le marché très crispé et on le ressent très fort dans des journées comme hier et dans la faiblesse des rebonds de ces derniers jours.

Il y a comme un ressort de cassé et cette moyenne mobile des 50 jours fait office de barrière anti-avalanche et si elle venait à céder, je préfèrerais ne pas être là. Bon, en même temps, j’ai pas trop le choix, je dois être là, mais quand même, il y a un truc qui pue dans ce marché et ce n’est pas le même marché qu’il y a trois semaines. À moins que vous soyez devenu un spécialiste des IPO’s, auquel cas, rien n’a changé.

La neige et la grenouille

Hier nous avons donc eu droit à deux IPO’s hyper-chaudes et super-bouillantes. Les deux sociétés concernées sont de boîtes actives dans le Software pour le Cloud. Et on savait que ça serait du délire. Peut-être pas à ce point-là, mais on y était préparé. Avant d’aller plus loin dans le déroulement de ces deux IPO’s, je voudrais déjà signaler le fait que tout le monde était hyper-chaud et super-bouillant sur ce deux IPO’s et je suis pratiquement convaincu que 80% des gens qui ont acheté ce titre ne comprennent même pas ce que fait Snowflake ou JFrog. Non, parce que lorsque l’on parle d’Amazon, d’Apple ou de Facebook, ou même de Tesla, si vous avez un mec qui débarque de Mars avec 8 bras 4 oreilles, qui est tout vert et qui vous demande de lui expliquer ce que ces sociétés font, je suis persuadé qu’un gamin de 15 ans qui passe plus de temps sur Tik-Tok que sur ses bouquins de maths, peut largement lui expliquer ça en trois minutes et très simplement. Pour ce qui est de JFrog et de Snowflake, c’est un peu moins facile. « Oui, mais c’est pourtant simple, ils font du software pour le Cloud ». Super et c’est quoi du Software pour le Cloud ? Qui a déjà vu un Snowflake store ? Qui a déjà travaillé avec JFrog ? Et qui a déjà rencontré un « Cloud » pour de vrai ? Vous le concéderez, ces deux IPO’s sont un peu ésotériques lorsque l’on veut expliquer ce qu’ils font. Mais pour être honnête, en 2020 on se fout pas mal d’expliquer les choses. Il suffit de savoir que Warren Buffet est dedans – alors qu’il n’a même pas un pc sur son bureau et tout le monde est content.

Rocket man

Bref, hier JFrog, qui avait été pricée à 44$ a terminé sa séance en hausse de 47% à 67$ été des poussières, la société israélienne a immédiatement explosé sa valorisation de base et on se demande déjà ce que ça vaut réellement. Et puis il y a Snowflake, le nouveau chouchou de Wall Street, depuis quelques jours on sentait qu’il allait se passer un truc. Snowflake a donc passé ces derniers jours à augmenter son pricing à l’émission et après avoir atteint les 120$, soit une valorisation de plus de 30 milliards, le titre a terminé son premier jour de trading en hausse de 130% à plus de 250$. Autant vous dire que s’ils étaient venus faire ça au moins d’août en plein disjonctage technologique, le Nasdaq prenait 1’000 points en sympathie.

Il y a de quoi être satisfait de ce qui s’est passé. Oui, mais en fait y-a-t-il vraiment de quoi être satisfait ? Non, parce que je ne suis pas un fondamentaliste et lorsque je vois un bilan financier, j’ai surtout envie de l’utiliser pour faire un feu de cheminée, mais d’après ce que j’ai compris, dans le secteur technologique, la boîte la plus surévaluée jusqu’à hier matin, c’était Zoom – Zoom, vous savez le truc qui nous a permis de rester en contact avec nos collègues pendant la pandémie – eh bien en termes de valorisation – si l’on prend le ratio revenus/ventes, Snowflake est déjà deux fois plus chère et deux fois plus chère que la concurrence comme Zscaler. Et je n’ai toujours pas compris ce que Snowflake fait vraiment. Bon, j’avoue j’ai essayé de lire sur le sujet, mais à la quatrième ligne je m’endors à chaque fois. Tout ça pour vous dire qu’il y a un truc qui ne joue pas. C’est trop cher, trop surévalué et y trop de monde qui trouve ça génial.

Il y a quelques années, en l’an 2000 pour être précis, un de mes copains traders à Genève m’avait appelé pour me recommander une boîte qui s’appelait Illinois Supraconductors – lorsque je lui demandais pourquoi il fallait acheter la réponse fut assez basique :

  • Tu sais ce que c’est un Semiconducteur ??
  • Ben… euh.. oui.
  • Ben eux ils font des Supraconducteurs, donc c’est mieux parce que c’est « SUPRA ».

Et le pire c’est que j’en ai acheté et que je les ai toujours, le seul problème c’est que ça a pris le chemin inverse d’Apple et que ça vaut zéro. Alors depuis le temps, je ne suis toujours pas expert en supraconducteurs, mais j’ai appris qu’un semi-conducteur et un supraconducteur avaient en commun à peu près autant qu’une glace au chocolat et un hamburger. Tout ça pour vous dire que ce qui s’est passé hier est complètement délirant. J’espère sincèrement que les projections de croissances que l’on donne à ce secteur – le software du cloud – sont correctes, parce que sinon, j’ai super peur.

L’Asie le dollar et la faiblesse du genou des appuis du marché

Ce matin les futures sont au fond du bac, l’Euro/Dollar s’est retourné suite aux commentaires de la FED – il est à 1.1750 et les supports des 1.18 ont été littéralement explosés par les commentaires de Powell. L’Asie perd entre 1 et 1.6%, les futures US sont indiqués en baisse de près de 1% et à ce rythme-là, la moyenne mobile des 50 jours sur le Nasdaq et le S&P500 vont exploser comme le support des 1.18 sur l’Euro/Dollar.

L’or est à 1945$ et se demande si c’est son tour d’y aller, le pétrole est à 39.65$ et a même touché les 40$ -c’est à ne plus rien y comprendre. Pour ce qui est des nouvelles du jour, je crois que nous avons plus ou moins fait le tour. Tout le monde parle de la FED, des conséquences du discours de Powell – qui visiblement, ne sont pas bonnes et puis on parle de Snowflake, de TiK-Tok qui fait toujours parler de lui parce que Trump se fait prier pour signer un deal. Ah oui, on apprend aussi que les USA veulent signer un contrat d’armement avec Taïwan à hauteur de 7 milliards de dollars. Contrat qui va sûrement faire super-plaisir aux Chinois. La journée qui nous attend risque d’être compliquée et je suis prêt à parier que l’on va nous ressortir les histoires du Black Thursday, du15 septembre 2008 et du fait que le mois de septembre est un mois pourri. Il est cependant assez vrai que nous sommes sur des zones critiques et les craintes que j’exprimais un peu plus haut sur la faiblesse des marchés sont peut-être en train de se concrétiser.

Les chiffres du jour

Côté chiffres du jour, nous aurons la Banque d’Angleterre, le CPI en Europe, les Jobless Claims qui ont toujours leur carte à jouer dans cette belle ambiance – manquerait plus que l’on ait des chiffres pourris qui montre que l’économie sous COVID 19 ne repart pas et il y aura aussi le Philly FED. Pour le moment les futures et l’Asie sont mal en point et ça donne plutôt envie de retourner se coucher.

Bonne journée et à demain, ou à toute à l’heure sur YouTube, chaîne Swissquote Suisse.

Thomas Veillet

Investir.ch

« La seule chose d’exacte dans les journaux, c’est la date » Coluche