D’entrée, le président Biden a pris une posture très ferme face à Ryad. Dans son premier discours de politique étrangère, il a en effet annoncé une "suspension" de certaines livraisons d'armes au royaume saoudien.

Sa directrice du renseignement, Avril Haynes, a promis la déclassification d’un mémo de la CIA sur l’assassinat du journaliste Khashoggi, qui incriminerait Mohamed Ben Salman. Son secrétaire d’Etat, Antony Blinken, vient d’affirmer que « si l’Iran revient dans les clous » de ses engagements nucléaires, les Etats-Unis pourraient envisager un retour dans le pacte de 2015 « comme point de départ pour des discussions ». Le virage est clair: fin du soutien inconditionnel au prince MbS et redistribution des cartes régionales.

Au-delà des mots et intentions, l’administration Biden devra gérer deux problématiques: la Chine et la pérennité de son équilibre financier

Les Chinois tentent depuis des années de sécuriser leur approvisionnement en hydrocarbures à long terme. Pour l’instant, les relations entre l’Arabie saoudite et la Chine ont été essentiellement fonctionnelles, mais pas stratégiques. La Chine est pourtant le premier importateur mondial de pétrole saoudien. En pleine crise Khashoggi, elle a accueilli avec enthousiasme MbS, le prince controversé, suggérant que leur relation ne serait pas mise en danger. En 2017, elle avait proposé d’acheter directement 5% d’Aramco. En 2019, lors de son introduction en bourse, les entités d’État chinoises envisageaient d’investir 5 à 10 milliards de dollars dans le géant pétrolier saoudien.

L’année dernière, Aramco a confirmé qu’elle étudiait des options communes avec Pékin pour développer et fournir d’autres sources d’énergie, comme le gaz naturel et l’hydrogène. En novembre passé, Aramco a évoqué la possibilité d’émettre des obligations libellées en yuan. Le « petroyuan » est un élément central de la stratégie monétaire chinoise, qui a déjà établi un marché pour les contrats à terme de pétrole brut libellés en yuan à Shanghai. Certes, pour des raisons historiques de défense et de sécurité, les chinois ne peuvent pas assumer le rôle de mentor de Washington auprès de Ryad. N’oublions toutefois pas que, en 1986, les Saoudiens avaient secrètement acheté et installé dans leur sous-sol 50 missiles chinois CSS-2. Cela avait déclenché une crise diplomatique avec Washington, en raison de la sécurité d’Israël. Les Saoudiens ont refusé de le démanteler. Ils ont également acheté des drones à la Chine, qu’ils utilisent au Yémen.

Le recyclage des pétrodollars contribue vertueusement au financement à long terme de l’administration américaine. L’Arabie saoudite, notamment, fait partie des dix premiers détenteurs de bons du Trésor américain depuis des décennies. Les autres monarchies pétrolières, moins puissantes, participent également au même processus.

Or, les États-Unis connaissent à nouveau une certaine désaffection – relative – pour leurs obligations souveraines. A ce stade, ce sont avant tout la Russie et la Chine qui ont significativement réduit leurs achats. D’autres pays occidentaux et le Japon font de même. Une rupture sérieuse de Washington avec les pays sunnites du Moyen-Orient entraînerait l’affaiblissement marqué du dollar, comme ce fut historiquement le cas lorsque les investisseurs ont quitté le marché des obligations souveraines américaines. On pourrait assister à une forme de remake des débuts des années 80 et 2000…

Corollaire logique, il s’ensuivrait une hausse marquée de l’inflation et des taux d’intérêt américains. Un tel scénario semble particulièrement toxique au moment où Biden multiplie les dépenses pour financer des grands travaux et des plans de relance.

Points à surveiller

  • Certes, l’évolution des prix du pétrole est moins importante qu’au siècle dernier, car les économies développées sont moins dépendantes des énergies fossiles.
  • Néanmoins, une redistribution débridée des cartes au ME pourrait avoir un impact sérieux sur le dollar et sur les flux de capitaux, les fameux « pétro-dollars »…
  • … et donc sur les marchés financiers.

 

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