Si l’on observe la clôture de vendredi dernier et si l’on se base sur les peurs qui sont les nôtres depuis des semaines, on peut quand même se demander si les marchés sont capables de réfléchir sur deux choses en même temps, ou pas.

L’Audio du 29 mars 2021

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Pas la période la plus passionnante

Nous ne vivons pas la période la plus passionnante, il faut le reconnaître. Depuis des semaines nous vivons une histoire d’amour/haine avec l’inflation et cela nous empêche de penser rationnellement. Il faut dire que depuis une année nous vivons au rythme des stimulus et des espoirs de voir une économie post-covid se reconstruire. Autant il y a un an presque jour pour jour, nous étions au bord du gouffre à guetter le premier potage de chauve-souris qui passait pour déclencher un sell-off. Autant aujourd’hui – alors que les premiers signes de recovery pointent leurs nez, soudainement on a très peur d’un truc que l’on maîtrise très mal : l’inflation.

Depuis que l’on a redécouvert le rendement du 10 ans américain et sa signification, nous avons réellement de la peine à nous lâcher. Oui, parce qu’il faut quand même savoir que dans le monde merveilleux dans lequel nous naviguons, en temps normal on se fout totalement de ce qui se passe sur le 10 ans. Totalement. Sauf que là, depuis 2 mois on s’est aperçu qu’il remontait un peu vite – le rendement – et que comme on s’est soudainement souvenu que ça pouvait être un signe précurseur de l’arrivée de l’inflation, on a commencé à avoir peur. Peur que l’inflation galope tellement fort et vite que Powell soit obligé de monter les taux en catastrophe et de faire caler cette économie qui vient à peine de renaître de ses cendres grâce aux vaccins et aux multiples stimulus.

Bon, à ce stade-là de ma chronique ; on est bien d’accord que l’on parle de l’économie américaine – pour ce qui de l’économie européenne, on est toujours dans le coma et à voir ce qu’on voit et à entendre ce que l’on entend, on n’est pas vraiment encore sorti de l’auberge – d’ailleurs la seule chose que l’on demande, c’est de pouvoir y entrer, déjà. Dans l’auberge.

Les taux ou l’étau ?

Nous sommes donc obsédés par ces risques inflationnistes qui nous posent des problèmes assez conséquents au niveau de notre perception des marchés, mais en même temps, on a des séances comme vendredi dernier où soudainement on oublie le rendement du 10 ans et où l’on se concentre uniquement sur l’économie américaine qui redémarre et cette perspective de pouvoir revivre normalement – sans masque – et, hypothétiquement de retrouver un job normal et de consommer. Lorsque l’on se trouve dans cette position – comme vendredi dernier – on se rend compte que plus personne ne regarde les rendements du dix ans et tout le monde cherche quoi acheter pour ne pas rater le train de la hausse.

Oui, parce que nous en sommes là. Nous en sommes à un point que les intervenants sont terrorisés à l’idée de se faire prendre dans l’étau de la baisse à cause des taux. Mais en même temps, on tremble de peur de rater le prochain mouvement haussier. Et croyez-moi, en observant les marchés en ce moment, j’ai le sentiment que nous sommes dans les starting-blocks pour un mouvement très fort et très violent. À la hausse ou à la baisse. Et l’angoisse du moment est probablement celle de « rater le train ». En effet, actuellement nous sommes tous d’accord pour dire que nous sommes beaucoup montés et qu’il y a des signes de délirium aggravé sur pas mal de choses – si demain un krach se pointait à l’horizon, cela ne surprendrait personne et les discussions de tables de bistrots – s’ils étaient ouverts – serait nombreuses et on entendrait souvent la phrase « c’était EVIDENT que ça allait baisser, ça pouvait pas continuer comme ça »… discussions qui se terminent généralement par le fameux « JE LE SAVAIS MAIS JE POUVAIS PAS LE DIRE ».

Mais, alors que nous craignons la correction, si l’on venait à s’emballer encore à la hausse ; nous serions terriblement angoissés de « ne pas être dedans », parce que là aussi il serait facile de dire – APRÈS COUP – que c’était évident que ça allait monter, qu’il fallait être idiot parce qu’entre les stimulus, les taux à zéro et les banques centrales qui nous soutiennent, autant dire que l’on ne peut pas, que l’on ne doit pas  et que l’on ne va pas baisser. Et quand on ne baisse pas, on monte. Encore un truc que l’on savait mais que l’on ne pouvait pas dire.

Nouvelle semaine raccourcie

Nous voici donc devant une nouvelle semaine et un nouveau dilemme ; doit-on avoir peur de rater la hausse ou doit-on avoir peur du krach ? Dans les deux cas il y a des arguments qui sont valables. Dans les deux cas on voit que CELA pourrait se produire. Alors en attendant on regarde le rendement du 10 ans avec méfiance, on regarde le cours du pétrole avec des doutes plein la tête, on se pose des questions sur le navire qui bloque le Canal de Suez et des conséquences éventuelles sur l’économie. Mais en même temps on rêve de voir Cathie Wood avoir raison sur la tech et on surveille attentivement ses collègues de bureau pour sauter dans le même train qu’eux et ne pas rater le prochain bull market annoncé, quitte à acheter du Bitcoin comme tout le monde s’il faut. Oui, en cette semaine de Pâques nous sommes en pleine ambivalence – on passe nos journées à danser sur « Should I Stay or Should I Go » et chaque fois que l’on prend une décision, on la regrette dans les trois minutes qui suivent et on repart dans l’autre sens, pour regretter aussitôt. Sauf qu’à un moment, le train va se barrer et faudra choisir une direction. Mais pour le moment, on dirait que c’est encore trop dur.

Ce matin en bref

Ce matin l’Asie est en hausse parce que Biden parle tous azimuts de son « autre » plan de stimulus pour les « infrastructures » – 3’000 milliards qui vont bien finir par atterrir partiellement en Asie – peu importe – mais ce matin on est motivé sur le sujet. Le Nikkei progresse de 1%, le Hang Seng monte de 0.2% et la Chine grimpe de 0.8%, mais c’est dur pour la Chine qui n’arrive pas à relever la tête de son dernier sell-off.

Pour ce qui est du reste, l’or est toujours dans un coma profond et je crois que l’on pourrait faire un fixing mensuel, ça serait largement suffisant, sachant que tout le monde s’en fout et que TOUT LE MONDE sait dorénavant que LA VALEUR REFUGE – LE HEDGE CONTRE L’INFLATION et le seul truc qui peut faire revenir l’être aimé, réparer les voitures à distance, trouver un job mieux payé et vous donner les chiffres de l’Euromillions deux fois par semaine ; c’est le Bitcoin – qui vaut lui 55’000 malgré que le stratégiste d’une grande banque suisse ait dit ce week-end qu’il n’était de loin pas convaincu de la pérennité de ce « truc ». Autrement le baril est à 60$ et il ne sait toujours pas quoi faire par rapport au Canal de Suez, alors que l’on entend que certaines « major » pétrolières ont commencé à dérouter leurs tankers pour faire la route le Sud de l’Afrique. Ce qui va sûrement ne rien coûter, ni terme de pognon, ni en terme d’empreinte carbone.

Nouvelles neuves

Pour les nouvelles du jour, le FT fait sa une avec « l’affaire Archegos » après des transactions massives effectuées par la société d’investissements vendredi soir sur Discovery et Viacom, faisant plonger les deux titres de 30% chacun – la vente précipitée aurait été exigée parce qu’ils avaient trop de levier sur leurs positions – l’effet Margin Call a encore frappé. La question que l’on se pose ce matin, c’est de savoir s’ils ont beaucoup de positions à liquider encore. La rumeur veut que ce soit fini, mais vu l’efficience des marchés par moment, on peut se poser des questions.

Autre nouvelle importante ; l’état de New York devrait voter la légalisation du cannabis récréatif d’ici mardi. Un état de plus que l’on peut rayer sur la liste des états qui doivent « encore le faire ». Et puis, selon un tweet tard cette nuit, il semblerait que le cargo Ever Given qui bloquait le Canal de Suez a été dégagé. Pour le moment, pas plus d’infos sur la réouverture du Canal. On notera encore que NIO a annoncé ce matin qu’ils fermaient une de leurs usines pour cause de « shortage de semi-conducteurs », ça devient un vrai problème, mais heureusement, Tesla va à 4’000.

Chiffres économiques

Côté chiffres économiques, il n’y a rien. Côté banquiers centraux, il n’y a rien, la semaine sera courte pour cause de week-end pascal, mais en revanche, vendredi il y aura quand même les chiffres de l’emploi aux USA – histoire de voir si l’on va s’emballer de joie à voir l’économie repartir ou paniquer à l’idée de voir l’inflation arriver.

Pour le moment, les futures sont en baisse de 0.4% et je vous souhaite un excellent lundi et un très bon début de semaine.

À demain.

Thomas Veillet

Investir.ch

“A failure is like fertilizer; it stinks to be sure, but it makes things grow faster in the future.”

– Denis Waitley