Les efforts consentis par l’ensemble des acteurs économiques en matière environnementale, sociale et de gouvernance ont deux vertus principales: celle de prendre en considération les externalités négatives induites par nos activités économiques débridées puis de contribuer à en minimiser l’impact. Cependant, panser les plaies en réduisant l’instabilité ne suffit pas à faire émerger un modèle durable. Le choix du modèle économique de demain doit intégrer les contraintes relatives imposées par le monde vivant. On n’en a rêvé, l’économie circulaire l’aurait-il fait?

Les deux premiers volets[1] de ce triptyque questionnant le concept de durabilité ont permis de pointer du doigt quelques croyances (dogmatiques?) qui constituent les fondements de nos processus actuels de décision. La conviction que, sous la seule impulsion du progrès technique, le modèle économique de croissance contribuerait à accroître le bien-être collectif, en est une. Ainsi que l’idée, héritée du siècle des lumières, selon laquelle la Nature n’aurait qu’une valeur instrumentale et non intrinsèque. La Nature serait donc considérée comme une variable d’ajustement dans l’équation égalant accumulation des richesses matérielles et bonheur. Or, les déséquilibres environnementaux et sociaux, désormais avérés, semblent révéler une tout autre réalité.

Les limites de l’intelligence humaine à appréhender la nature complexe du monde plongent chacun d’entre nous dans une sorte de confusion. En effet, si l’être humain dispose des armes pour affronter un problème «compliqué» qui, par définition, est composé d’une juxtaposition de facteurs qu’il est possible de démêler, il se trouve par contre plus démuni pour affronter un problème «complexe» dont les composantes, cette fois, sont interconnectées. L’enchevêtrement des liens de cause à effet est souvent difficile à appréhender. C’est toute la difficulté à laquelle nous sommes confrontés, par exemple, dans le cadre de l’évaluation des émissions de gaz à effet de serre[2] générées tout au long de la chaîne de valeur.

Une approche rationnelle et réductionniste[3] suffirait souvent à dénouer un problème «compliqué» alors qu’un problème «complexe» exige d’adopter une vision holistique du monde, hors de portée de la nature humaine. En niant le caractère complexe du monde dans lequel nous vivons et l’indéfectible interdépendance entre économie, environnement et social, le modèle économique actuel, qualifié de «linéaire», n’est pas adapté à la réalité. Il omet, entre autres, d’internaliser les externalités négatives matérialisées par l’épuisement des ressources naturelles et l’accumulation ingérable des déchets.

Ce constat est une invitation à changer le fonctionnement de notre système de production et de consommation en allant directement s’inspirer du processus naturel opéré par le monde vivant. Les pouvoirs publics et les autorités de régulation s’emparent de cette problématique et en font, surtout à l’échelle européenne, le cœur de leur combat[4]. Cela se traduit, entre autres, par la volonté de faire du modèle d’économie circulaire le modèle «mainstream» de demain.

Ce modèle puise ses origines dans des écoles de pensée qui s’entrecroisent autant qu’elles se complètent. Le concept de « Cradle to cradle » introduit par le chimiste allemand Michaël Braungart et l’architecte américain Bill McDonough a permis de s’atteler au défi des déchets en leur attribuant les qualités de nutriments et en en faisant ainsi une ressource potentielle. Ils partent du constat que deux catégories de matériaux sont incluses dans le processus de production : les matériaux technologiques et biologiques. Ils considèrent qu’il existe un métabolisme technologique qui pourrait s’inspirer du métabolisme biologique, permettant ainsi aux matériaux composant les produits de perpétuer indéfiniment leurs cycles de vie. L’idée de calquer le système de production sur le vivant émerge. Ce point est parfaitement approfondi et conceptualisé par le principe de biomimétisme imaginé par la scientifique américaine Janine Benyus dont le propos est de s’inspirer du vivant et de son processus de fonctionnement pour faire face aux défis de l’humanité. La Nature devient alors l’élément de référence par excellence.

L’architecte suisse Walter Stahel introduit, dans son ouvrage «The Performance Economy», la notion de circuit fermé (ou «closed loop»). L’approche circulaire du processus de production est présentée comme une opportunité de création de valeurs et une solution aux problèmes de gestion des déchets et de surexploitation des ressources naturelles. «Designing products that can be made to be made again», tel est son credo. Le concept qui lui est lié est celui d’économie de services où l’usager remplace désormais le consommateur, écartant par la même occasion la notion de propriété.

L’écologie industrielle complète le tableau pour parachever le modèle d’économie circulaire. En se définissant comme «l’étude des flux d’énergie et des matériaux au sein du système industriel», elle met en exergue l’interdépendance existante entre système industriel et système vivant. Son ambition est de construire un écosystème industriel d’où émanerait le principe d’émergence propre à l’holisme[5]. Cette discipline suggère d’adopter une approche systémique, sonnant ainsi le glas du réductionnisme.

L’économie circulaire s’est donc forgée autour de l’ensemble de ces écoles de pensée et contribue à redorer le blason du capitalisme en lui floquant l’épithète de «naturel», décrivant une économie soucieuse de concilier à la fois intérêts économiques et environnementaux.

L’innovation émanant de l’économie circulaire est à la fois technologique et conceptuelle. La technologie devient un outil affecté à la reproduction des mécanismes du système vivant. L’ambition est alors de doter la chaine de valeur d’une autonomie qui permettrait de contourner la contrainte de finitude des ressources naturelles et de maximiser la vie des produits et des matériaux qui les composent. C’est une condition sine qua non à la construction d’un monde durable.

 

N/B Article inspiré de la conférence coanimée avec Juan-Carlos Lara (ESG-LAB) à l’UNIGE, le 27 novembre 2020

[1]  Publiés respectivement le 12 et 18 mars 2021 (cf. https://www.investir.ch/auteur/dcontamin/)
[2]  Et que tentent de couvrir les « scope » 1, 2 et 3
[3]  Pour une définition du réductionnisme, se référer à « Questionner le concept de durabilité (Partie II) », investir.ch, 18 mars 2021
[4]  Cf. Projet du « European Green Deal »
[5] « Le tout est plus que la somme des parties »