Nous sommes presque au plus haut à New York, au plus haut en Europe, l’Asie se tâte en parlant de quatrième vague, l’économie repart aux USA, l’Europe est dans les starting-blocks, attendant juste que les confinements se terminent (s’ils se terminent un jour) et puis maintenant on attend les chiffres du trimestre. Mais pour ça, il faudra attendre la semaine prochaine. Alors en attendant, on ressort les vieux trucs de la naphtaline et on s’amuse à se rappeler le passé.

L’Audio du 7 avril 2021

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Retour en 2008

Hier pendant un bref instant je me suis senti projeté 13 ans en arrière. Inutile de vous dire que ça m’aurait clairement arrangé au niveau de l’âge, mais pas forcément au niveau du reste. Toujours est-il que je me suis retrouvé soudainement dans le même environnement dans lequel nous étions en 2008. Tout d’abord les marchés bondissaient de records en records, les investisseurs étaient convaincus que rien ne pouvait arrêter la progression des marchés et que n’importe quel produit structuré à deux balles avec un disclaimer de 8 pages et une explication technique qui aurait rebuté un professeur de physique quantique pouvait vous rendre riche à millions en l’espace de quelques heures. Quelques jours au pire.

En ce temps-là, la plupart des gens qui faisaient de la gestion de fortune ou de l’investissement n’avaient même pas vécu la bulle internet et étaient rentrés dans les « ordres » après le 11 septembre, ils pensaient que les marchés qui baissaient n’étaient qu’une légende, que ça n’arrivait que dans les films et que les gars qui racontaient les krachs d’antan, étaient des malades mentaux échappés d’un asile qui se prenaient pour une espèce d’ersatz de Michael Douglas dans Wall Street, en provenance directe d’une époque qui n’existait pas, qui n’avait même sûrement jamais existé. Certains pensaient même que la bulle internet de l’an 2000 ou le krach de 1987 n’étaient que des légendes urbaines qui ne valaient pas mieux que le monstre du Loch Ness ou le Yéti.

Docteur Doom

Et puis, en 2008 de nouveaux noms sont apparus dans la finance. On a commencé à parler de Docteur Doom et, dans une moindre mesure, de Michael Burry. Docteur Doom, lorsqu’il enlevait son costume de « Super-Bearish », s’appelait en fait Nouriel Roubini, un prof de finance new-yorkais qui avait commencé à se demander si à force d’empiler des dettes sur des dettes et d’en faire des produits qui seront eux-mêmes les produits d’un nouveau produit au carré, le tout adossé à de l’immobilier qui n’existait pas vraiment – ne risquait pas, à terme, de nous péter à la figure de manière fort désagréable. En ce temps-là, on s’est bien foutu de lui, parce que ça ne faisait aucun sens, en ce temps-là c’était tellement facile la bourse que l’on n’allait pas se priver de se goinfrer à cause des paroles d’un type à moitié hystérique qui ne bossait même pas pour Goldman Sachs alors que l’on faisait des millions en vendant des produits mystérieux à nos clients, engrangeant des commissions indécentes – mais justifiées, puisque le client engrangeait encore plus. Ça n’était que juste retour des choses et grandeur professionnelle.

C’est à cette époque que Michael Burry a commencé à shorter toutes ces merdes de subprimes. Juste au moment où tout le monde avait décrété que c’était EVIDENT qu’investir là-dedans était une manne financière sans précédent et que l’on allait enfin pouvoir faire du fric, du fric et du fric parce que l’on avait ENFIN décodé l’ADN des marchés et que ça ne pourrait plus jamais baisser. La suite on la connait. La plupart des banques se sont laissées séduire par ces chimères, elles ont toutes inventés des produits plus géniaux les uns que les autres – je le sais j’étais dans l’une d’entre-elles et ça n’était pas le Crédit Suisse – ça aurait pu, mais ça n’était pas eux. Puis un jour de septembre 2008 – le 15 pour être précis – Lehman Brothers a mis la clé sous la porte et tout est parti en vrille. Roubini est définitivement devenu Docteur Doom – il est faux depuis, soit, mais entre deux il a donné des conférences à 400’000 balles de l’heure, ce que vous ne ferez jamais et Michael Burry et devenu une Star, ils ont même fait un film sur lui avec Christian Bale dans son rôle – ça s’appelait « The Big Short ».

Et alors ?

Vous devez vous demander pourquoi je vous raconte tout ça alors que les marchés sont au plus haut de tous les temps, que l’on est presque convaincu que l’on a enfin trouvé la clé pour décoder les marchés et que l’abondance de liquidités, les taux à zéro et le soutien des banques centrales vous nous permettre de voir monter les marchés encore et encore et que l’on est presque persuadé que, finalement, peut-être bien que les arbres peuvent monter au ciel. Pourquoi je vous parle de ça au moment où le S&P500 à 4’000 et le DAX à 15’000 sont devenus le « new normal » ?

Eh bien tout simplement parce qu’hier le marché a encore vécu un épisode de volatilité assez fou sur les titres liés à Archegos Capital, puisque le Crédit Suisse est en train de liquider le reste de ses positions avec la délicatesse d’un éléphant dans Apple Store pour essayer de limiter sa perte à 4.7 milliards – le même Crédit Suisse qui avait tenté de faire des milliards en backant certains produits de Lehman Brothers (ok, ça n’était pas les seuls, mais ça fait mieux dans mon histoire) – qu’en même temps, Docteur Doom est de retour et nous annonce que ce qui se passe pue à 300 mètres et que les multiples bulles qui se forment dans tous les coins vont bien finir par nous péter à la figure et plus on les laisse gonfler, plus l’explosion sera violente, forte et nauséabonde – il a même ajouté que « l’affaire Crédit Suisse était un signe ». Sans compter qu’hier soir Michael Burry s’est retiré de Twitter parce que la SEC a lancé une investigation sur ses tweets au sujet de GameStop, ce même Michael Burry qui annonce depuis des mois que Tesla va s’effondrer et que c’est une daube sans nom.

Alors bon, je dis ça, je dis rien. Je voulais simplement rappeler que 13 ans après, non seulement j’écris encore et des chroniques boursières pour essayer de vous réveiller le matin, mais aussi que Roubini, Burry et le Crédit Suisse sont à nouveau sur la brèche pour nous rappeler que tant va la cruche à l’eau, à la fin elle se casse. J’ajouterais que la probabilité que Burry et Roubini aient raison À NOUVEAU en même temps, 13 ans après est à peu près aussi plausible que de voir Alain Berset manger dans un restaurant durant les 24 prochaines années sans qu’il se fasse empoisonner, mais ça valait la peine d’en parler et de se remémorer la chose. Surtout qu’il n’y a vraiment pas grand-chose à dire ce matin.

En bref

Ce matin le Japon est en hausse parce qu’on est « optimiste » à cause des vaccins, par opposition à hier où on était pessimiste à cause de la quatrième vague. La Chine et Hong Kong reculent de 0.5%. L’or est à 1738$ et est à peu près aussi excitant qu’un épisode de l’Inspecteur Derrick en version originale non sous-titrée. Le pétrole s’accroche autour des 60$ tel Sylvester Stallone dans Cliffhanger quand il est pendu à une corde par moins 30 degrés en t-shirt, le baril vaut 59.45$ et le Bitcoin est légèrement en baisse autour des 57’600$, ce qui est assez rare pour être signalé.

Dans les nouvelles du jour, le groupe de Private Equity CVC serait sur le point de racheter Toshiba pour 20 milliards de dollars. Autrement on nous parle encore et encore de l’affaire Archegos. Tandis que les têtes tombent comme des mouches au Crédit Suisse et qu’à ce rythme-là, l’UBS va finir par faire un take-over – à moins que ce soit le Conseil Fédéral qui s’y mette, on apprend aussi que Morgan Stanley aurait liquidé 5 milliards de titres Archegos LA VEILLE de l’implosion du truc. Comme quoi dans ce milieu on est tous égaux – y en a juste qui sont plus égaux que les autres. C’est drôle – c’est justement la base de l’intrigue de mon manuscrit qui deviendra un roman – peut-être. Et pour terminer, Le FMI a une nouvelle fois relevé ses prévisions de croissance pour l’économie mondiale et table désormais sur un rebond de 6% cette année grâce aux mesures monétaires et budgétaires sans précédent pour lutter contre le virus.

Chiffres économiques

Côté chiffres économiques il y aura le PMI des services un peu partout en Europe, mais aussi en Angleterre. Aux USA, nous aurons droit au Trade Balance, aux inventaires pétroliers et aux Minutes du FOMC Meeting, histoire de voir, comme d’habitude, si on n’a pas raté un truc écrit en tout petits caractères en bas de la page.

Les futures sont légèrement en hausse, mais alors très légèrement et les marchés, malgré l’émergence de Roubini, restent confiants pour les raisons que l’on connait : vaccins en hausse, chiffres de contamination en baisse aux USA et espoir de réouverture complète dans tous les Etats américains d’ici peu. Le Gouverneur de Californie vient d’annoncer que le 15 juin la Californie sera 100% de retour à la normale. En attendant le même genre de nouvelles pour l’Europe, mais pour juin 2022, il me reste à vous souhaiter une très belle journée avec les salutations de Roubini, Burry et le soutien amical du Crédit Suisse.

À demain.

Thomas Veillet

Investir.ch

“I can resist everything except temptation.”

– Oscar Wilde