C’est toujours une bonne nouvelle de se sentir plus jeune, de revivre les mêmes émotions que l’on a vécu il y a plus de vingt ans. C’est une moins bonne nouvelle quand on l’impression de vivre les mêmes émotions que l’on a vécu en l’an 2000 pendant le krach éponyme. Alors oui, forcément, en l’an 2000 on ne savait pas tout de suite que l’on était en train de vivre l’effondrement de la bulle internet, mais ce qui me dérange, c’est qu’il y a des trucs qui résonnent pareil. Des comportements boursiers qui sont similaires. J’espère sincèrement me tromper, mais au vu du pathétique rebond de la séance d’hier et des agissements singuliers de certains titres, il y a des souvenirs qui reviennent.

L’Audio du 28 avril 2022

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Toujours plus moche

Avant de revenir sur l’aspect « micro » qui me rappelle une époque que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, on va rapidement revenir sur l’empilement du nombre d’emmerdes macro et géopolitiques qui nous pèsent toujours un peu plus lourd sur les épaules chaque jour. Tout d’abord, je tiens à préciser qu’il n’y a absolument rien de nouveau. On ne sait rien de plus qu’hier et entre hier matin et ce matin, la FED n’a pas changé sa politique de taux, les CPI’s n’a pas été révisé à la baisse, Poutine fout toujours la trouille à tout le monde, Macron prépare des tonnes de vaseline pour expliquer aux Français comment son nouveau quinquennat sera différent et Biden ne sait toujours pas en quelle année nous sommes, puisqu’il est persuadé qu’Elvis est toujours vivant et qu’il va chanter la semaine prochaine en duo avec Michael Jackson au Madison Square Garden.

Mais disons que comme nous avons tendance à nous réchauffer les mêmes nouvelles macros encore et encore, ces derniers temps. Sans compter que nous avons la capacité d’avoir peur deux fois pour la même raison. On peut s’inquiéter de l’omniprésence de certaines nouvelles qui sont vraiment persistantes dans les médias de la nuit. Encore une fois ; rien de nouveau, mais c’est pesant. Petit florilège des inquiétudes macro-économiques du moment :

1) L’inflation

À tout seigneur, tout honneur. En ce moment, les plus grands médias financiers ont tous pratiquement créé une section, un onglet sur leurs sites où l’on ne parle que de ça. Que de l’inflation, du fait qu’elle soit totalement hors de contrôle et que l’on ne sache absolument pas comment lutter contre – si ce n’est monter, monter et monter encore les taux. Tout le monde a compris ce qu’était le problème, mais personne n’a de solution et à force d’en parler tous les jours, ça devient pesant, fatiguant et limite casse-couilles.

2) La hausse des taux

C’est la solution contre l’inflation, mais c’est aussi ce qui fait super-peur aux marchés boursiers parce que l’on sait que dans la phase de décollage des taux d’intérêts, il y a des rebalancements qui se font, des rotations de secteurs qui se produisent et que, généralement la tech se fait démonter la tête avant que l’on se rende compte que, sur le long terme, si on n’a pas un peu de croissance qui vient de la technologie, nos portefeuilles ressemble à des huîtres neurasthéniques qui seraient sorties de l’eau depuis un peu trop longtemps. Néanmoins, on n’aime pas ça ; la hausse des taux, surtout quand on regarde les prévisions des FED Funds à 12 mois et que l’on voit que certains sont en train de parier sur des taux à 6%. Autant dire que c’est peu probable, mais si cela se produisait, je n’ose même pas penser à l’année qu’on va se faire.

3) La récession qui arrive

Pour le moment, on a peur de l’inflation. Mais ce qui nous fait presque plus peur, c’est quand les Banques Centrales vont monter les taux tellement forts et tellement vite que ça va faire comme un avion quand tu tires un peu trop sur le manche : le nez monte à la verticale et le flux d’air ne porte plus l’appareil et on se casse la gueule. Ça s’appelle « un décrochage» et ça devient, en économie, une récession. On en parle un peu trop (à mon goût) dans les médias en ce moment. D’ailleurs hier, Wells Fargo vient de trouver un nouveau signal d’alerte récession efficace – tenez-vous bien – si le rendement du 1 an sur les bons du trésor US dépasse le rendement du 10 ans, de 25 basis points et ce, pendant 4 semaines consécutives… C’est presque à coup sûr que nous aurons une récession. Ils ne précisent pas si l’on doit tenir compte des phases de la lune et ou de la couleur de la cravate de Powell, mais vous reconnaitrez que ça fout les jetons. Surtout quand, comme moi, vous n’avez jamais regardé le rendement du 1 an de votre vie.

4) Les graphiques qui ressemblent à des blessures de guerre

Pas besoin d’avoir fait 15 ans d’études et d’être membre des toutes les associations d’analystes techniques et d’avoir un diplôme en coloriage pour savoir et voir que les graphiques des indices ont une sale tronche. Et que l’on a connu des lendemains de gueule de bois bien plus sexy que le DAX ou le CAC40. Que l’on ait connu des accidents de la route bien plus drôle que la configuration du SOX ou du Nasdaq et que si, le S&P reste le dernier qui s’accroche à la paroi, on se demande si ça va suffire.

5) Les statistiques qui foutent la trouille

Quand vous avez : l’inflation, la hausse des taux, la récession qui arrive et les charts qui sont immondes. Que malgré tout ça, vous arrivez à faire abstraction de la guerre en Ukraine et du fait que Poutine a un peu trop la main qui tremble pour s’approcher trop régulièrement du bouton nucléaire, il reste encore les statistiques qui foutent la trouille. Il faut savoir que généralement, on se fout des statistiques. Sauf quand l’on ne sait plus quoi dire. Et là, comme on arrive au bout du rouleau et que le doute s’immisce, on a tout de même retrouvé une bonne statistique qui donne envie de se recycler dans la culture du cannabis ou de s’acheter un camping-car pour apprendre à faire de la meth. En effet, il semblerait que les années où il y a les élections de mi-mandat aux USA, les indices ont tendance à se péter la gueule en moyenne de 17%. Alors, la bonne nouvelle c’est que l’on est déjà en baisse de 12% – mais on aurait quand même pu nous dire ça le premier janvier. Ça nous aurait fait gagner du temps. Surtout après les années COVID qui nous ont montré des perfs stratosphériques, on peut avoir peur que cette statistique se réalise. Actuellement, je cherche la statistique qui me donne la performance moyenne de l’année qui suit l’année POURRIE des élections de mi-mandat. Histoire de me préparer pour 2023, vu que visiblement on va pouvoir s’asseoir sur 2022.

6) Le COVID qui n’en finit pas de paralyser la Chine

Oui. Non. Mais ça, je ne vais même pas en parler. On en a trop parlé et puis pour le moment, tout le monde s’en tape. Ça reviendra, mais là tout de suite, ça suffit. N’en jetez plus.

Enfin, tout ça pour dire que quand l’on met tout ça bout à bout et que l’on nous le martèle tous les matins dans les médias financiers. Au bout d’un moment il faut reconnaître que l’on a très envie d’acheter un voilier pour partir faire le tour du monde avant que Poutine le fasse sauter ou de devenir archéologue et de partir à la recherche de l’arche d’alliance ou d’Excalibur.

La Micro en PLS ?

Mais EN PLUS, quand vous regardez comment on est en train de nous traiter la saison des résultats, les swings qui vont avec, les massacres qui vont avec et les réactions euphoriques qui accompagnent parfois tout ça. Eh bien, pour les vieux comme moi, ça rappelle un peu l’an 2000. Et je peux vous dire que sur certains titres, sur certaines histoires, je n’ai pas encore pansé mais plaies et cicatrisé mes blessures. J’espère juste que l’on n’est pas en train de se faire un remake tout pourri qui ne passerait même pas sur Netflix et qui en serait réduit à passer sur Salto.

Vous ne me croyez pas ? Petit bilan de ces 5 derniers jours :

Netflix s’est fait défoncer parce qu’ils ont perdu 200’000 abonnés. Techniquement c’est pas exact, parce que on leur a forcé à couper le sifflet à 700’000 clients russes au nom du boycott. Mais toujours est-il que le titre a perdu 40%. Boeing a sorti des chiffres merdiques hier soir. Mais plus merdiques que les experts attendaient tout en sachant que Boeing n’en n’avait pas fait une de droite depuis 5 ans. Le titre s’est pris 8% dans les gencives. Et on parle de Boeing, une boîte qui vend AUSSI des armes en pleine guerre en Ukraine, pas d’une obscure technologie à forte croissance qui parie sur le fait que l’avenir de la médecine se fera par internet.

Tela-crash, Google daube et Microsoft non-event

Non, ça c’est Teladoc. Teladoc a publié des chiffres catastrophiques hier et ont plus ou moins dit que l’avenir serait tout pourri et qu’on allait tous mourir (sur ce point, il y a peu de chances qu’ils se trompent), mais le titre s’est pris 38% dans les dents. Teladoc est la troisième plus grosse position de Cathie Wood. Après vous avez Google qui a gagné un dollar de moins que prévu par action – sur 25$ – le titre entrait en dépression nerveuse, plus personne ne pense que Google a un business viable et que la pub sur internet, c’est foutu et que YouTube c’est « has been » – ça tombe bien, juste quand je commençais à gagner ma vie avec – les chiffres étaient tellement pourris que personne n’a pris le temps de mentionner (ou à peine) que la société lançait un rachat d’actions à hauteur de 70 milliards.

Microsoft a publié des chiffres fantastiques. Mais tout le monde s’en fout parce que tout d’abord, les bonnes nouvelles, on s’en fout. Et ensuite le titre n’a même pas réussi à remonter ce qu’il avait perdu durant la séance AVANT la publication. Oui, parce que là on avait tout vendu en partant du principe qu’il n’y aurait plus jamais de croissance et que les grosses techs, les GAFAMS, c’était juste des grosses daubes. Y avait qu’à voir Netflix. Même si c’est plus une GAFAM… Après, il y a le rachat de Twitter. Tout le monde a trouvé ça génial .

Sauve qui peut. Ou pas

Au début. Parce que depuis que le deal a été accepté par les deux parties, tout le monde a les jetons que ça capote. Twitter a perdu 6% et se traite plus de 6$ en dessous du prix du take-over à 54.20$. Apparemment, ni Musk, ni Twitter n’aurait changé d’avis. Mais depuis hier, une théorie fumeuse circule sur le net et sur Twitter, une théorie à la limite de la théorie complotiste qui dit que comme Tesla s’est fait déglinguer sur l’annonce du rachat de Twitter en partant du principe que Musk allait être distrait par son nouveau jouet. Que comme le titre a perdu plus de 120 milliards de capitalisation boursière et que Musk lui-même aurait vu fondre sa fortune de 32 milliards en une journée. Il se pourrait qu’il remette en question le take-over. Oui, parce que si le titre baisse en-dessous des 740$ – il va devoir remettre la main au porte-monnaie pour garantir le prêt qu’il a souscrit pour racheter Twitter.

Alors on n’est pas dans la tête de Musk (bien heureusement), mais il y a en tous les cas toute en frange de vils spéculateurs qui sont en train de parier sur l’effondrement du deal et le retour à 30$ pour Twitter. Il y a peu de chance que ça se produise, mais on en parle plus que de la perte trimestrielle annoncée par le Crédit Suisse hier.

Et puis hier soir : y avait Facebook

Et puis hier soir, Zuckerberg était de sortie. Et là aussi, c’était rigolo et ça montre bien que ce marché est entré dans une phase maniaco-dépressive qui me rappelle furieusement les années où j’avais encore des cheveux châtains qui étaient majoritaires face à la couleur grise et un Nokia 6210. Tout d’abord Bloomberg a publié des faux résultats trimestriels concernant Facebook PENDANT la séance. Les chiffres étaient (BIEN SÛR) tous pourris et le titre a plongé de 6%. On ne va pas parler de magouille ou de théorie du complot – même si ça me démange.

Mais passons, Bloomberg s’est excusé et Meta Platforms a terminé la séance en baisse de 3% – seulement – après la clôture ils ont publié des chiffres qui étaient nettement meilleurs que les attentes, mais qui montraient une croissance faible. La plus faible depuis 10 ans. Néanmoins le titre prenait 18% after close !!! 18%… Tu crois qu’il y avait des shorts ? Ou tu crois que TOUTE la planète était short ??? En tous les cas, on sent bien la frustration des analystes et des journalistes ce matin. Le titre prend 18% et la totalité des articles sur Facebook/Meta Platforms sont absolument immondes, tout le monde vomit sur la qualité des chiffres. Trouve que c’était facile parce que la barre « n’était pas très haute », que c’est moche ce qui se passe là-bas… Mais le titre prend 18% et tout le monde était SHORT !!!!!

Tout ça pour vous dire que quand on met la micro- bout à bout avec la macro et que l’on rajoute une bonne dose de Prozac, de Valium, de Xanax et 4 doses de vaccin de chez Pfizer, on a quand même bien l’impression que le marché marche sur la tête. Que la plupart des « high-growth-stocks » qui avaient fait le bonheur du rebond pendant le confinement sont en train de se faire démonter au nom du fait que la croissance c’est fini, que les taux vont exploser et que la récession nous guette, que les années 30 vont revenir. Et dans cette ambiance de fin de cycle, je ne peux m’empêcher de me souvenir de ces jours de mars 2000 où les fleurons de la tech se prenaient 25% dans la tronche sur une séance. Que nous, le lendemain on rachetait parce que c’était « une opportunité d’achat sur faiblesse » et qu’on se reprenait 30% dans les dents dans la séance suivante.

On va tous mourir

Alors voilà. Un fois par an j’écris un article où je déprime. Peut-être que je me suis couché trop tard hier. Peut-être que j’ai trop bu de verveine, je ne sais pas. Mais ce matin il me paraissait important de poser le bilan sur la table. En général, quand je commence à douter et que j’envisage que l’on se pète vraiment la gueule, c’est là où le marché repart. On va dire que je tente un coup pour sauver la performance annuelle et si ça remonte, je dirais que c’est grâce à moi et je ferai des conférences à 25’000 balles de l’heure. Mais bon, je trouve quand même que le marché est excessivement malade dans ses interprétations et ses réactions. Méfiance donc…

Pour le reste

Pour le reste, les futures sont dans le vert – légèrement – l’Asie remonte de 1% à Hong Kong et d’un peu moins à Tokyo. La Chine est confinée et les ventes de smartphones là-bas sont en baisse de 14%. Le pétrole est à 100.45$, l’or n’intéresse plus personne, même si on nous dit que tout le monde est en train d’en acheter, l’once est à 1880$ – donc je ne sais pas où est-ce que ce « tout le monde en achète ». Le Bitcoin n’ira pas à 30’000 tant que le Nasdaq ne lâchera pas vraiment les supports et pour le moment il se traîne sous les 40’000$. À 39’500$ pour être précis.

Et puis côté news du jour et informations, le gaz est en train de nous péter à la figure en Europe puisque Poutine a fermé le robinet du gaz pour la Pologne et la Bulgarie – on attend la suite avec impatience, mais ça va sûrement aider. Autrement, on attend un miracle de la part d’Apple et d’Amazon pour nous sauver les fesses ce soir. Sinon, on est mal et on pourra reprendre tout ce que j’ai écrit plus haut pour expliquer pourquoi c’est vraiment la merde. En plus d’Apple et d’Amazon, il y aura aussi Twitter avant l’ouverture, ainsi que Caterpillar, McDo, Nokia, MasterCard et Lilly. Et puis après la clôture, ça sera Intel, Roku, Gilead et…vous savez qui… Côté chiffres économiques, nous aurons le CPI en Allemagne, la confiance du consommateur en Europe et le GDP aux USA.

Je crois que j’ai assez causé pour ce matin, je retourne me coucher ! Passez une excellente journée et à demain !!! S’il y a un demain. Si Apple le veut bien. Mais rassurez-vous-même après l’an 2000 on s’en est remis. Ça a pris un peu de temps, mais on s’en est remis.

Allez… à demain

Thomas Veillet

Investir.ch

 

It is during our darkest moments that we must focus to see the light. -Aristotle