Si l’on se plonge dans la littérature économique classique de ces 100 dernières années, si l’on essaie de comprendre le principe de l’asset allocation en période troublée et de bien assimiler les liens entre croissance, value et taux d’intérêts, il y a un truc qui va ressortir de manière assez frappante, c’est le fait que les valeurs de croissance – autrement dit, tout ce qui vient des nouvelles technologies et des nouveaux trucs qu’on ne comprend pas très bien – ont tendance à bouger dans le sens opposé de celui des rendements obligataires. Si preuve devait être faite afin d’appliquer la pratique pour confirmer la théorie, la séance d’hier semblait être idéale comme cas d’école.

L’Audio du 14 avril 2022

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Stop sur les rendements

On ne va pas se mentir, ni se mettre la tête dans le sable. L’inflation est toujours là, bien présente et droite dans ses bottes et absolument rien n’a changé depuis hier. Il y a même eu le PPI – les prix à la production qui ont augmenté de 11,2 %. Il s’agit de la plus forte hausse depuis novembre 2010, et elle fait suite à une hausse de 10 % en février.

Les économistes avaient prévu une hausse de 10,5 %. Autant dire qu’ils se sont encore un fois complètement ratés dans leurs prévisions, à tel point que l’on se demande si les mecs ne sont pas complètement bourrés quand ils font leurs calculs. Cette hausse n’est (bien évidemment) pas surprenante compte tenu du contexte inflationniste – on nous bourre assez le crâne à ce sujet pour que l’on s’en souvienne, puisque le sujet apparaît dans les médias financiers à peu près 834 fois par jour en 12 langues différentes, mais le rythme de son accélération a été plus rapide que prévu. Ce qui aurait dû être négatif pour le marché, tout comme l’a été le CPI la veille. Sauf que dans le monde merveilleux de la finance, de l’investissement et de l’art de faire du pognon, ce qui est évident…Est évidemment FAUX.

Retournement des rendements

Comme mentionné en ouverture de cette chronique, lorsque le rendement du 10 ans prend l’ascenseur parce que l’on parie sur une hausse des taux à venir et sur une inflation galopante, le secteur technologique se fait (en général) allégrement défoncer puisque tout le monde se dit que si l’on calcule la valeur de l’argent investit pour les 5 prochaines années par rapport au taux sans risque et à l’âge du capitaine, divisé par le niveau des sondages favorables à Papy Biden, qui sont proches de zéro, donc négligeables dans le calcul, la technologie qui vit et qui performe de sa croissance est soudainement moins intéressante. C’est vrai, après tout si vous prenez un type qui a mis 100’000$ en bons du trésor américain il y a 22 ans et que vous le comparez à un type qui a mis 100’000$ en Apple, il y a 22 ans, vous verrez qu’il n’y a pas photo.

Il y en a un qui bosse toujours et qui rame pour payer ses impôts chaque année et l’autre qui est en train de s’acheter un yacht pour les vacances d’été. Je vous laisse me dire qui est qui. Ceci dit, hier, après une hausse quasi-verticale sur les rendements du 10 ans depuis le début du mois de mars – hausse qui a fait passer le rendement de 1.7% à 2.7% – nous sommes passés subrepticement de 2.78% à 2.68%. Tout ça parce qu’un type de la FED qui s’appelle Waller a estimé selon son jugement à lui-même personnellement tout seul et la boule de cristal de sa voyante attitrée – que l’inflation avait probablement atteint un plafond – que ça allait encore être compliqué ce printemps pour une raison que j’ignore, mais qui est probablement liée aux phases de la lune – mais qu’ensuite, ça irait mieux. Comme nous avons tendance à avoir une mémoire de poisson rouge et une capacité à tourner la veste plus vite qu’une girouette par grand vent, les rendements ont perdu 0.10% et tout le monde s’est jeté sur la tech ce qui nous a offert un rebond assez spectaculaire sur le Nasdaq et surtout sur le SOX qui a fait un reversal EXACTEMENT là où il DEVAIT le faire selon les bouquins d’analyse technique !

The season is on

Pendant que la techno vivait sa meilleure vie en rebondissant à la vitesse de la lumière tel un chamois dans les montagnes valaisannes le jour de la fermeture de la chasse ou de l’interdiction de l’alcool PENDANT la chasse, ce qui provoquait inévitablement la disparition des chasseurs, puisque sans alcool, l’intérêt de la chasse disparaît instantanément. Les marchés européens ne faisaient rien parce qu’ils étaient toujours « inquiets » de la hausse de l’inflation et qu’ils n’appréciaient que moyennement les commentaires de Yellen qui disait craindre une récession en Europe à cause de la guerre en Ukraine. Tout ceci à quelques heures de la prise de parole de Dame Lagarde qui va devoir se justifier sur son absence de réactivité face à l’inflation qui s’envole dans la zone euro – enfin, sauf en France, parce qu’en France y a le poulain à McKinsey qui doit renouveler son bail à l’Élysée et il ne vaut mieux pas donner les vrais chiffres aux Français pour qu’ils croient encore deux minutes que cet idiot arrogant peut leur sauver les fesses les 5 prochaines années.

Pendant que l’Europe s’inquiétait et hésitait, que les experts en trading identifiaient une nouvelle relation entre le rendement du 10 ans et le Nasdaq – relation que l’on peut calculer de la manière suivante : si le rendement baisse de 0.10%, le Nasdaq monte de 2% – on commençait à analyser les premiers chiffres trimestriels. Le premier à essuyer les plâtres, c’était JP Morgan. La banque américaine a annoncé un trimestre pas terrible avec une baisse de 42% sur ses revenus, tout ça à cause que le trading c’était moins facile, que l’inflation, ça ne les arrange pas et que la guerre en Ukraine, c’est mauvais pour le business – surtout pour leurs clients russes qui faisaient du trading chez eux. Bref, les chiffres n’étaient pas terribles et les commentaires qui ont suivi les annonces étaient globalement assez déprimants. Résultat : le titre perdait 3.2%. Ailleurs, BlackRock ne faisait rien mais battait les attentes des analystes, pendant que Delta annonçait de chiffres moins pires que prévu, avec une perte de seulement 1 dollar et 23 cents par action (alors que les experts à Wall Street attendaient 1 dollar et 27 cents après avoir enlevé leurs lunettes de soleil).

Mais ce qu’il fallait surtout retenir sur les chiffres de Delta, c’est que les commentaires du management parlaient de REPRISE dans le transport aérien !!! Et ça c’est LA NEWS QUE L’ON ATTENDAIT. Bon, pour être franc, on ne l’attendait pas, mais rien que le fait d’imaginer que les gens reprenaient l’avion et qu’en plus on leur proposait de le faire sans se foutre un masque sur la tronche et se faire curer le nez 27 fois avant de monter à bord, a motivé les investisseurs et le titre de Delta prenait 6%, comme tout le secteur aéronautique d’ailleurs. Du coup, il y a même des gens qui se sont dit qu’il était peut-être temps de racheter le secteur des transports en général et du coup, le Dow Jones Transportation a confirmé le même type de rebond parfait et parfaitement posé sur les supports comme l’a fait le SOX hier également.

En résumé

Si je dois simplifier la séance d’hier ; les chiffres économiques montraient que l’inflation était toujours à peu près aussi maitrisée que le T-Rex dans Jurassic Parc, mais qu’il y avait des banquiers centraux qui lisaient dans le marc de café qui pensaient qu’on avait vu le pire. Que cet état de fait a fait baisser les rendements et monter le Nasdaq. Que du coup, le SOX a rebondi là où il fallait. Que la guerre en Ukraine va devenir l’excuse numéro une du trimestre pour toute société qui va foirer ses chiffres (comme JP Morgan hier), l’excuse numéro deux étant l’inflation. Et pour finir, les gens reprennent l’avion et peut-être que l’industrie des transports n’est pas complètement foutue comme on nous l’a mentionné plusieurs fois ces derniers temps. On se serait donc gouré dans nos prévisions, ce qui paraît tout de même peu probable.

L’Asie, le pétrole et le Bitcoin sont sur un bateau

Ce matin l’Asie est en hausse pour fêter toutes les bonnes nouvelles que je viens de mentionner. Le Japon reprend 1.26% encouragé par la tech américaine, la Chine et Hong Kong regagnent 0.5% parce que finalement, le COVID, on s’en tape. Et le pétrole continue son ascension parce que la Chine prévoit de se sortir gentiment du confinement, ce qui va provoquer une hausse de la demande.

Et si vous combinez la hausse de la demande chinoise avec la problématique des 7 millions de barils journaliers habituellement fournis par la Russie, il n’y a pas besoin d’avoir fait math sup et l’école des mines pour se rendre compte qu’il va manquer du pétrole quelque part et que si les 7 millions de barils de la Russie finissent par être vendus à la Chine, Papy Biden va faire couiner son dentier et ça n’arrangera personne. Du coup, le baril est monté. À l’heure où je vous parle, après mon 84ème café de chez George Clooney, le pétrole version WTI se traite à 103.95$, pour ne pas dire 104. Et je vous rappelle qu’au-dessus de 100$……….. c’est un signal R-É-C-E-S-S-I-O-N !!! Pendant ce temps, l’or est à 1976$, puisque depuis hier, tout monte à nouveau sans distinction, concept de valeur refuge ou un quelconque racisme anti-or. Même le Bitcoin qui était au bord du krach hier et qui, selon les experts, devait redescendre AU MOINS à 30’000$, a finalement repris 5% et se traite à 41’500$. Le Bitcoin qui a rebondi exactement là où il fallait, comme le Dow Jones des transports, comme le SOX…

Nouvelles du jour

Les Américains ont débloqué 800 millions pour l’Ukraine sous forme d’artillerie et d’hélicoptères de combat. Le navire amiral de la flotte russe est en train de couler, suite à un accident selon les Russes et suite à des tirs de missiles selon les Ukrainiens. Jamie Dimon voit des nuages s’amonceler sur l’économie ces prochains mois. L’OMS voit toujours le COVID comme la menace numéro une pour la population mondiale, les Grecs de plus de 60 ans qui ne sont pas vaccinés vont se prendre 100 euros d’amende par mois tant qu’ils ne se font pas vacciner. Magnifique preuve de liberté offerte par le gouvernement grec, on se réjouit que Macron mette ça en place dès qu’il aura été réélu pour faire barrage au front national.

Jim Cramer revient sur les semi-conducteurs. Sierra Oncology prend 40% sur l’annonce d’un rachat de la part de Glaxo. Les Canadiens et les Néo-Zélandais ont monté leurs taux directeurs plus que prévu pour faire face au spectre de l’inflation. Les Coréens aussi. Et les USA, en tant que pays de la liberté, vient de condamner à 5 ans de prison un expert en crypto-monnaie qui a été donner une conférence sur la Blockchain en Corée du Nord alors que le département d’état le lui avait interdit. Selon les juges et le pays de la liberté, en allant là-bas, il a mis en danger tout le pays. Par contre le grabataire de la Maison Blanche, il met en danger personne, lui…

Chiffres et futures

Pour l’instant les futures sont en hausse de 0.25% et on pourrait peut-être enfin bien finir la semaine. Il y aura encore la BCE à traverser cette après-midi, ainsi que les chiffres des Jobless Claims. Il y aura également les publications trimestrielles de Goldman Sachs, Citi, Wells Fargo, Morgan Stanley et, pour nous changer un peu des banques : Taïwan Semi’s et United Health..

En ce qui me concerne, je vous souhaite un excellent week-end pascal, que les cloches sonnent, que les lapins se laissent attraper et que les œufs roulent. On espère que le tofu qui remplacera l’agneau cette année sera potable et nous on se retrouve la semaine prochaine pour voir comment on aura survécu à tout ça !

Thomas Veillet
Investir.ch

« Never let the fear of striking out keep you from playing the game. » -Babe Ruth