Durant la séance de lundi, on avait presque l’impression que le mega-deal mis en place par Monsieur Musk avait fait tourner le sentiment global. Pendant quelques heures, nous étions sur une planète où tout se passait bien. Où il n’y avait pas de guerre en Ukraine, où l’inflation était sous contrôle, où le COVID n’existait plus (surtout en Chine) et surtout, une planète où les milliardaires ne se cassaient plus la tête à s’acheter des voitures de luxe comme signe extérieur de richesse, mais plutôt des sociétés entières. Et puis en l’espace de quelques heures, nous avons repris nos vieux démons. Le ralentissement économique, les taux qui montent, la guerre nucléaire… Bref, un bain de sang.

L’Audio du 27 avril 2022

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Rien ne change mais tout se complique

Pendant un bref instant, nous avons donc cru. J’ai cru. Que le rachat de Twitter aurait le pouvoir de donner un coup de fouet au marché et que l’on pourrait prendre appui sur les supports et sur les bas du mois de mars pour pouvoir remonter. Surtout si EN PLUS, les chiffres du trimestre étaient bons. Mais hier nous avions décidé d’oublier les bonnes résolutions, oublié de positiver, oublié de voir le verre à moitié plein et l’on passait en mode « sauve qui peut, mon portefeuille d’abord et les femmes et les enfants ensuite, juste après les LGBTQIA2+ ».

Les raisons de la boucherie d’hier soir sont diverses et variées, mais il semble évident que tout le monde est en train de sortir. On ne sait pas trop pour aller faire quoi et où, mais on dirait que depuis que Powell a annoncé la hausse des taux (qu’il nous annonce depuis 4 mois mais qui a visiblement été vraiment comprise la semaine dernière), le monde de l’investissement est en PLS et on a décidé de tirer d’abord et de poser les questions ensuite. Si l’on cherche à savoir ce qui aurait pu déclencher la baisse d’hier, j’avoue que ce n’est pas simple d’identifier un seul « trigger ».

L’excuse du jour, l’excuse de la semaine, l’excuse du mois

On va déjà commencer par dire que la plupart du marché s’attend soudainement à un ralentissement massif de l’économie. On entend de partout que certaines banques d’affaires de Wall Street sont en train d’anticiper une récession – au passage on ne se souvient que très mal que les banques d’affaires de Wall Street sont aussi douées en prévision économiques que mon labrador pour piloter un avion de chasse et qu’ils sont experts pour nous dire après coup, qu’ils l’avaient dit, mais qu’ils ne l’avaient pas dit fort – mais passons. Les experts sont inquiets et quand les experts sont inquiets, il faut se méfier parce qu’en général il suffit de pas grand-chose pour mettre le feu aux poudres.

Hier soir nous avons eu une avalanche de résultats qui étaient tous plus ou moins bons et supérieurs aux attentes. Actuellement, le chiffre est de 80.6%. 80.6% des sociétés qui ont publié font mieux que les attentes des experts, justement. Si l’on regarde la nouvelle du côté du verre à moitié plein, c’est plutôt pas mal. En revanche, si l’on regarde la nouvelle du côté du verre à moitié vide, alors là, ça pue. Ça pue parce que la plupart de ces sociétés annoncent de bons chiffres – comme par exemple GE et Pepsi hier – mais dans la foulée, elles annoncent également que la guerre en Ukraine, « c’est pas facile » et que la suite de l’année sera compliquée. À entendre certains CEO’s du S&P500, ça fait deux mois qu’ils sont confinés dans une cave de Marioupol, pilonnés par l’artillerie russe, alors qu’en fait ils reviennent de week-end à Palm Beach, un week-end passé à jouer au golf et boire du champagne à la louche.

Courage, fuyons

Ce ton angoissé et ces alertes à répétitions, cette peur panique de la hausse des taux qui nous prend à la gorge et l’inquiétude de voir Elon Musk s’occuper plus de Twitter que de Tesla, aura eu raison des quelques velléités bullishs qui nous restaient encore. Au sujet de taux, il est surtout hallucinant de voir nous sommes passés de « c’est bien si la FED monte les taux, ça va freiner l’inflation » à « La FED va monter les taux TELLEMENT n’importe comment qu’à la fin elle va mettre l’économie en récession ». Et tout ça, en moins d’une semaine. À ce stade-là, on n’est plus en mode girouette, ça se rapproche plus du ventilateur que d’autre chose. On n’est pas loin de trouver une nouvelle source d’énergie.

Donc, pour faire simple, durant la séance d’hier, on a pris tout ce qu’il y avait de plus moche dans le monde en général et dans la finance en particulier et on a tiré sur tout ce qui bougeait. Utilisé le moindre argument négatif pour démolir un titre qui aurait eu l’outrecuidance de mentionner un ralentissement de leur business, une suite d’année difficile ou encore un impact quelconque de la guerre en Ukraine sur leurs résultats des 8 prochaines années – le moindre pourcentage négatif était utilisé comme argument pour déclencher un sell-off de malade.

GE, Jet Blue et 3M en sont des exemples parfaits. Et puis comme si ça ne suffisait pas de taper sur les évidences, on a en plus pris le parti de taper sur ceux qui pourraient décevoir à l’avenir. Hier les intervenants ont tiré à boulets rouges sur Google, Microsoft, Apple, Amazon, Meta Facebook, sous prétexte que les chiffres du trimestre pourraient être impactés par la guerre en Ukraine, le COVID en Chine et la réélection de Macron en France. Et encore, je ne vous parle même pas de Tesla qui a perdu plus de 10% parce que Musk pourrait s’en désintéresser parce qu’il a un nouveau jouet et aussi parce que Ford lance son nouveau Pick-Up F-150 électrique, que la demande est forte et qu’il est bien moins laid que l’immonde pick-up de Tesla. Même Twitter se faisait flinguer de 4% à 49$ – Twitter qui, rappelons-le, va se faire racheter à 54.20$ et que le deal a été accepté.

Je veux bien croire qu’il y a toujours un risque que le deal soit annulé, ce qui coûterait un milliard à la partie qui se débinerait, mais 10% de discount, ça me paraît quand même cher payé…

C’est pas un bilan, c’est un naufrage

Autant vous dire que les peurs, les angoisses et les doutes que l’on a mis dans la séance d’hier se sont répercutées sur le monde entier. L’Europe avait peur d’un ralentissement de la croissance et craignait la hausse des taux à venir. Ce qui est assez drôle parce qu’il y a une semaine en arrière, on craignait que l’inflation soit trop forte et que les banques centrales soient en retard pour monter les taux. Enfin, je me répète, mais on quand même sacrément la mémoire courte. D’ailleurs à ce stade-là, c’est même plus de la mémoire, c’est un vague sentiment de « déjà-vu ».

Techniquement ça devient très intéressant. Nous sommes clairement au bord du gouffre. Le S&P500 et le Nasdaq terminent leur séance exactement sur les points bas du mois de mars. Le Nasdaq est même en-dessous et au plus bas depuis 2020. Aaaahhhh 2020 époque bénie où nous avions le COVID, les confinements, l’argent gratuit et les banques centrales qui nous faisait des massages cardiaques. Aujourd’hui on a les taux qui montent, le COVID est toujours-là, mais plus qu’en Chine (enfin, pour l’Europe, ça sera à la fin de l’été) et puis les banques centrales sont devenues nos ennemis. Donc les indices sont au bord du gouffre et on ne peut plus qu’espérer qu’Apple et Amazon ne nous fassent pas un truc à la Netflix. Microsoft a déjà fait le job, mais pas Google. On est en équilibre sur le bord de la falaise par grand vent et le SOX a déjà commencé sa chute verticale en cassant tous les supports. Alors ? Indicateur avancé ou pas ?

Graphique du Nasdaq – Source : Tradingview.com

On notera encore au passage que le rendement du 10 ans vient de perdre 0.2% en l’espace de 2 jours. Quand il monte de 0.10% le Nasdaq perd 2%. On aurait pu croire que du coup, le Nasdaq serait remonté de 4%. Mais en fait non. En fait non, parce que le rapport Nasdaq/rendement du 10 ans ne fonctionne que quand on a vraiment envie. Et hier, on n’avait pas envie, parce que tu comprends, y a la guerre en Ukraine, alors le 10 ans, on s’en tape.

L’Asie

Ce matin c’est deux salles, même ambiance en Asie. Le Nikkei est en plongée de près de 2%, le Hang Seng recule de 0.8% et la Chine de 0.5%, malgré le COVID… Inutile de vous dire que les arguments sont les mêmes que pour les marchés occidentaux, visiblement tout le monde semble solidaire dans l’angoisse et la panique. Je crois que le meilleur résumé de la matinée, plus diplomatique que l’on puisse trouver, c’est quand même celui que je viens de pêcher sur un site d’informations boursières, je cite :

« Les actions de la région Asie-Pacifique étaient en grande partie en baisse mercredi matin, la combinaison de résultats d’entreprises mitigés, de la dernière épidémie de COVID-19 en Chine et de la perspective d’une politique monétaire agressive de la Réserve fédérale américaine ayant indiqué une détérioration des perspectives économiques et atténué le sentiment des investisseurs. »

Tellement officiel et tellement bien résumé dans le genre « tout va mal ».

Le pétrole nous aide bien dans la thématique de récession, puisqu’il vient de repasser au-dessus des 102$. Attendant patiemment que l’arrogant Président de l’Europe déclenche un boycott face au pétrole russe. L’or est à 1900$ et on voit quand même très peu de gens venir l’acheter pour aller se planquer dans une « valeur refuge ». Et puis, bien sûr, grâce à leur immense corrélation avec la tech américaine, les crypto-monnaies passent également à la moulinette, les supports sont enfoncés sur le Bitcoin et j’attends avec impatience le prochain gourou qui annoncera les 30’000$ comme « coup sûr ».

Google et la guerre en Ukraine

Dans les nouvelles du jour, mis à part le fait que l’on va tous mourir dans d’atroces souffrances, il y avait les chiffres de Google et de Microsoft. Du côté de Google, on ne va pas se mentir ; c’était pas terrible et on se plaint du ralentissement des recettes publicitaires et de la guerre en Ukraine, puisque le boycott de la Russie leur a tout de même fait perdre 1% de leurs revenus. Il faudrait penser à créer une cagnotte pour soutenir Google dans ces moments difficiles. Pour résumer, on attendait 25.69$ par action, c’est sorti à 24.62$ – on sent la fin du monde qui approche – et pour les revenus, c’était en ligne avec les 56 milliards attendus par les experts. C’est pas encore la faillite chez Google, mais pas loin. Le titre était donc en baisse de 4% after close.

Chez Microsoft, c’était la fête au village. Pour le premier trimestre la boîte à Bill a enregistré un chiffre d’affaires de 49,4 milliards de dollars, en hausse de 18 % par rapport à l’année précédente, et bien supérieur aux prévisions du consensus de Wall Street, qui était de 47,5 milliards de dollars. La société a gagné 2,22 dollars par action au cours du trimestre, battant le consensus de Wall Street de trois cents par action. Carton sur le cloud, des perspectives topissimes pour l’année à venir. Visiblement, Microsoft est plus égaux que les autres et ne sait pas où se trouve l’Ukraine sur la carte du monde. Le titre prenait 5% after close.

Le reste des nouvelles

Pour les autres news du jour, on notera que Visa a cartonné sur le trimestre, le titre reprenait 5% after close. Robinhood se restructure et vire 9% de son staff, le titre plongeait de 3-4% hier soir. Texas Instrument a publié des chiffres en ligne, mais se montre prudent à cause de…. Roulement de tambour… à cause du COVID en Chine. Et non, c’était pas la guerre en Ukraine – c’était la surprise du jour. Le titre perdait 3-4% after close.

Et puis, côté guerre, on parle du fait que Poutine se prépare à une longue guerre en Ukraine et que ça fera encore plein de raison de faire des « profits warnings ». Il y a aussi des experts qui constatent que les risques de conflits en mer de Chine sont en train d’augmenter. Manquerait plus que ça. Et il y a aussi Lavrov, le cinglé qui sert de Ministre des Affaires étrangères à Poutine, qui parle de risques élevé de guerre nucléaire et de troisième guerre mondiale, même si c’est pas encore dans la liste des top «  hashtags » de Twitter, on s’en passerait volontiers.

Les chiffres du jour

Il y aura une montagne de chiffres économiques aujourd’hui. Le climat de consommation en Allemagne, la confiance du consommateur en France, le ZEW en Suisse, Lagarde qui parlera, les ventes de maisons aux USA, les inventaires pétroliers et le fait que les indices sont prêts à défoncer les supports et à se préparer au Bear Market. Du côté des trimestriels, il y aura du monde encore. Ce matin on attend Boeing, Spotify, Lonza, Harley Davidson et Crédit Suisse, toujours marrant de voir les chiffres du Crédit Suisse et puis dans la seconde partie de la journée, nous aurons Meta/Facebook, PayPal, Ford, Qualcomm, Pinterest et Teladoc.

Pour le moment, les futures sont en hausse de 0.5%, sauvé par Microsoft et Visa et on s’accroche vraiment à la falaise par les bouts des ongles et à la moindre rafale de vent, ça pourrait mal se finir. Mais ne vendons pas encore la peau du Bull avant de l’avoir tué, même si ça paraît quand même mal emmanché.

Il me reste à vous souhaiter une très belle journée et je vous dis : à demain !!!

Thomas Veillet -Investir.ch

“If you set your goals ridiculously high and it’s a failure, you will fail above everyone else’s success.”

-James Cameron