Hier matin j’ai commencé ma chronique en disant : « Claude François disait : « ça s’en va et ça revient ». Là tout de suite, ça revient. Je ne sais pas quand est-ce que l’on va passer au stade du « ça s’en va ». C’est bon, j’ai ma réponse ; c’est revenu direct derrière et on se l’est pris en pleine figure sans que l’on ait eu le temps de mettre les mains pour se protéger. Il y a quelques jours en arrière nous avions vécu « la pire séance depuis mars 2020 », c’est faux. La pire séance depuis mars 2020, c’était hier. Et tout ça à cause d’une seule et unique action.

L’Audio du 19 mai 2022

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Dans la cible

Durant la séance d’hier on s’est beaucoup interrogé sur les déclarations de Powell dans le Wall Street Journal, mais comme c’était plus ou moins ce qu’il avait déjà dit la veille par oral, on n’a pas trop paniqué. Surtout que lorsque le patron de la FED te dis, en mai 2022, que la lutte contre l’inflation prendrait du temps et que cela allait quand même faire un peu mal à tout le monde, ça ne surprend plus vraiment. On sait que la situation n’est pas idéale et que la lutte sera compliquée, il n’y avait rien de nouveau. Ce n’est donc pas ça qui a fait plonger le marché. Non, la CHUTE d’hier n’est pratiquement QUE la faute d’un seul titre qui déclenché une réaction en chaine.

Et ce titre, c’est Target. Pour ceux qui ne connaissent pas, Target est une chaîne de supermarchés et se classe dans le top cinq de la grande distribution aux USA. C’est un concurrent direct de Wal-Mart qui se fait également laminer depuis deux jours. Target est donc venu hier pour dire que son bénéfice trimestriel avait été coupé en deux par la hausse des prix et qu’ils étaient très inquiets pour la suite, à cause de la dégradation des marges.

LA DÉGRADATION DES MARGES, le truc qu’il ne fallait pas dire. Déjà Wal-Mart la veille avait laissé entendre que ça n’était pas facile de reporter la hausse des coûts sur le consommateur qui peinait de plus en plus à payer cher, voici que Target confirmait que nous étions juste au début de la vague du tsunami. C’est un peu comme si Target était devant un barrage et qu’une fuite d’eau apparaissait et qu’ils la bouchaient avec une main. Puis une autre fuite d’eau apparaissait juste à côté. Ils la bouchent alors avec l’autre main. Puis une troisième fuite d’eau se profile juste à la hauteur du genou droit. Ils la stoppent alors avec le pied droit… C’est alors qu’une quatrième fuite d’eau fait son apparition à la hauteur du genou gauche… Vous voyez où je veux en venir ? Vous visualisez l’image ? Eh bien c’est ce qui est en train de se passer avec les marges chez Target : pour l’instant, ils essaient de contenir, mais ils ne vont pas tenir longtemps. Il n’en fallait donc pas plus pour que tout cela contamine tout le marché.

Contagion

Tout est donc parti du Retail, avant de s’étendre à toute la consommation, puis à tous les titres qui étaient basé sur des perspectives de croissance, puis à tous les titres qui avaient « quelque chose à vendre ». Et puis on a relu l’article du Wall Street Journal dans lequel Powell disait que la lutte contre l’inflation allait faire mal et que ça ne se ferait pas sans douleur. C’est alors que l’on a pris conscience pour la 743ème fois cette année, que l’inflation bouffait les marges des entreprises, que l’on s’est rendu compte pour la 744ème fois que la FED n’aurait pas d’autre choix que de monter les taux de plus en plus, de plus en plus vite et de plus en plus fort, jusqu’à que l’inflation commence à ralentir et que, dans l’intervalle il est plus que possible que le consommateur allait avoir mal et que ça irait d’abord pire avant d’aller mieux. Un peu comme chez le dentiste quand il vous dit, fraise en main qui tourne à toute vitesse : « Ouvrez la bouche, ça ne va pas faire mal !!! » – On sait tous qu’il nous ment. Target a donc plongé de 25% effaçant 25 milliards de capitalisation boursière en un claquement de doigts, entraînant avec lui tout le reste du secteur retail, puis tout le reste du marché.

Je sais que l’image n’est pas très glamour et qu’on l’utilise un peu trop en ce moment, mais c’était un véritable bain de sang et aucune valeur n’en est sortie indemne. Même les « gros » se sont fait massacrer. Amazon a plongé de 7%, soudainement c’est devenu uniquement un retailer, Apple s’est rétamée de près de 6%, supposant que plus personne n’achèterait de smartphone dans les 8 prochaines années – pendant un bref instant Nokia ne baissait presque pas et j’ai cru que tout le monde allait remplacer son smartphone par un bon vieux 3310. Mais en fait non, Nokia a baissé aussi parce que Nokia, ils vendent des trucs… Pour s’en sortir hier, il fallait ne pas vendre des trucs. Hier sur les 100 membres du Nasdaq 100, 98 terminaient dans le rouge. Et l’indice en lui-même abandonnait 5%.

Nettoyage

Le rebond de ces derniers jours s’est donc fait nettoyer en moins de temps qu’il ne faut pour dire « pression sur les marges ». Nous sommes de retour sur les plus bas de ces dernières semaines et le S&P500 est à nouveau « au bord du Bear Market ». Ce qui a eu pour effet de faire sortir du bois quelques Bearishs convaincus qui sont venus mettre un peu d’essence sur le feu au cas où ça ne chauffait pas assez.

Il faudra surtout retenir les commentaires du CIO du groupe Guggenheim, Scott Minerd, qui est venu nous annoncer tout simplement que « c’était la merde ». Bon, en fait il n’a pas dit ça, mais c’était pour simplifier l’histoire et être un peu plus direct. Mais disons que le Monsieur a expliqué que la FED allait être très très méchante avec nous et que l’on pouvait même s’attendre à voir des taux monter jusqu’à 8% – déjà qu’on a de la peine à gérer la chose quand on nous parle de hausses de 0.75% – je vous laisse imaginer. Avec des taux directeurs qui vont prendre l’ascenseur à la vitesse d’une fusée Space X, autant dire que tout va s’arrêter, que la croissance et les titres de croissance vont se mettre en berne et que l’on pourrait bien se retrouver avec une STAGFLATION. Tout ça pour dire que ça va être horrible et si je reprends mon image du dentiste avec sa fraise et qu’à la place de la fraise il tient un marteau piqueur dans la main, vous aurez une meilleure idée de ce que Monsieur Scott Minerd nous prévoit. Lui il pense que le Nasdaq va se prendre 75% dans les dents d’ici à l’automne.

75% depuis les plus hauts, ça fait un retour sur les 4’200 points, ce qui nous ramène en avril 2016 pour trouver un niveau si bas. Déjà qu’en avril 2016 on avait vécu le décès de Prince, on n’a vraiment pas envie d’y retourner.

La claque

Mais c’est comme ça. À chaque fois que l’on vit des séances type « massacre à la tronçonneuse avec la chaîne la tronçonneuse infectée avec le virus du COVID », on nous sort les Bears de services qui réinventent les mathématiques et se prennent pour Nostradamus. Ce mercredi, il y avait aussi Monsieur Jeremy Grantham qui a un abonnement pour venir sur CNBC tous les trois mois afin de nous dire que l’on va tous y passer. Cette fois il a annoncé des objectifs encore plus bas que ses objectifs habituels, objectifs qu’il nous répète donc tous les trois mois depuis trois ans au moins. Cette fois on parle d’une baisse de 40% sur le S&P500. La bonne nouvelle, c’est qu’il parle de 40% depuis les plus hauts et que comme on a déjà baissé de 18%, il ne nous en reste plus que 22.

Je ne vais donc pas vous faire un dessin : c’est moche, on est de nouveau au bord du gouffre et sachant qu’il y a encore des retailers qui peuvent venir nous dire que « les marges, c’est pas simple et que la hausse des prix c’est pas drôle », les marchés sont en danger, sans compter que la volatilité ne parvient même pas à monter. Ou à peine. Hier nous étions à 30% de volatilité avec des marchés en chute libre. On dirait qu’on n’a même pas peur. Et ça, moi ça me fait peur.

En Asie

Ce matin l’Asie est aussi en chute libre. C’est près de 2% à Tokyo, plus de 2% à Hong Kong, il n’y a que la Chine qui baisse de moins d’un pourcent. Pourtant la Chine, c’est l’autre truc qui fait peur après l’inflation. La peur d’un ralentissement chinois et le retour d’un 239ème confinement parce qu’ils ont découvert un pigeon infecté au COVID. Ce qui est bien d’ailleurs parce que nous utilisons tellement le ralentissement chinois comme stratégie de la peur sur les marchés que l’on va bientôt aussi l’utiliser pour forcer les enfants à manger leurs légumes :

« Si tu ne manges pas tes haricots verts, le ralentissement chinois va venir !!! »

Ça devrait fonctionner beaucoup mieux que le croque-mitaine ou le « je te prive de ton iPhone ».

Pour le reste, le pétrole était en baisse hier parce que les Américains voudraient éventuellement peut-être alléger les sanctions contre le Venezuela – mais comme cette « nouvelle » avait tellement bien fonctionné avec l’Iran, on est déjà en train de remonter ce matin. Le brut se traite à 108.19$ et ça n’est pas assez bas pour que je commence à me réjouir de mon prochain plein d’essence. L’or est à 1814$ et le Bitcoin est à 29’000$ – le Bitcoin, en termes de risque, c’est un mec qui apprend à marcher sur une corde raide au-dessus du Grand Canyon par grand vent et qui est complètement bourré. Pour l’instant il est toujours sur la corde, mais on ne sait pas trop comment il fait. Tout en ayant une bonne idée de comment ça va se finir.

Le Elon Musk du jour

Nouvelle rubrique dans cette chronique, la rubrique Elon Musk. Puisqu’il ne se passe plus un jour sans que l’on ne parle de lui, je vais en faire un passage incontournable. Donc hier, en dehors du fait que Twitter plongeait de près de 4% en devenant le plus gros échec-to-be de take-over de l’histoire des Etats-Unis, Musk a fait parler de lui parce que Standard & Poors a sorti Tesla de sa liste des titres ESG. La société qui fait des indices et qui fabrique des ratings a donc décidé de sortir le leader mondial des voitures électriques qui ne polluent pas de ses indices ESG. Oui, parce qu’il paraît qu’une voiture électrique pollue quand même parce que quand on la charge, l’électricité que l’on utilise n’est pas toujours assez « clean ».

Alors ça, on ne l’avait pas vu venir. Musk n’a donc pas aimé. Il a évidemment tweeté pour dire que les critères ESG étaient un SCAM et qu’ils avaient perdu leur intégrité. C’est vrai que quand on sait qu’EXXON est dans le top 10 des boîtes ESG et que Tesla ne fait même plus partie du groupe, on peut doucement rigoler. Tesla termine la séance à 709$ et se retrouve un peu dans la même position que le gars qui faisait de la corde raide par grand vent dont je parlais un peu plus haut. Ce qui devrait bien aider le take-over sur Twitter au passage.

Nouvelles du jour

Dans les nouvelles du jour on parle de la baisse de Cisco qui a raté son trimestre et qui n’avait même pas prévu une situation où un pays comme la Chine ralentissait au point de paralyser l’économie. La société a raté son trimestre et plongeait de 20% entre la séance et l’after close. Dans la foulée, Goldman Sachs baisse ses prévisions de croissance sur la Chine et joue clairement la vision à long terme avec un coup d’avance sur tout le monde. Dorénavant, le GDP de la Chine devrait se situer autour des 4% – à cause du COVID. Ça non plus, on ne l’avait pas vu venir.

Côté chiffres du jour, pour le moment les futures sont en hausse mais plus personne n’y croit. Et puis, côté chiffres, nous aurons le chômage en Allemagne, les Minutes du dernier meeting de la BCE où l’on devrait trouver des preuves comme quoi Lagarde va monter les taux en juillet, à moins qu’on l’engage comme Ministre de l’économie et des Finances sous Macron Premier et puis il y aura aussi les Jobless Claims et le Philly FED.

Dans l’attente de voir quel type de thérapie nous allons tenter pour essayer de faire revenir le marché dans un état normal, il me reste à vous souhaiter une excellente journée. On se revoit demain matin à la même heure pour discuter du dernier tweet de Musk.

Excellente journée à tous !

Thomas Veillet
Investir.ch

“If you cannot do great things, do small things in a great way.”

– Napoleon Hill