La tenue habituelle du mec qui bosse à Wall Street, c’est le costard-cravate à 3’000$. Avec les années, on est un peu passé à une tenue un peu plus décontractée. Mais si on m’avait dit qu’en 2022, on passerait à la camisole de force ; je ne l’aurais pas cru. La bonne chose avec une camisole de force, c’est que vous ne pouvez pas bouger les mains et que c’est plus compliqué d’appuyer sur la touche « SELL, SELL, SELL » avec la langue. Cependant, en observant le carnage de la journée d’hier. Il semblerait que malgré cette nouvelle tenue vestimentaire réglementaire sur la presqu’île de Manhattan, on a tout de même trouvé moyen d’appuyer sur la gâchette pour flinguer le marché.

L’Audio du 6 mai 2022

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Massacre à la tronçonneuse

Si vous avez lu la chronique d’hier et si vous avez accepté le fait qu’après le discours de la FED, les marchés ont explosé PARCE QUE POWELL avait dit que la Banque Centrale Américaine ne « travaillait pas activement sur la possibilité de monter les taux à coup de 0.75% ». Eh bien vous pouvez oublier tout ce que vous avez vu, lu ou entendu sur le sujet. En effet ; en moins de temps qu’il n’en faut pour dire : « mais sommes-nous complètement débiles ou juste un peu stupide ??? », les trois indices américains et tout ce qu’ils comportent se sont fait littéralement massacrer. Je crois que le terme n’est pas galvaudé. Peut-être même que l’on pourrait qualifier la séance d’hier de « bain de sang ». Même dans les multiples épisodes de « massacre à la tronçonneuse » et de « Vendredi 13 » réunis, on n’a pas réussi à voir autant d’hémoglobine qu’hier à Wall Street.

Visiblement, c’est tout de la faute des taux et aussi un peu de l’économie. Du côté des taux, il semblerait que les « experts » aient eu besoin d’un peu plus de temps pour « DIGÉRER » l’annonce que la FED a fait mercredi soir. C’est assez étrange, parce que d’habitude, on arrive à lire les Minutes du FOMC Meeting du mois précédent en 8 secondes et 12 dixièmes pour en tirer des conclusions. Mais là, il nous aura fallu près de 24 heures pour se rendre compte que :

1) Lorsque Powell dit que « pour l’instant, la FED ne travaille pas activement sur une possibilité de monter les taux de 0.75% à chaque fois » ; ça ne veut pas dire qu’il ne le fera JAMAIS. Cela veut dire, en revanche, que si l’inflation continue de nous donner des coups de pieds dans les chevilles, ça pourrait bien arriver quand même. Sur un malentendu.

2) Le second point étant qu’il nous aura aussi fallu près de 24 heures pour se rendre compte que les taux étaient loin d’avoir fini de monter et que quand les taux montent, c’est mauvais pour tout ce qui est technologie, croissance, e-commerce, voitures électriques, smartphones, semi-conducteurs et j’en passe et des meilleurs. Donc, lorsque le 10 ans US franchit les 3% de rendement et que le 2 ans menace de faire la même chose dans les jours qui viennent, ça n’aide pas à consolider le rebond entamé juste après l’annonce de mercredi soir.

Vendredi 13, le retour de Jason et de son masque de Hockey sur Glace

On ne va donc pas se voiler la face : le marché s’est fait littéralement détruire hier soir. Déjà que la plupart des chiffres qui étaient publiés faisait décaler le marché, des boîtes comme Etsy ou Shopify plongeaient presque aussi vite que Netflix et Lyfts réuni, mais en plus on commençait à se dire que « ça n’était que le début », « que le marché pouvait encore baisser beaucoup plus » et que le « breath » (différence entre les titres qui baissent et les titres qui montent) ressemblait de plus en plus à une panique pré-pandémie de 2020. D’ailleurs les indices ne s’étaient plus fait exploser comme ça depuis juin 2020. Cette époque bénie où les Banques Centrales étaient nos amies et où nos bons gouvernements nous arrosaient de pognon à tous les coins de rue. Hier tout ça n’était plus que des souvenirs et l’angoisse montait d’un cran, les supports étaient mis à mal, la volatilité montait à nouveau au-dessus des 30%, manquait plus qu’un chiffre économique qui fasse peur et on avait le triplé gagnant.

D’ailleurs on a même trouvé un chiffre économique qui foutait la trouille et qui réveillait la somme de toutes les peurs chez les fans d’économie et les afficionados de Joseph Stiglitz et Nouriel Roubini : La productivité des entreprises non-agricoles a chuté de 7,5 % au cours du premier trimestre. Il faut reconnaître qu’il fallait aller le chercher celui-là. On nous prend la tête depuis des mois avec les chiffres de l’emploi (NFP) – qui sortiront d’ailleurs ce soir – on nous bassine avec le CPI, le PPI, les ISM et les PMI’s de toutes les couleurs, mais on ne nous avait pas encore fait un sketch avec la productivité des entreprises non-agricoles. Toujours est-il que le chiffre d’hier était le plus pourri depuis… 1947. Une époque où tout le monde roulait avec des moteurs V8 et des freins à tambour, que tout le monde trouvait ça « normal » et que l’on ne risquait pas de se faire shooter par un abruti en trottinette électrique qui roulait sur le trottoir à 87 kilomètres à l’heure avec pour but ultime de sauver les ours polaires.

Psychose

Nous avons donc les taux qui montent à la verticale et qui ont tendance à vouloir signaler que « la FED n’est pas assez agressive » et autant vous dire que si c’est les taux qui le disent, c’est qu’ils ont raison. C’est un peu la même chose que quand c’est Goldman Sachs qui parle. En plus des taux qui montent, nous avons des indicateurs économiques qui laissent supposer que la croissance est en train de se faire tacler au-dessus du genou – des indicateurs aussi importants que la productivité des entreprises non-agricoles – vous ajoutez à cela des sociétés de croissance technologique qui sortent des chiffres en demi-teinte et des guidances qui donneraient presque envie de se fouetter avec des orties à la place. Et vous aurez une « perfect storm » qui fout la trouille à tout le monde et qui donne surtout l’impression que ce marché est complétement débile, a la capacité d’attention d’un labrador de 8 semaines devant un kilo de filet de bœuf et qu’il serait bon de l’interner en psychiatrie et de le bourrer de calmants.

Il est clair si vous prenez un immense chaudron – type celui que Panoramix utilise pour faire la potion magique dans Astérix – que vous y mettez une économie qui donne des signes de ralentissement, une inflation qui ELLE, ne donne AUCUN signe de ralentissement. Que vous saupoudrez subtilement d’une hausse des taux pas assez agressive pour freiner l’inflation, mais SUFFISAMMENT agressive pour freiner la croissance… Et vous avez une recette d’un truc absolument imbuvable qui donne envie d’acheter des lingots d’or et de les stocker au fond du jardin. Manquerait plus que le consommateur arrête de consommer et que l’emploi ralentisse et ça pourrait commencer à ressembler à l’arrière-cours d’un Kebab qui n’aurait pas passé l’inspection du service d’hygiène. Pour le moment, la bonne nouvelle, c’est que le consommateur consomme et que la crise du COVID aura permis de créer près de 2 trillions d’épargne supplémentaire chez le consommateur (dont je ne fais pas partie) et qu’en ce qui concerne l’emploi ; on saura à 14h30 si les 400’000 emplois qui devraient avoir été créés en avril sont réels ou sont simplement le fruit du fantasme de quelques économistes qui ont fabriqué leurs conclusions en les jouant aux fléchettes.

Massacre à la tronçonneuse 2

En tous les cas, ce qu’il y a de bien dans ce genre de marché ; c’est que quand ça baisse à cette vitesse, avec cette intensité, on n’a pas besoin de parler d’autre chose. Et puis, ce qui est chouette aussi, c’est que lorsqu’il y aura la publication des MINUTES DU FOMC Meeting dans 19 jours – ces minutes qui vont nous raconter EXCATEMENT la même chose que Powell a expliqué mercredi soir ; on va se reprendre la même claque dans la tronche parce qu’on nous a expliqué deux fois la même chose mais qu’on n’était pas certain d’avoir compris la première fois.

En tous les cas, ceux qui ne sont pas déçus, c’est les Européens. Ils ont raté le rebond de mercredi soir parce qu’ils étaient déjà fermés. Ils ont essayé d’en profiter hier matin et on les a renvoyés à la niche dans l’après-midi avec ce sell-off massif à New York. En résumé, pour l’Europe c’était deux journées pourries à la suite et en plus, le seul truc qui ne baisse pas : c’est le pétrole !!! On a vraiment l’impression que s’il y a un mec là-haut qui se prend pour Dieu, le type doit être mort de rire en avançant ses pions sur l’échiquier. En gros ça devrait donner ça :

« Alors… Laissez-moi voir ce que je vais faire. Récapitulons… L’inflation est à son plus haut depuis 40 ans, les taux vont monter pendant 2 ans… Hummmm, je vais leur mettre un bon ralentissement économique dans les pattes pour voir ce que ça fait… Et puis tiens, allez, je me lâche, je vais faire monter le pétrole à 108$ et leur foutre un dictateur russe avec une tumeur au cerveau et un stock d’armes nucléaires à disposition. Hummmm et puis si ça suffit pas, en septembre je leur balance une huitième vague de COVID avec un nouveau variant qui est insensibles à leurs vaccins et à leurs boosters. Ça devrait m’occuper le reste de l’année. Allez.. Hop, un cigare, un whisky, je m’assois dans mon fauteuil de Dieu et j’attends l’anniversaire du fiston le 24 décembre »….

Les dents de la mer

En résumé, on s’est fait déglinguer propre en ordre. Le chart du Nasdaq ne ressemble plus à rien, le Bitcoin est définitivement corrélé au Nasdaq est ça ne va pas mieux. Pendant ce temps, Hong Kong est en chute libre de 3.53%, la Chine le suit à distance en reculant de 1.8%. Il y a juste Tokyo qui ne baisse pas et qui est inchangé, mais c’est surtout dû au fait que c’est fermé pour cause de journée des enfants. Le baril est donc toujours au top de sa forme à 108.75$ pendant que MÊME l’or ne monte pas et se traîne à 1875$. Tu parles d’un safe-heaven.

Dans le reste des nouvelles, on retiendra que Musk a trouvé des copains pour racheter Twitter ; Ellison de chez Oracle, ainsi que Binance et le fonds Sequoia sont avec lui. Musk pourrait même devenir CEO de Twitter pendant la phase de transition. Nouvelle qui a eu le mérite de plaire énormément aux actionnaires de Tesla qui se sont empressés de vendre leurs actions et de NE PLUS être actionnaires de Tesla. Le titre a prix 8% dans les dents. 6% parce que les taux montaient et quand les taux qui montent : c’est mal. Et 2% parce que Musk court 22 lièvres à la fois. Vu que l’ambiance est super-bonne – limite euphorique – la Banque d’Angleterre a décidé de calmer le jeu. Hier ils ont monté les taux de 0.25% en mettant en garde contre une récession qui pourrait se mettre en place d’ici la fin de l’année.

Voilà ! Le mot est posé. Et je pense que le mot RÉCESSION va devenir gentiment LE MOT de 2022 – enfin, s’il n’y a pas de 14ème vague d’OMICRON-COVID-BA2 en septembre – non, parce que si vous lisez attentivement les journaux ce matin, vous verrez que l’on peut trouver pléthore d’articles qui parlent de récession ou de hard-landing ou alors, pour être plus politiquement correct, du fait que réaliser un « soft-landing sera pratiquement impossible ». Ce qui revient au même. Oui, parce que quand un avion rate son atterrissage, on ne peut pas dire qu’il s’est crashé un « tout petit peu seulement ».

Les chiffres du jour

Inutile de chercher plus loin. Le chiffre du jour ne sera pas la productivité des entreprises non-agricoles, mais plutôt les non-farm payrolls du mois d’avril. Il y aura aussi le chômage en Suisse et les même NFP en France. Sauf que la version française, tout le monde s’en fout. Pour le moment, les futures sont encore dans le rouge et je ne suis pas convaincu que l’on ait le courage de rebondir avant le week-end. Il me semble plus sage de partir tout de suite en week-end et de dire à son employeur que l’on a confondu ce vendredi avec le vendredi Saint et que l’on reviendra mardi prochain. Ça fera du bien à tout le monde de dormir un peu là-dessus !

Il me reste à vous souhaiter un excellent week-end et je vous retrouve lundi ! Que la force soit avec vous, parce qu’il va en falloir, de la force.

À lundi !

Thomas Veillet
Investir.ch

“Be who you are and say what you feel, because those who mind don’t matter and those who matter don’t mind.”

– Bernard M. Baruch