Hier matin, il y avait comme une sorte de certitude qui planait dans les esprits torturés des traders : l’inflation pourrait bien nous montrer des signes de faiblesse. C’est sur cette base, sur cette spéculation que la journée se sera construite. L’Allemagne a montré des chiffres inflationnistes plus forts qu’attendus, mais ça n’était pas grave. La seule chose qui nous intéressait hier, c’est le chiffre des prix à la consommation aux Etats-Unis. Une fois que ce dernier fût sorti – il ne restait plus qu’à l’interpréter et en tirer des conclusions. La spirale continue mais le S&P500 n'est pas encore en Bear Market – techniquement – psychologiquement, c’est autre chose.

L’Audio du 12 mai 2022

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Moins fort, mais plus quand même

Au-delà des chiffres eux-mêmes, ce qu’il faudra surtout retenir c’est la manière dont nous interprétons les choses. Les experts en finance attendaient une hausse annualisée de 8.1% sur le CPI. C’est sorti à 8.3%. Donc, techniquement, c’est plus élevé que les attentes. Cependant, on sait tous que le « track-record » des experts en prévisions financières est largement catastrophique. Surtout ces derniers temps. Ce que l’on peut attribuer comme valeur à cette « relative déception » n’est somme toutes que relative. Oui, parce que la bonne nouvelle qu’il fallait retenir c’est que ces 8.3% sont EN-DESSOUS des 8.5% du mois précédent.

Ce qui, si l’on applique strictement la théorie mathématique qui dit que 8.5 est plus élevé que 8.3, ça veut dire que l’inflation à l’air de ralentir !!!! Et ça, c’est génial !!!!

Bon, d’accord, ça ne ralentit pas assez vite par rapport aux attentes et aux prévisions des économistes. Mais entre vous et moi, qu’est-ce qu’on en a à faire des prévisions des économistes ??? Ils sont faux depuis des mois. Pour ne pas dire plus ! Et puis s’ils étaient aussi forts en prévisions ; on n’en serait pas là. Ils auraient prévenu Powell avant qu’il ne se rende compte lui-même que l’inflation n’était plus transitoire et surtout, surtout : plus sous contrôle. En se basant sur cet état de fait ; on pouvait raisonnablement espérer que la nouvelle d’hier était « bonne », que nous étions en train de nous diriger vers une météo moins perturbée. Que nenni.

L’Europe a vu le verre à moitié plein

Au moment de la publication des chiffres du CPI, l’Europe était en pleine forme. Elle était même en train de savourer ce sentiment qui laissait à penser que la fin de cette période de sell-off s’approchait gentiment. L’inflation marquait le pas, la France allait enfin avoir un Premier Ministre qui allait sauver le monde associé à son Président génial, l’hiver était définitivement terminé et les terrasses réouvraient pour fêter l’installation définitive du printemps. À 14h30 le 11 mai, lorsque les chiffres de l’inflation sont sortis, le CAC40 était en hausse de 1.75%.

Et puis… on a senti comme une hésitation. On a bien vu que les Américains avaient de la peine à interpréter la nouvelle et que cette explosion de joie que l’on espérait voir alors que l’inflation s’affaiblissait enfin, avait de la peine à se matérialiser. L’Europe s’est alors sentie aspirée dans une sorte de spirale de dépression avec des gros nuages qui s’amoncelaient à l’horizon. L’ensemble des indices s’est alors embarqué dans une chute vertigineuse avant de s’arrêter juste avant la couleur rouge. À cet instant très précis, tout le monde s’est dit :

« AH, mais non, ce chiffre est tout de même encourageant !!! »

Et les marchés sont remontés comme des balles pour terminer au plus haut de la séance ou presque. Le CAC40 finissait en hausse de 2.5%, le DAX prenait 2.17% et même l’Italie terminait en hausse de 2.8%. Pendant que les Européens sortaient du bureau, se précipitaient sur les terrasses pour aller boire l’apéro et fêter ENFIN une belle journée, le S&P500 était en hausse, il tenait même les 4’000 points – support important s’il en est – et on se disait que l’avenir pouvait peut-être s’améliorer. Biden expliquait même aux Américains qu’il pouvait « sentir » leur douleur par rapport à l’inflation et qu’il allait les aider. Pendant un bref instant on serait cru dans une série Netflix qui se finissait bien.

Et puis en fait, NON ! Le verre était à moitié vide

À New York, une fois que nous eûmes bien vérifié que les Européens avaient bien quitté le bureau, on a commencé à se dire que 8.3%, « c’est quand même beaucoup ». Que 8.3%, « c’est moins que le mois dernier, mais c’est QUE 0.2% de moins que le mois dernier et ça n’est pas 0.2% qui vont faire que la FED va ralentir sa hausse des taux ». Et que, finalement, 8.3%, c’est quand même au-dessus des attentes des économistes et que c’est quand même une déception.

Les vendeurs ont commencé à se pointer. Et puis on s’est dit que l’économie n’était pas en si grande forme que ça et que si les taux continuaient de monter parce qu’on est obligé de monter les taux pour freiner une inflation à 8.3%, ça allait ralentir l’économie. On a aussi commencé à décortiquer les chiffres du CPI et on s’est rendu compte que le prix des services avaient pris l’ascenseur.

Et de plus en plus en plus de vendeurs ont commencé à se pointer. En décortiquant les chiffres du CPI on s’est aussi rendu compte que les prix des billets d’avion avaient pris l’ascenseur et que le prochain week-end à Miami allait coûter 20% plus cher. Sans compter que l’on venait de se rendre compte que la Chine était en train de déconfiner gentiment. Ce qui voulait dire qu’ils allaient consommer bien plus de pétrole et faire monter le prix du baril – ce qui était d’ailleurs confirmé par le prix du dit baril qui reprenait presque 10% pour s’établir à 105$. C’est à cet instant que tout est parti en vrille et que le Dow Jones s’est offert sa cinquième séance de baisse consécutive, que le S&P500 clôturait sous les 4’000 points, que le Nasdaq perdait encore une fois plus de 3% et que le CEO de Coinbase – qui chutait de 26% (pas le CEO, le titre) – devait prendre la parole pour expliquer aux « gens » que la société n’était pas à risque de faillite. Ce qui ne semblait pas être évident pour certains.

C’est quoi le texte ?

Bref. En conclusion, les chiffres de l’inflation étaient supérieurs aux attentes des gourous de la finance. Gourous qui se sont empressés de venir dire que le fond du trou n’était pas encore arrivé, que les gens n’avaient pas encore capitulé et que nous n’étions pas encore en phase de panique – encore une semaine comme ça et on va y arriver – et puis pour faire court : la journée du 11 mai aura été géniale en Europe et toute pourrie aux USA. L’inflation est toujours forte, la FED ne va pas changer d’avis et si l’on avait un doute, hier soir Monsieur Bullard a parlé. Et pour ceux qui ne connaissent pas Monsieur Bullard ; il est « hawkish » – mais pas « hawkish » version amateur. Plutôt version pro. Lui il a même inventé le terme je crois.

Monsieur Bullard a donc déclaré qu’il fallait s’attendre à des hausses de taux de 0.5% lors des DEUX prochains meetings de la FED et qu’il était parfaitement à l’aise avec ça. Et il a dit ça alors qu’il connaissait les chiffres de l’inflation. On ne va pas dire que l’on ne savait pas que les taux allaient monter de 1% sur les deux prochains mois. Mais on n’aime pas trop entendre ce genre de choses. On le sait. Mais on n’aime pas l’entendre.

Et maintenant quoi ?

Chaque jour qui passe, nous nous faisons défoncer un peu plus. Chaque jour qui passe, on va un peu plus bas et une liste de titres longue comme le bras se fait allumer comme si ça ne coûtait rien. Hier c’était Coinbase, c’était Beyond Meat ou encore Microstrategy. Chaque jour qui passe on se dit que ça va s’arrêter. Que l’on va « rebondir » que l’on va commencer à se dire que « c’est dans les prix ». Et puis en fait non. Le couteau continue de tomber un peu plus fort. Un peu plus vite. Les valorisations ne veulent plus rien dire et la seule chose qui veut encore dire quelque chose, c’est le cash.

Plus personne n’ose prendre des risques et quand on regarde les volumes, ainsi que les investissements qui ont été fait depuis 12 mois – on se rend compte assez rapidement que ce qui a été vendu est dérisoire. Les gens sont encore dedans jusqu’au cou et ils serrent les fesses en attendant que ça passe. Encore faudra-t-il que ça passe. Parce que si vous mettez bout à bout le fait que Monsieur ToutLeMonde en prend plein la gueule quand il fait les courses, quand il fait le plein et quand il regarde son dossier titres. Ceux qui comptent sur le consommateur pour sauver l’économie vont devoir commencer à se poser des questions.

L’Asie

Ce matin les futures sont en hausse de 0.3% – du genre : « venez mes agneaux » aujourd’hui on va rebondir pour de vrai. Mais l’Asie n’est pas dupe. Le Hang Seng est en baisse de 0.56%, le Japon abandonne 0.9%, pendant que la Chine remonte un poil, parce que le COVID semble perdre du terrain et que les Chinois vont peut-être avoir le droit d’aller au parc en combinaison plastifiée, avec trois masques superposés et des bottes en caoutchouc. Ce qui est considéré comme une bonne nouvelle. Et c’est à cet instant très précis que tu comprends l’expression : « faute de grives, on mange des merles ».

Pour le reste, le pétrole remonte – ce qui va aider l’inflation. L’or ne fout rien et les Cryptos sont en mode panique. Je vais vous avouer un truc ; je ne suis pas un expert en cryptos, mais le fait que le Terra se soit fait démonter de près de 90%, que la plupart des « shit-coins » sont en train de se faire massacrer : ce matin le Shiba est en baisse de 26%, le Doge plonge de 25%, le Gala se fait assassiner de 42%, sans parler du Sandbox et d’autres. Le Bitcoin est sous les 30’000 et on sait que les institutionnels ne vont pas accepter ça trop longtemps, l’Ether revient dangereusement sur les 2’000$… Eh bien quand on voit tout ça, on se dit que ça ne sent pas forcément très bon. Va falloir que Musk fasse quelque chose.

Les nouvelles du jour

Pour ce qui est des nouvelles du jour, on parlera d’abord de Madame Lagarde qui semble clairement prête à monter les taux en juillet, c’est en tous les cas ce que les économistes qui ont écouté son discours hier en ont tiré comme conclusion. On peut aussi parler des chiffres de Disney. Oui, parce que c’est assez intéressant. En fait Disney est un énorme conglomérat qui fait plein de choses et qui fonctionne sur plusieurs business. Sauf qu’hier, lors de la publication des chiffres trimestriels, la seule chose qui intéressait le marché, c’était les chiffres du Streaming. Les chiffres des abonnés de Disney+.

On voulait savoir si c’était Netflix les tocards ou si c’était l’industrie qui était toute pourrie parce que les gens voulaient soudainement se mettre à lire. Alors rassurez-vous, on a encore de belles soirées devant la télé qui se profilent devant nous. Disney a annoncé qu’ils avaient eu 7.9 millions de nouveaux inscrits à Disney + et qu’ils espéraient devenir profitable dans ce business dès l’an prochain. Mais ça n’a pas suffi pour satisfaire les intervenants qui mettaient le titre sous pression after close. Disney terminait la séance en baisse de 2.3% et perdait encore 3.2% après la séance. On peut aussi parler du CFO de Moderna. Le CFO en question qui a pris ses fonctions lundi matin a annoncé son départ hier soir. Il semblerait que la boîte d’où il vient serait en train de lancer une enquête pour malversation financière et pour avoir surévalué les ventes. Moderna perdait 6.8% et le CFO a perdu son job.

Hier soir il y avait aussi les chiffres de Rivian. Après le sell off de ces derniers mois, la société s’est montrée hyper-positive pour l’avenir. Ils ont fabriqué 2’553 voitures en trois mois et sont confiants d’atteindre les 25’000 voitures sur l’année. 2’553 fois 4 ça fait toujours un peu plus de 10’000 faudra donc pas trop prendre de vacances. Ils sont confiants pour l’avenir et ont 17 milliards de cash. Le titre reprenait 5% after close pour fêter ça. Ça rigole, après avoir baissé de 89% par rapport aux plus hauts, on sent que le gens ont vraiment envie d’y croire. Et puis, autrement, c’est la fin d’une époque : Apple n’est plus la plus grosse compagnie du monde. C’est dorénavant Saudi Aramco qui prend la tête. Apple a perdu 20% depuis ses plus hauts historiques et le pétrole ne fait que monter. Et visiblement, c’est pas fini. On notera aussi que Tesla a perdu près de 9%, pourtant Elon Musk continue de dire que la voiture autonome arrive pour la fin de l’année et que la croissance des ventes est fantastique. Par contre en Chine, on annonce des chutes de production chez les fabricants… mais pas chez Tesla visiblement. Si Musk bossait dans les vaccins, on serait tous immunisés contre absolument tout.

Chiffres du jour

Pour les chiffres du jour, nous allons à nouveau parler de l’inflation, puisque cette fois ça sera le PPI – les prix à la production. On se réjouit de voir comment ça va être interprété. Il y aura également le PPI en Suisse, mais ça ne changera pas la face du monde. Et puis les Jobless Claims aux USA et le GDP en Angleterre.

Côté chiffres du trimestre, il n’y aura rien de transcendantal, mais c’est surtout du côté de l’opinion qu’il faudra se pencher. Si l’on prend le temps de lire la presse dans tous les sens, on se rendra assez rapidement compte que l’avenir est sombre et que les experts commencent tous un peu trop à parler de récession et du fait que l’on n’a pas encore envisagé, ni « pricé » la chose dans les marchés. On a l’impression que c’est une « perfect storm » qui va nous tomber dessus. Ça paraît même un peu trop facile. Les objectifs sont clairement beaucoup plus bas et si l’on observe les chiffres de comportement du marché, on n’a pas fini de baisser. La volatilité n’est pas assez haute, le put-call ratio non plus et les appels de marges n’ont pas encore fait assez mal. Sans compter que, selon les statistiques, les « retail investors » sont toujours en mode « buy the dip » alors que les stars de la finance mondiale sont en mode « sell the strength »…

On espère que le retail aura raison, mais c’est pas comme ça que ça finit d’habitude. Oui, je dis « d’habitude », parce que tout ça me rappelle un paquet de souvenirs….

Excellente journée à tous ! Et à demain… 3% plus bas. Ou plus haut.

Thomas Veillet
Investir.ch

“If opportunity doesn’t knock, build a door.”

– Milton Berle