La semaine qui vient de se terminer aura été épique, déprimante et désespérante. Ce n’est pas que l’on ait appris de grandes choses où que nous soyons plus au clair sur la condition économique dans laquelle nous sommes, au contraire. Mais disons que la semaine dernière nous avons appris à interpréter les mêmes choses sous plusieurs angles et ensuite on les a interprétées de différentes manières et on s’est fait balader dans tous les sens. Je suis bien conscient que mon « accroche » de ce matin ne veut pas dire grand-chose, mais il faudra bien vous rendre à l’évidence : tant que ces marchés sont complètements débiles dans leur fonctionnement, je ne pourrais pas dire des choses intelligentes.

L’Audio du 9 mai 2022

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Et maintenant l’emploi

Essayons de récapituler. Essayons de comprendre la logique dans laquelle nous nous trouvons. Même si le mot « logique » est clairement le dernier qu’il faudrait utiliser dans ces instants pathétiques, il me semble important d’essayer de comprendre ce qui nous donne l’impression de passer notre temps dans un grand-huit émotionnel qui ne s’arrête jamais.

Commençons donc par le début : L’inflation

Il y a encore quelques mois, alors nous étions en train de préparer les cadeaux de Noël, de choisir la taille de la dinde et que nous étions en train de vérifier si l’on rentrait encore dans nos pantalons de ski pour la saison à venir. Le patron de la FED, le bien-aimé Jerome Powell et venu tourner la veste et exprimer ses craintes quant au fait que l’inflation ne serait plus vraiment transitoire et sous contrôle, comme il nous l’assurait depuis des mois. Mais qu’en fait, ladite inflation était plutôt en train nous péter à la figure.

À partir de là, le marché, l’économie et les experts en tout ça, ont pris conscience que l’effet COVID, taux à zéro et argent facile pourrait éventuellement devenir un problème et même plus qu’éventuellement. Que la FED allait devoir faire quelque chose. Probablement des frappes chirurgicales à coup de taux d’intérêts qui montent. C’est ainsi que l’on a commencé l’année. Dans la foulée, Vlad l’empaleur s’en est pris à l’Ukraine, tout le monde a coupé les vivre à la Russie en signe de représailles, Macron s’est pris pour Kennedy, on s’est rendu compte que le prix des céréales allait prendre l’ascenseur, que le pétrole – qui se retrouvait privé de la production russe et qui faisait face au retour de la demande sur les énergies fossiles allait partir au ciel et que les 200$ le baril n’étaient plus à exclure. Et que, du coup, la hausse des céréales, des matières premières, du pétrole, sans parler du gaz, allaient forcément faire péter l’inflation, qui, pour le coup n’était plus DU TOUT TRANSITOIRE et encore moins sous contrôle.

L’évidence s’imposait donc à nous : il allait falloir monter les taux pour freiner tout ça. Pour autant que l’on puisse encore le faire.

Dans tous les sens

Oui, parce que le problème dans tout ça, c’est que l’on sait que monter les taux est la seule arme pour freiner l’inflation. Mais que l’on sait aussi que l’arme en question est à peu près aussi précise et facile à utiliser que si l’on utilisait un marteau-piqueur pour se brosser les dents : elle risque de faire plus de mal qu’être efficace. Et c’est que l’on commence à avoir mal partout. On se retrouve dans une phase inflationniste qui risque de nous faire surchauffer et en même temps, la seule solution que l’on a à le pouvoir de faire caler cette économie qui se remet à peine d’une pandémie qui n’est peut-être même pas réglée si l’on en croit les scientifiques et le gouvernement chinois. Notre bien aimé Jerome Powell se retrouve donc devant un choix cornélien :

1) il monte les taux vite et fort, freine l’inflation, plante la reprise économique et nous envoie en récession et tout le monde pensera que c’est un salaud et qu’il faut le pendre haut et court.

2) il ne monte pas les taux assez vite, l’économie repend sa route mais l’inflation nous pète à la figure et tout part en vrille. À ce moment-là, tout le monde pensera que c’est la faute de Powell qu’il n’a pas agi de la bonne manière, que c’est un salaud et qu’il faut le pendre haut et court.

La bonne nouvelle pour Powell, c’est que quoi qu’il fasse, ça sera un salaud et il faudra le pendre haut et court. Il sait donc exactement où il va. En revanche, pour ce qui est des marchés et du monde merveilleux de l’investissement, c’est un peu plus compliqué que ça.

Un beau bordel

Nous – les investisseurs, les experts en finance et autres traders – avons très bien compris dans la position dans laquelle nous nous retrouvons : nous devons interpréter ce que l’on annonce, en tirer des conclusions et prendre des décisions d’investissement pour les 12 prochaines heures. Puisque oui, tout le monde le sait, depuis le début de l’année on a revu nos horizons d’investissement : le court terme se compte en millièmes de secondes, le moyen terme ne dépasse pas une heure et le « Long Terme », atteint péniblement les 24 heures. Et encore. Nous avons acquis au cours des années, cette capacité à changer d’avis comme de chemise, puis ensuite, à faire tout et son contraire en l’espace de moins de quelques heures.

C’est exactement ce qui s’est passé la semaine dernière. C’est d’ailleurs ainsi que l’on peut résumer la semaine :

Lundi ; on ne fait pas grand-chose… parce qu’on attend la Fed

Mardi ; on ne fait pas grand-chose, mais on est angoissé… parce qu’on attend la FED

Mercredi ; la FED va parler alors dans le doute l’Europe vend tout parce qu’elle a peur que la FED monte les taux. Le soir, la FED monte les taux de 0.5% comme l’avait prévu à peu près 140% des experts en taux d’intérêts de la planète. Mais c’est surtout le fait que Powell nous dise qu’il ne compte pas monter les taux à coup de 0.75% qui nous rassure et qui fait exploser le marché à la hausse.

Jeudi ; les Européens tentent de rattraper le retard, mais entre deux, les Américains ont réfléchi. Et en plus ils ont trouvé un nouveau chiffre va tout changer : la production des entreprises non-agricole. Chiffres que l’on ne regarde JAMAIS, dont on n’a plus entendu parler depuis 1984, mais qui a la particularité de n’avoir plus jamais été aussi faible depuis 1947. À partir de là, on s’est dit que l’économie était déjà en train de caler et que la FED n’allait jamais pouvoir monter les taux plus haut – ce qui voudrait dire que l’on va avoir une inflation galopante ET UNE CROISSANCE MOLLE, ce qui est pire que tout. On a même mentionné le mot de STAGFLATION – ce qui est pire que tout. Stagflation, même si on ne sait pas ce que ça veut dire, rien qu’à l’entendre on sait que c’est moche. Le marché se fait alors défoncer comme si on venait de nous annoncer que l’on a découvert du potage de chauve-souris infecté au COVID 19 et que les médicaments et les vaccins de Pfizer ne fonctionne pas pour lutter contre.

Et vendredi….

Alors vendredi, en dehors du fait que c’est le jour du poisson, c’était aussi le jour des chiffres de l’emploi américain. On nous a annoncé qu’en avril – en plus de ne pas s’être découvert d’un fil, ils avaient aussi créé 420’000 emplois. Plus ou moins 30’000 de plus que ce que les experts attendaient. Ce qui était techniquement une bonne nouvelle, puisqu’il y avait moins de monde au chômage et que c’est quand même plus sympa de pouvoir trouver un job quand on en a besoin. Oui. Sauf qu’en ce moment, si tu crées trop d’emploi, tu te retrouves avec plus de gens qui ont un salaire. Plus de gens qui vont aller claquer du pognon dans des biens de première nécessité : une brosse à dents, un jeans neuf, un iPhone et une Tesla S.

En gros ; on a de nouveau peur de l’inflation galopante, tout en sachant que la FED aura quand même de la peine à trop monter les taux, vu qu’elle risque de freiner l’économie et qu’en même temps, sans monter les taux, elle va favoriser l’inflation. Le dilemme est kafkaïen. Et comme dans tout dilemme kafkaïen, dans le doute, on a tout vendu. Même les super-boîtes qui font de super-bénéfices et qui disent qu’ils sont confiants en l’avenir, même elles, se font massacrer. Il faut vite sortir se planquer on ne sait pas où puisque plus rien ne monte. Sauf le pétrole. Ce qui va bien nous aider au niveau inflation.

Et maintenant quoi ?

Nous voici donc dans une merde noire. Nous avons une inflation qui n’est plus sous contrôle et qui n’est plus du tout transitoire. Nous avons une économie qui est dynamique, mais fragile et qui menace de nous lâcher à la première occasion et on ne sait même plus où aller se planquer. L’or semble être dans le coma, les cryptos viennent de se faire défoncer durant tout le week-end et le Bitcoin a perdu 50% depuis ses plus hauts historiques, le rendement du dix ans est à 3.14%, le pétrole est à 110$ et à écouter les « experts », c’est encore bon marché par rapport à ce qui nous attend et quand tu arrives au bureau à 3h30 du matin pour préparer ta journée, tu vois que les futures américains sont déjà en baisse de 1%, que l’Asie est dans le rouge et que le marché se comporte un vrai « Bear Market ».

Techniquement, on ne va pas se mentir, les charts sont à vomir et les tendances descendantes sont clairement en train de se confirmer aux USA. Pendant ce temps, la moitié des gourous sont de sortie pour dire que l’on va tous mourir que le marché peut encore perdre « facilement » 20 à 25%, que l’on a besoin de purger le marché, de souffrir encore beaucoup plus avant que ça aille mieux et qu’en plus le marché immobilier pourrait bien nous exploser à la figure dans les mois qui viennent. Le marché immobilier américain, bien sûr. On se souvient tous comment ça a fait en 2008. Et on s’en passerait donc largement.

Et maintenant, que vais-je faire ?

Nous sommes donc en mode « attaque des ours » et il va falloir s’accrocher au bastingage parce que ça pourrait secouer. Nous sommes au début d’une semaine qui pourrait être prometteuse en termes de dos d’ânes, de doutes et de mal des transports. La volatilité est en train de remonter dangereusement et même s’il n’y a pas de grandes nouvelles à attendre qui pourraient changer la face du monde, on sent que l’angoisse est palpable. C’est ce genre de semaine qui donne l’impression que « cette fois on va se la prendre » et qui pourrait peut-être se terminer en hausse parce que c’est tellement évident que « l’on va se la prendre ». À moins qu’on se la prenne vraiment cette fois-ci. Manquerait plus que Macron nomme Mélenchon comme Premier Ministre et ça serait la totale.

En tous les cas, en lisant la presse de ce lundi matin, on a clairement l’impression que nous sommes au bord de la panique et que le sell-off final n’est pas encore parmi nous. Par contre, vu que notre capacité de raisonnement a été clairement mis à mal ces derniers temps, on a également l’impression que tout peut arriver et que cette semaine pourrait être intéressante à suivre. Nous aurons encore une semaine bien active en termes de chiffres du trimestre. Pas ou peu de grands noms, mais plein de noms qui sont susceptibles de nous faire des swings monumentaux. Je pense à des Roblox, Palantir, Walt Disney, SOFi, Coinbase, Bumble ou encore BionTech.

Et c’est reparti pour un tour

La semaine commence donc sur les chapeaux de roues et pour être franc, quand on voit ce qu’on voit ce matin, qu’on entend ce qu’on entend. Eh ben on a bien raison de penser ce que l’on pense. Personnellement, je suis dans le « milieu » depuis 1987 et je pense en avoir vu des vertes et des pas mûres dans ce marché, mais là depuis quelques temps, je ne sais pas si c’est à cause de la technologie qui nous a rend plus con ou si c’est juste que l’on a arrêté de réfléchir pour tout confier à aux ordinateurs, mais par moment j’ai l’impression que les réactions des marchés sont vides de sens et dépouillées de la moindre réflexion.

Pour le moment, les futures sont donc dans le pâté, il n’y aura pas un chiffre économique qui vaille la peine d’être suivi ou attendu et on peut déjà qu’espérer que l’on va limiter la casse. Quoi qu’en même temps, c’est toujours quand on n’y croit plus que ça repart. Et puis ceux qui veulent continuer à s’angoisser – je vous recommande la lecture du dernier rapport de Bank of America. Ils ont calculé très précisément que le Bear Market prendra fin le 19 octobre cette année et que le S&P500 sera à 3’000.

Alors vous savez quoi ? Je vous revois le 20 octobre à la même heure et au même endroit !

Très bon début de semaine à tous !!!

Thomas Veillet
Investir.ch

“Anyone who stops learning is old, whether at twenty or eighty. Anyone who keeps learning stays young. The greatest thing in life is to keep your mind young.”
– Henry Ford