Lorsque j’ai commencé à écrire ces chroniques boursières, c’était il y a 17 ans (ou presque). Nous étions dans un monde merveilleux où les marchés ne faisaient que monter et où l’on commençait à se dire que travailler n’était plus qu’une option et que gagner de l’argent en bourse était devenu un art de vivre. Deux ans plus tard nous découvrions le concept du SUBPRIME. Pour bon nombre d’entre-nous, c’était un mystère absolu, mais le marché s’est effondré et je me souviens d’un moment tout particulier, alors que l’on voyait les traders de Lehman quitter leurs bureaux avec leurs cartons, un moment où un client me disait : « plus jamais je n’achèterai des actions ! ça ne remontera JAMAIS !!! ».

L’Audio du 14 juin 2022

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666

Nous étions plus ou moins à 666 sur le S&P500. Encore bien loin de là où nous sommes sur l’indice américain. Et ce, malgré la clôture apocalyptique d’hier soir. Oui, le S&P500 est en Bear Market. Cela faisait un moment que cela nous pendait au nez et les doutes sur l’inflation, les craintes sur la hausse des taux et le « hawkishness » farouche de la FED qui a bouté toutes les colombes hors du cercle social du FOMC Meeting auront eu raison de la motivation des investisseurs qui ont commencé à donner les premiers signes de capitulation.

Il faut dire que l’on n’aura été épargné de rien. Tout d’abord, il y a eu les chiffres du CPI qui ont continué leur long travail de sape. Il faut croire que la totalité du week-end, plus le vendredi après-midi n’auront pas suffi pour digérer le fait que le PIC d’inflation n’était pas encore pour ce mois. Nous avons donc passé le plus clair de la journée à nous morfondre en se disant que la FED n’allait plus vraiment avoir d’autre choix que de sortir l’artillerie lourde pour mettre une fois pour toute, le frein à l’inflation – mais alors, du coup, quid de la croissance ???? La récession serait-elle à nos portes ? On pouvait se poser la question.

D’ailleurs on se l’est posée, la question…

Le retour des experts

Et nous n’aurons pas été les seuls à se la poser, puisque toutes les stars de la finance, les visionnaires de l’investissement et les Merlin l’enchanteur de Wall Street sont pratiquement TOUS SORTIS pour, je cite : « REVOIR LEURS ATTENTES PAR RAPPORT AU MEETING DE LA FED ». Oui, parce que ça serait quand même ballot de passer pour des cons demain soir parce que l’on ne s’est pas montré assez agressifs sur ce que va annoncer Jerome Powell. Déjà que l’on s’est complètement vautré sur le concept de « PIC D’INFLATION » vendredi dernier ; deux fois en moins de 5 jours, ça la ficherait mal pour les évaluations de fin d’année et les bonus qui vont avec.

Donc hier, que ce soit JP Morgan, Goldman Sachs ou Jefferies – et j’en oublie certains, sont tous venus pour annoncer d’une seule voix, avec une seule et unique façon de penser ; que la FED pourrait bien monter les taux de 0.75% et non de 0.5%. Du coup, une vraie surprise serait une hausse de 1%. Ce qui est intéressant de noter, c’est que tout le monde s’est mis en place pour « s’attendre à une forte de hausse des taux de la part de la FED » alors qu’il y a six mois, on nous disait que le boulot de Powell, c’était de monter les taux avec parcimonie et délicatesse. Et puis soudainement, le rouleau compresseur est le bienvenu, parce que l’on ne panique rien qu’à l’idée que l’inflation pourrait partir tellement vite que l’on ne la rattrapera jamais. Force est de constater que ce qui était de la microchirurgie avec un scalpel laser est devenu une vraie boucherie au marteau piqueur et à la pelle mécanique.

Pannnniqqqqqqqueeee

Nous sommes donc en train d’assister à une panique en règle. Que ce soit du côté des investisseurs qui semblent enfin être en phase de liquidation – même si la volatilité reste très (trop) basse – ou que ce soit du côté de la FED qui donne l’impression de passer sa journée à respirer dans un sac en papier pour éviter les crises d’angoisse. En tous les cas, aujourd’hui le FOMC Meeting commence et les discussions vont donc aller bon train, tout en gardant un œil sur les chiffres du PPI qui sortiront cette après-midi. Manquerait plus que ces derniers soient aussi forts que ceux de vendredi et JP Morgan, Goldman Sachs et Jefferies vont débarquer ce soir pour nous dire qu’ils s’attendent à une hausse des taux de 3% au minimum, comme on est sûr que l’inflation n’inflationnera plus rien du tout et que la croissance économique ne sera plus qu’un concept qui vient d’une autre époque où l’on ne roulait pas à travers l’Australie avec une Ford Interceptor pour trouver de l’essence.

Quoi qu’il en soit, hier nous étions donc en mode « bain de sang » et rien ne nous aura été épargné. Le S&P500 a terminé sa séance en zone de Bear Market – et depuis on ne peut plus ouvrir un journal sans tomber sur des graphiques, des tableaux et des explications sur la suite des évènements et sur l’identification éventuelle d’un « bottom ». On oublie qu’après la phase de panique, il reste encore la phase de capitulation et de découragement. Ensuite seulement, on pourra commencer à se dire que l’on est en train de trouver un fond. Nous serons encore en dépression, on n’y croira pas, mais ça aura tout de même déjà commencé à remonter – mais le client sera encore en mode « PLUS JAMAIS J’ACHÈTERAI DES ACTIONS !!! ». Et ça, ça sera seulement jusqu’à que son pote dentiste lui raconte qu’il a fait 35% en trois jours en achetant une biotech qui développe un médicament pour faire remarcher les paralytiques et multiplier les pains.

Lueur d’espoir

Les marchés se sont donc fait exploser encore une fois et les supports de mai ont tous sauté. Que ce soit sur le Nasdaq ou sur quoi que ce soit d’autre. Les indices européens n’ont pas été épargné et on peut largement le comprendre. Oui parce que même depuis les USA on est en train de se demander ce que la BCE est en train de foutre avec des hausses de taux homéopathiques, pendant que la FED est en train de paniquer parce qu’ils sont en train de perdre le peu de contrôle qu’il leur restait sur l’inflation.

Madame Lagarde donne l’impression qu’elle est en train « d’affiner sa stratégie en travaillant avec la délicatesse d’une abeille qui butine une fleur », pendant que la FED est en train de nettoyer l’économie avec un hydrante anti-émeute. Du coup, le CAC et le DAX ont effacé les supports et détruit le semblant de trend haussier qu’ils avaient mis trois mois à construire. Ce matin on ne peut que constater les dégâts alors que l’on est déjà en train de se demander à quel moment ça va remonter. Encore une bonne raison de ne pas s’emballer. En ce qui me concerne, je crois que jusqu’à jeudi matin, je vais m’asseoir sur mes mains et faire de la méditation, histoire de ne pas chercher à vouloir rentrer trop tôt dans ce marché qui ne cesse de montrer qu’il peut faire pire. Nettement pire.

L’Asie et le reste

Ce matin en Asie on ne peut que constater les dégâts et admettre que les Américains n’auront pas d’autre choix que de regarder monter les taux bien plus vite que prévu et que cette fois aussi, Powell va faire du Whatever it takes, mais ça sera pour stopper l’inflation. Tous les coups seront permis, même tacler au-dessus du genou, voir au-dessus de la cuisse, dans les parties génitales. Actuellement, le Japon est en baisse de 2%, Hong Kong recule de 1.2% et la Chine baisse de 1.6%. Les futures américains sont pourtant en hausse de 0.7%, mais vu ce que l’on s’est pris dans la tronche, c’est plus proche d’un « dead cat bounce » que d’autre chose. Surtout avant le PPI et la FED, le tout en moins de 28 heures.

Si l’on veut parler de capitulation, de liquidation, il y a un secteur qu’il faut regarder ; c’est la crypto. On ne va pas y aller par quatre chemins. Si la baisse d’hier sur les indices américains était violente, ça n’a rien à voir avec la taule que s’est prise le Bitcoin ou L’Ether, ainsi que tous leurs cousins et amis. Actuellement, le Bitcoin se traite à 22’000$ et plus tôt ce matin nous étions sous les 21’000$. L’Ether est à 1’160$ avec un plus bas à 1’075$. Je ne vous fais pas un dessin, mais on va dire que ça panique sévère et que tout le monde est en train de sortir et trouvent soudainement hyper-intéressant d’acheter du 10 ans avec un rendement de 3.35% – fini les rêves de grandeur et les Bugatti Chiron peintes en couleur camouflage. En tous les cas pour le moment. Il faut dire que le fait que certaines institutions de l’écosystème ont bloqué les possibilités de retraits ou de transferts, n’a pas complètement motivé les investisseurs. On notera aussi au passage que Microstrategy – elle qui a pour « business plan » d’acheter du Bitcoin et puis c’est tout – s’est fait littéralement décapiter et perdait 25% hier. Sans compter que les mecs ont emprunté de l’argent pour acheter du Bitcoin. Youpie.

Pour le reste, le seul truc qui monte, c’est le pétrole. Après avoir fait un coup de faiblesse hier matin, le WTI est de retour au-dessus des 120$ et l’or qui, je le rappelle est un HEDGE CONTRE L’INFLATION, vient de se faire exploser de 40$. Va comprendre, Charles.

Nouvelles du jour

Dans les nouvelles du jour, on retiendra clairement que l’ensemble des journaux et autres médias se sont mis d’accord pour nous faire un cours sur le Bear Market, sur combien de temps ça va durer et sur ce qu’il faudra pour s’en sortir. C’est à peu près la seule chose que l’on trouve dans les nouvelles du jour.

Bon, d’accord, c’est pas complètement exact, on parle aussi du fait que le Bitcoin se fait massacrer, que Binance suspend ses retraits de bitcoins et, qu’en plus, l’affaire Terra/Luna vaut des poursuites en justice à la plateforme (il semblerait néanmoins que ça refonctionne à nouveau). On aborde aussi le sujet des EXCELLENTS chiffres trimestriels publiés par Oracle qui reprenait 15% after close. Il y aussi les banques qui financent Elon Musk pour son take-over sur Twitter qui se demandent s’ils ne feraient pas mieux de le financer pour qu’il tue le deal et se barre de Twitter, plutôt que de s’entêter à vouloir payer un truc 54$ alors que tu peux le trouver sur Ali-Express pour 36$. Lorsque Musk a annoncé ses intentions, le Nasdaq était 25% plus haut et sans ça, je crois que Twitter se traiterait à 25$. Un chiffre encore, dans les trucs marrants de la journée, depuis le top du marché nous avons perdu 9.3 trillions de dollars de capitalisation boursière. Lors du krach du COVID, nous avions perdu 9.8 trillions et nous en avons regagné 18 entre le confinement et le top de l’année. Comme quoi, si ça continue à baisser, on se demande à quoi auront servi les injections monétaires, si ce n’est à créer une inflation hors de contrôle. Autre chiffre rigolo à retenir ; dans un récent sondage (sondage fait durant cette nuit de pleine lune), on apprend que 91% des investisseurs comptent acheter de la crypto dans les 6 prochains mois – comme quoi on n’a pas encore complètement capitulé. Il y a même un Hedge Fund Manager qui estime que le Bitcoin peut aller « facilement » à 100’000$ dans les 24 prochains mois. Tiens, c’est plus Noël maintenant… Ou alors celui de dans deux ans.

Côté chiffres

Aujourd’hui, côté chiffre économiques, nous aurons le CPI en Allemagne – histoire de voir ce que Lagarde va faire avec ses granules homéopathiques pour combattre la bête. Il y aura aussi le ZEW en Allemagne et en Europe, sans oublier BIEN SÛR, le PPI aux USA. Le FOMC Meeting commence aujourd’hui, demain Powell nous parlera et à la place de faire des spéculations sur le fait que la FED pourrait faire ci ou ça, nous aurons un peu de concret, mais retenons tout de même deux choses ce matin, deux COUPS SÛRS :

1) La FED va monter les taux de 0.75% AU MOINS et ce, dès demain
2) Le pétrole va à 180$, comme ça la FED va monter les taux de 1% en juillet.

Pour le moment, les futures sont en train de prendre de la vitesse à la hausse, ils affichent une ouverture en hausse de 1% -mais avec 4% dans la vue hier, la plupart des banques d’affaires qui disent que l’on va tous mourir et BlackRock qui annoncent qu’il est trop tôt pour racheter des actions, on n’est pas encore sorti de l’auberge qui au fond du trou, tout au fond des bois.

Malgré l’ambiance digne du premier Mad Max, souvenez-vous qu’en 2009, à 666 sur le S&P500 un type m’a dit : « plus jamais je n’achèterai des actions ! ça ne remontera JAMAIS !!! ».

Passez une très bonne journée et on se voit demain pour faire le point !

Thomas Veillet
Investir.ch

“What we need to understand is, one, that there are market failures; and two, that there are things like asset bubbles and irrational exuberance. There are periods of booms, bubbles, and manias. These things, if left to themselves, can lead to crashes, to busts, to panics.”
— Nouriel Roubini