Je ne sais pas si vous avez déjà mis les pieds dans un gigantesque poulailler où des centaines de poules sont en train de caqueter en même temps. Il y a un bruit infernal et on ne comprend absolument rien – à moins de parler poule, ce qui est peu courant – cependant, il y a un endroit qui y ressemble fortement en ce moment, c’est les marchés financiers. On vient de terminer la pire semaine depuis 2020. La dernière fois que l’on a eu une semaine aussi merdique, c’était mars 2020 – et on partait en confinement. Aujourd’hui nous sortons d’un week-end de trois jours et visiblement les stars de la finance ont tous pris le temps de réfléchir pour donner leur avis et c’est une vraie cacophonie.

L’Audio du 22 juin 2022

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Donnez-moi des boules quiès

Franchement, je vous jure que j’ai le sentiment que tout le monde parle en même temps et que du coup, personne n’écoute personne. Si vous lisez la presse de ce matin, vous verrez que la plupart des banques d’affaires ont tous un avis sur ce qui va se passer. Souvent le même – parce qu’on sait tous qu’il vaut mieux être beaucoup à avoir tort qu’être tout seul à avoir raison – donc nous sommes en train de recevoir une avalanche d’opinions dans tous les sens et que l’on ne sait plus quoi penser.

Mon job a pour but de vous donner le pouls du marché et de vous résumer en très peu de mot ce qui se passe dans le monde merveilleux de la finance. Eh bien ce matin, la seule phrase qui résume le tout, c’est : « un putain de beau bordel ». Comprenez-moi bien, loin de moi l’intention de dire du mal de mes camarades de jeu, mais j’ai un sentiment très insistant que l’on ne sait plus quoi penser, alors du coup ; on dit n’importe quoi pourvu que ça ait l’air intelligent, que ça donne l’impression que l’on est prudent pour la suite, tout en laissant une porte ouverte pour un éventuel rebond, histoire que le client ne reste pas sur le banc de touche pendant que le marché reprend 30% parce que soudainement l’inflation se pète la gueule, que la guerre en Ukraine se termine par miracle et que le problème des chaînes d’approvisionnement et le shortage des semi-conducteurs se terminent du jour au lendemain.

À boire et à manger

Ce qui fait que, tout d’un coup, on entend tout et n’importe quoi. Un peu comme si soudainement les météorologues du monde entier n’avaient plus leurs satellites et devaient soudainement faire la météo en regardant les nuages et en mesurant la puissance et la direction du vent en suçant le bout de leur index. On en arrive à des discours ubuesques sur la suite des évènements. Des discours et des déclarations… Que dis-je ; des DÉCLAMATIONS pour réussir à dire dans un rapport de recherche économique fondamentale que :

1) La récession arrive. C’est une certitude
2) Mais que bon, c’est pas encore 100% certain que ça soit cette année ou en 2023
3) Tout en sachant que, sur un coup de bol de la FED ; on pourrait ne pas en avoir
4) L’inflation est un problème
5) Mais la FED fait ce qu’il faut et ça pourrait se régler
6) Ou pas
7) En même temps, la FED est peut-être un peu trop agressive et pourrait accélérer ou déclencher la récession susnommée
8) Ou pas
9) N’oublions pas non plus que la FED pourrait aussi ne PAS être assez agressive et laisser filer l’inflation au galop pendant que l’économie ralentit et que l’on entre en stagflation
10) Mais il y a peu de chance
11) Mais je vous l’aurais dit au cas où…
12) Ensuite, il y a la valorisation du marché qui, pour le moment, n’a pas encore intégré le fait que nous serons (ou pas) en récession bientôt – ou alors seulement « pricé » une tout petite récession, une bébé récession avec des petits problèmes seulement
13) En point treize, si l’on veut que la récession soit « pricée », il faudrait que le S&P500 baisse encore de 10 à 20%. Barclays a un chiffre : 3’252 points. Pas 3’253 – 252 !!!
14) Mais en même temps, on ne sait jamais parce qu’il y a tellement de négativisme et le marché est tellement survendu qu’il pourrait facilement rebondir
15) Mais attention, rebondir pas beaucoup, parce qu’il n’y aucune justification fondamentale pour le rebond.
16) Ou pas. Et ça pourrait rebondir beaucoup plus.
17) Mais par contre après on devrait rebaisser pour « pricer » la récession.
18) À moins qu’il se passe quelque chose que l’on n’a pas prévu. Par exemple, une attaque extra-terrestre parce qu’on est bientôt le 4 juillet. Que l’on apprenne que Michael Jackson n’est pas mort mais qu’en fait il gère un fonds en cryptos aux Bahamas ou qu’en fait, Donald Trump est mort il y a 25 ans et que c’est Poutine qui s’était déguisé en lui pendant 5 ans.
19) Sans oublier que statistiquement, lorsque les 6 premiers mois de l’année sont bien pourris et que l’on est dans une année d’élections de mi-mandat et que l’inflation et plus forte qu’il y a un an et que le rendement du 10 ans est plus élevé qu’il y a un an, il y a UNE CHANCE SUR DEUX (plus ou moins) que le marché finisse plus haut à la fin de l’année…
20) Ce qui signifie qu’il y a aussi une chance sur deux d’aller plus bas. Logiquement.

Bref, comme disait mon maître à penser : « Quand un mec il en sait aussi peu sur ce qui va se passer, il a quand même meilleur temps de fermer sa gueule ».

Tout ça pour vous dire que les 20 points précités proviennent plus ou moins de trois à quatre médias financiers et que lorsque l’on prend le temps de réfléchir à chacun de ces points et que l’on imagine que l’on regroupe la plupart des « experts » qui ont déclaré tout cela et que vous les mettez dans une immense salle avec des plafonds très hauts et des grandes baies vitrées qui renvoient le bruit et vous leur demandez de dire à haute voix ce qu’ils pensent… Et vous aurez une bonne idée de ce que l’on entend dans les marchés en ce moment. Un brouhaha total avec l’impression d’être dans un poulailler. À la seule différence que les poules, vous pouvez les faire à la broche et ça servira au moins à quelque chose. Enfin, si vous n’êtes pas vegan.

Le rebond pas franc d’hier

Toujours est-il qu’au milieu de ce poulailler d’opinions et d’avis tous aussi aléatoires que tranchés, hier les bourses mondiales sont remontées. Je vous rassure, à voir la tronche des futures ce matin, il n’y a que peu de chances que ça dure et que cela ne fût qu’un « dead cat bounce ». Pour ceux qui ne savent pas ce qu’est un « dead cat bounce », je vous laisse prendre un chat et faire vos tests vous-mêmes. Ce qu’il faut surtout retenir, c’est qu’un « dead cat bounce », c’est jamais très positif. Mais comme disent tous mes petits camarades de jeu : « à moins que ça ne soit pas ça ».

On va donc retenir que puisque tout était SURVENDU, les marchés sont remontés. Mais comme le risque de récession est toujours bien présent et pas forcément encore très très bien pricé et intégré dans nos esprits versatiles. Il y a bien des chances que les traders aient pris leurs profits hier soir. Surtout sachant que Powell va témoigner cette après-midi devant un parterre de politiciens en surpoids et qui ont passé l’âge de la retraite depuis bien longtemps, on n’est jamais trop prudent. Les indices européens ont bien tenté d’accélérer à la hausse, mais en vain. Aux USA on a réussi une belle séance à plus de 2%, mais on sent que la peur est toujours bien présente. En résumé : la trouille, ça ne se commande pas et tant que l’on n’a pas pu analyser le témoignage de Powell ainsi que son « body language » et la couleur de sa cravate, on ne va pas prendre de risque.

Le pétrole dans le jus

Ce matin, malgré la hausse d’hier, les bourses asiatiques ne semblent pas croire une seconde à ce que nous ont fait les Ricains hier soir. Quand je suis arrivé devant mes écrans à 3 heures du matin, les futures US étaient en baisse de 0.5% – depuis, ils ont baissé de 0.5% de plus. Et ça n’est sûrement pas le fait des traders américains. On va dire que l’on n’a pas confiance en Asie. Le Nikkei surnage à l’équilibre, mais Hong-Kong recule de plus de 1% et la Chine est dans son sillage.

Un des sujets du jour – si ce n’est LE SUJET du jour, c’est le baril. Entre les hauts d’hier et les bas de ce matin, l’or noir a ENCORE perdu 5%. Lui qui était censé être un coup sûr à la hausse, on sent que c’est pas si simple. La raison de la baisse ces dernières 18 heures, part du principe que Biden est en train de se tâter pour faire sauter les taxes fédérales sur l’essence pour « soulager » ses électeurs pendant les vacances d’été. En gros, la réduction de certaines taxes va faire baisser le prix du gallon à la pompe. Et tout le monde a vendu le pétrole sur cette annonce.

Brassage d’air pour pas grand-chose

Alors moi, je conçois que je puisse être limité intellectuellement. Je ne revendique d’ailleurs pas grand-chose de ce côté-là. Mais je dois dire que sur ce coup-là, je ne comprends pas très bien. Je vais donc essayer de résumer la chose… Admettons que le gallon soit à 5$ et que les taxes représentent 1$. Le gallon va être à 4$. Admettons maintenant que vous mettez 10 gallons dans votre réservoir. Vous allez économiser 10$. Que vous pourrez dépenser dans n’importe quoi d’autre. Des barres chocolatées, une dizaine de burgers au McDo pour le repas de midi ou mettre de côté pour acheter une Rolex avant vos cinquante ans, histoire ne de pas avoir raté votre vie. Mais en gros, vous pourrez dépenser cet argent et participer à l’inflation qui – je le rappelle – est un tout petit problème actuellement.
En revanche, je ne vois pas bien à QUEL MOMENT cela exerce une influence sur le prix du baril. Ni d’ailleurs sur la demande d’hydrocarbures sur l’ensemble de la planète. Non, parce que si vous reprenez votre gallon, c’est pas parce qu’il est moins cher que vous allez en mettre plus dans le réservoir. Sauf erreur, la dernière fois que j’ai checké, la taille des réservoirs n’était extensible à volonté. Même si vous êtes Harry Potter. Par contre la quantité de pétrole dans votre gallon sera toujours la même !!! Je précise bien que Biden n’a pas dit qu’il allait réduire la consommation et que soudainement votre voiture ira plus loin avec moins d’essence. Il a bien essayé d’encourager les gens à faire du vélo, mais pas sûr que ça leur a donné super-envie… Quoi qu’il en soit, on est en train de taper sur le baril parce que Biden veut baisser les taxes sur l’essence, mais je ne vois toujours pas à quel moment cela va faire baisser la demande réelle. Mais je dois juste être idiot. Ou alors c’est le marché et là, c’est plus grave.

Nouvelles du jour

Pour ce qui est des nouvelles du jour, on notera que l’or est à est 1830$, que le Bitcoin est à peine au-dessus des 20’000$, mais que l’on voit bien qu’il y a quand même deux-trois forces qui viennent du côté obscur qui tentent de le mettre au tapis pour le compte. Histoire qu’il aille chercher les bas du Head-and-Shoulders que tout le monde a vu sur le chart – en gros, entre 13 et 14’000… Ah oui, et puisque l’on parle Bitcoin, on notera que l’on vient d’annoncer la sortie d’un ETF inversé sur le Bitcoin – un produit qui vous permet de jouer la baisse du Bitcoin. On nous a cassé les pompes pendant des années pour que l’on ait le droit de sortir un ETF tout simple sur le Bitcoin et là, alors que la crypto en question a perdu 70% de sa valeur on vous sort un truc pour le SHORTER !!!??? J’ai qu’une seule envie ce matin : PATIR LONG BITCOIN pour jouer les 100’000 à Noël. Pour parler de choses plus concrètes, il y a Kellogg qui annonce qu’ils vont diviser la boîte en trois départements. On ne connaît pas encore les noms des trois départements, mais ce que l’on sait c’est que la société en un morceau, ça vaut 23 milliards, mais divisé en trois, c’est censé valoir beaucoup plus. Ça doit être l’inflation. En ce moment, tout est de la faute de l’inflation. Ou de la guerre en Ukraine.

Et puis nous avons une nouvelle journée spéciale ELON MUSK. Ça faisait longtemps.

Le patron de Tesla a donc annoncé encore une fois qu’il allait virer 3.5% de son staff. Je précise que c’est les MÊMES 3.5% qu’il y a 10 jours et que c’est la seconde fois que le titre prend 10% sur la nouvelle. Il a aussi dit que la demande de voitures électriques était très très forte. C’est pour ça qu’il vire son personnel. Dans la foulée il a aussi dit que c’était pas simple de finaliser le deal avec Twitter, une histoire qui devrait finir en série sur Netflix tellement il y a d’épisodes. Et puis, pour couronner le tout, il a exprimé ses inquiétudes sur l’économie et sur la récession qui nous attend. Il est vrai que l’on oublie tout le temps que Musk est aussi analyste financier et économiste à ses heures perdues – sur les 39 heures que contiennent sa journée. Au passage, on peut aussi signaler que sa fille, qui était auparavant son fils, a déclaré vouloir changer de nom parce qu’elle ne veut plus rien avoir à faire avec lui.

Je ne pensais pas pouvoir écrire ça un jour. Et pourtant.

Les chiffres du jour

Côté chiffres du jour, il y aura donc Powell qui va témoigner. Pas besoin de vous dire qu’on va l’écouter. Il y aura aussi Thomas Jordan qui parlera. Alors lui, d’habitude on s’en cogne royalement, mais depuis qu’il a monté les taux directeur en Suisse la semaine dernière, soudainement ça nous intéresse. Il y aura aussi les chiffres de l’inflation en Angleterre et les nouvelles demandes d’hypothèques aux USA. Je ne veux pas vous gonfler avec le marché immobilier, mais hier on a vu les chiffres des ventes de maisons existantes et c’était en baisse de près de 9% sur 12 mois. Je ne vais pas vous le répéter trop souvent, mais je crois que le marché immobilier est en train de caler. Et encore, quand je dis « caler », je suis gentil. Quand on cale en voiture, ça va. Quand on cale en hélico, c’est plus complexe. Là je crois que l’on parle d’hélicoptère – vu où était monté le marché.

Pour le moment, les futures sont donc en baisse de 1%. La récession est à nos portes, même si elle n’est pas encore pricée et que sur un malentendu, ça peut remonter quand même et qu’en fin de journée, il pourrait y avoir des orages et des chutes de neiges à très haute altitude.

Passez une excellente journée et je vous revois demain, même heure, même endroit, même café et même croissant.

À demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

“The only true wisdom is knowing that you know nothing.”

– Socrates