Il y a des fois, le matin, en dehors du fait que tu t’es couché trop tard et levé trop tôt, tu dois relire plusieurs fois les choses pour essayer de les emboîter ensemble comme des Lego’s afin de parvenir à comprendre la logique qui se cache derrière un comportement de marché. Là, aujourd’hui, 8 juin 2022, non seulement je me suis couché bien trop tard, mais en plus je dois dire que j’ai de la peine à comprendre la logique des marchés. Il est vrai que ça n’est jamais simple, sauf que là, il faut déjà avoir le cerveau bien secoué pour en arriver à certaines conclusions. Et je dois dire que le fait que ça soit toujours les Bulls qui gagnent à la fin ne va pas suffire.

L’Audio du 8 juin 2022

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La journée qui commence mal

Prenons déjà les choses dans l’ordre. Au début de la journée, les marchés européens se sont concentrés sur le fait que le Brent était passé au-dessus des 120$ et que ça n’augurait rien de bon pour l’inflation. C’est vrai qu’à 119$ la semaine dernière, ça pouvait encore aller, mais là à 120$, tout fout le camp. On ne va pas dire que la panique était parmi nous, ça serait clairement exagérer la chose et ça n’est pas du tout mon genre. D’exagérer les choses.

Toujours est-il que nous avons repris les bonnes vieilles citations que je persiste à utiliser depuis des mois, des citations comme : « baril au-dessus de 100$, récession dans le placard ». Et donc, du coup on a commencé à s’angoisser un peu et comme la semaine dernière n’était pas si mal, on se disait qu’il y avait quand même de la place pour prendre les profits. Et puis, il faut dire que Goldman Sachs sont revenus pour en mettre une couche en annonçant que : « chez eux, on pensait que le baril allait monter à 140$ (voir même 160) cet été » et que : « le prix du litre de super pourrait facilement toucher les 3 euros ». Ça tombe bien parce qu’à 2.32, je suis déjà en train de couper mon essence avec de la vodka redbull, parce que c’est moins cher. Du coup, je me demande si je ne vais pas commencer à distiller moi-même mes pommes de terre au fond du jardin pour compenser la chose.

Ambiance pourrie

À l’heure du lunch où l’on commençait juste à s’échauffer pour l’ouverture de New York, la Banque Mondiale est venue nous annoncer qu’elle baissait massivement ses perspectives de croissance pour la planète et que le reste de l’année serait bien merdique au niveau d’à peu près tout. Je vous passe les chiffre et l’ampleur de la correction de leurs attentes, il vous suffira de savoir que la croissance de 2022 sera de 2.9% – en espérant qu’ils ne reviennent pas dans 3 mois pour nous annoncer qu’ils corrigent encore de 1%, puis de 1% de plus juste avant Noël. Oui, parce que vous comprenez, quand on annonce un objectif de croissance pour une planète tout entière au début de l’année, comme l’a fait la Banque Mondiale le 2 janvier, on a le droit de corriger plusieurs fois durant les 12 mois qui suivent, histoire de ne pas avoir l’air trop con le 31 décembre.

Et puis comme cette année y a une guerre qui s’est déclenchée, ils ont le droit de modifier une fois de plus et tout ça, en passant par le « start » et en touchant un bonus au passage. Sans oublier le droit de construire un hôtel sur Zurich Paradeplatz. On sait qu’en général la WorldBank revient toujours la dernière quinzaine de décembre et son étonnamment juste sur les prévisions de croissance annuelle. Il faut dire que c’est quand même plus facile de faire des prévisions quand tu as déjà les données des 50 semaines précédentes sur 52. C’est un peu comme si tu peux jouer à l’EuroMillions et que t’as le droit de valider ton ticket après avoir vu les 5 premières boules sortir, ça augmente quand même les chances de gagner !

Bref, hier la Banque Mondiale a coupé ses prévisions de croissance. Dans un monde normal, ça aurait pu être une mauvaise nouvelle. Sauf qu’on n’est pas dans un monde normal.

TARGET : dans les choux

Juste avant l’ouverture de New York, nous en étions donc à devoir digérer le fait que le pétrole va aller à 160$ – ce que 143% des experts s’accordent à dire (en plus de Goldman Sachs) – je trouve d’ailleurs que ça commence un peu trop à ressembler à un « coup sûr ». Et les coups sûrs, on sait comment ça se finit. Ça se finit en général un peu comme Terra-Luna. En plus du pétrole nous avions donc la WorldBank qui venait nous mettre en garde et, comme si ça ne suffisait pas, Target est venu faire un profit warning.

Ça n’était pas une « monstre » surprise vu les chiffres publiés il y a deux semaines et le nombres d’emmerdes potentielles qu’ils avaient listé à ce moment-là. Le titre avait d’ailleurs largement payé la facture pour cela, puisque depuis la fin du mois d’avril le titre se prend quand même déjà 38% dans les gencives. Hier soir, ils rajoutaient juste un peu plus d’angoisse dans la tête du consommateur qui commence à se demander de plus en plus s’il va continuer à dépenser chez Target ou s’enterrer au fond du jardin en attendant que ça passe. En résumé, la nouvelle n’était pas bonne, mais pas non plus surprenante. Vous rajoutez à cela les déclarations de Paul Krugman qui est tout de même Prix Nobel d’économie et qui disait que les cryptomonnaies étaient l’équivalent de la crise des Subprimes de 2007-2008-2009, le tout saupoudré par des annonces ici et là, par des gourous de seconde zone qui estiment que : « le rallye ne tiendra pas et que le S&P500 ira à 3’200 avant la rentrée scolaire et vous aviez à peu près tout pour une bonne journée de merde, version « classe mondiale ».

Sauf que non

Sauf que non ! Alors bien sûr, les Européens ont copieusement profité des mauvaises nouvelles pour finir en baisse, mais les Américains en ont profité pour terminer en hausse de 1% un peu partout parce que les acheteurs étaient solides et se jetaient sur les titres de la technologie, des pétrolières et d’à peu près tout ce qui leur passait sous la main SAUF LE SECTEUR DE LA CONSOMMATION. Target baissait à peine de 2.3% et dans le même secteur Kohl’s montait de 9% – mais faut dire qu’eux se trouvaient sous la menace d’un take-over par un fonds de Private Equity, on n’a pas tous les mêmes problèmes.

La question que l’on peut donc se poser est la suivante :

« Mais POURQUOI on est monté ??? »

Et on aurait bien raison. On peut toujours trouver une excuse, mais disons qu’hier on entendait dire que :

– Le marché a pricé le pire – et c’est vrai, on dirait que plus on lui balance des mauvaises nouvelles dans la tronche, plus il monte.
– On dit aussi que maintenant que l’on sait que la FED va monter AGGRESSIVEMENT les taux pour stopper l’inflation, ils vont y arriver et que l’on va finir par avoir un SOFT LANDING – ça aussi c’est peut-être vrai, sauf que l’on a quand même tendance à oublier un peu vite que la FED est en train de piloter à vue et que le ciel est super-couvert, que les cumulo-nimbus s’entassent sur les reliefs et que l’on ne se souvient plus comment fonctionne l’horizon artificiel. On a aussi complètement oublié que la FED est à la rue en termes de prédictions depuis bientôt un an.

Mais c’est pas grave, on a l’air de s’en contenter et les intervenants sont en mode « sado-maso », plus on leur tape dessus, plus ils aiment. En conclusion, il y a des fois, vaut mieux ne pas trop se poser de questions et se laisser porter par la vague sans trop chercher des raisons fondamentales quand on vit dans un monde où les fondamentaux n’ont plus la même valeur que celle qu’on leur donnait dans le temps.

En Asie et ailleurs

Ce matin en Asie on monte de 0.8% à Tokyo et de 1.7% à Hong Kong. La Chine est en baisse de 0.7%, mais c’est probablement parce que l’on a vu passer un article sur un nouveau reconfinement quelque part dans une ville dont on n’a jamais entendu parler. Pour ce qui est de la justification de la hausse du moment, les experts nous expliquent que les intervenants sont « contents de voir les taux monter parce que ça veut dire que les banques centrales agissent »… Pour faire simple, quand on pense que l’on a tout vu, eh ben en fait on n’a rien vu du tout. Moi ça fait bientôt 35 ans que je suis là et j’ai l’impression d’être comme au premier jour : « comme un con à regarder le marché qui va dans tous les sens et des écrans qui clignotent en vert et rouge, sans qu’il y ait la moindre rationalité dans le rythme des clignotements.

Autrement, l’or est à 1847$ et doit être en train de jouer à un, deux, trois, soleil !!! – tellement il ne bouge plus, le pétrole, on en a parlé mais on retiendra que le WTI est à 119.83$ et que le Brent est toujours au-dessus des 120$ pour faire plaisir à Goldman Sachs. Et puis le Bitcoin est à 30’000$, on peut justifier ses errances par les paroles du Prix Nobel d’économie, tout en y mettant un bémol, sachant qu’Obama a aussi été Prix Nobel de la paix et quand on voit ce qu’il a fait comme guerres, on peut se poser des questions sur les théories de Krugman.

Oui, je sais, elle est tirée par les cheveux celle-ci, mais c’est pas moi qui attribue les Prix Nobel, sinon ça fait longtemps que Macron aurait gagné celui de la Paix, de Physique, de Math et de Médecine, tellement il est fort en tout. Dans le reste des news, le chef trader de Trafigura pense que le pétrole pourrait avoir une courbe haussière parabolique et menacer l’économie. Sans blague ?? C’est donc officiellement un coup sûr. Il y a aussi Yellen qui demande au Congrès de faire plus pour lutter contre l’inflation. C’est rigolo de voir que les banquiers centraux et ex-banquiers centraux, quand ils ne savent plus quoi faire et qu’ils paniquent, ils se tournent vers les politiques qui savent encore moins bien qu’eux ce qu’ils peuvent faire. On n’est pas dans la merde. Et puis on notera que Novavax a reçu son approval pour son vaccin anti-covid – il était temps, vu que l’on presque oublié ce que c’est, le COVID et puis, pour terminer Musk est de moins en moins chaud pour racheter Twitter. Soudainement la liberté de parole est devenue moins importante qu’elle ne l’était y a un mois.

Chiffres du jour

Côté chiffres du jour, nous aurons chômage en Suisse et en Europe. Le Trade Balance en France, le GDP/PIB en Europe et les nouvelles hypothèques aux USA – chiffre à surveiller parce que le marché immobilier pourrait bien être la dernière chaussure à tomber, surtout avec les taux qui montent. Il y aura également les inventaires pétroliers qui devraient propulser le brut encore plus haut comme tout le monde l’attend.

Les futures sont en baisse de 0.35% – pour autant que ça veuille dire quelque chose. D’ici-là, que votre café soit fort, que votre croissant soit sans gluten et immangeable, et puis que votre journée soit belle. Nous on se retrouve demain, ici-même… Pour essayer d’y voir plus clair !

Tiens, le Crédit Suisse vient de sortir un Profit Warning pour le second trimestre, apparemment c’est tout de la faute à l’Ukraine et aux taux. Rien à voir avec le reste. Le marché devrait monter, tout va bien. Tout est dans les prix.

Thomas Veillet
Investir.ch

“In this world nothing can be said to be certain, except death and taxes.”

– Benjamin Franklin