La réponse est oui, en théorie. En pratique, c’est too big to fail.

Le risque serait un arrêt du commerce européen de l’énergie, ce qui évidemment paraît impossible, et un effondrement de l’économie, entraînant le secteur bancaire. Les gouvernements européens sont donc en train d’intervenir pour éviter un blocage dans les marchés de l’énergie et éviter une faillite en chaîne des producteurs d’électricité. Avec l’explosion des prix de l’électricité, soit 6x avec les prix spot et 10-13x avec les prix à terme (début 2023), les appels de marge sur les contrats futures mettent sous pression les producteurs d’électricité, un risque potentiel d’au moins €1’500 milliards selon le producteur de pétrole et de gaz norvégien Equinor.

Les appels de marge surviennent lorsque l’écart entre les prix de l’électricité au comptant et le niveau auquel les entreprises de services publics ont vendu leur production à terme devient trop important, ce qui les oblige à déposer la marge pour prouver qu’elles peuvent livrer dans le cas improbable d’une défaillance. Pour protéger leurs ventes, les producteurs d’électricité vendent des contrats futures avant de vendre l’électricité physique spot. Mais aujourd’hui les banques sont inquiètes, car les producteurs d’électricité devront racheter leurs contrats à l’échéance à un prix beaucoup plus élevé. D’où la forte hausse des appels de marge qui mettent à mal les liquidités à court terme des sociétés, malgré les importants profits qu’elles dégagent. Donc, il ne faut pas confondre les importants profits qui seront engrangés cette année, même avec une taxe sur les super profits (la Commission européenne cherche à lever €140 milliards), et les besoins immédiats de liquidités pour les appels de marge.

La semaine dernière, la Suède et la Finlande ont lancé un appel d’urgence pour soutenir financièrement les producteurs d’électricité. La Suède a annoncé un plan de soutien de €33 milliards. La Grande-Bretagne a mis en place des garanties de crédit pour £40 milliards. La Banque centrale d’Angleterre est prête à apporter les liquidités nécessaires aux producteurs d’électricité. La Suisse a garanti une ligne de crédit d’Axpo pour CHF 4 milliards.

Selon les commentaires de Simonetta Sommaruga, la Suisse va réfléchir sur le bien-fondé de la libéralisation du secteur électrique et remettre en question une partie des investissements à l’étranger nécessaires à l’importation d’électricité durant l’hiver. Selon la conseillère fédérale, ces investissements devraient être utilisés en Suisse pour l’indépendance énergétique et pour accélérer le développement des énergies décarbonées (solaire, éolien, hydroélectrique et nucléaire). Le Conseil fédéral a averti d’un hiver potentiellement difficile, qui repose en grande partie de l’importation d’électricité: 57% de la production helvétique provient des centrales hydrauliques, et contre-intuitivement cette production est au plus bas durant l’hiver.

L’Union européenne va devoir également:

  1. plafonner les prix de l’électricité, pas seulement pour soulager les ménages, mais aussi pour enlever la pression et la volatilité sur le marché de l’électricité et soulager la trésorerie des producteurs d’électricité.
  2. changer le fonctionnement du marché européen de l’électricité, dont le prix est déterminé par le coût marginal de la dernière centrale à gaz.

La Commission européenne aimerait plafonner le prix de l’électricité à €200 MWh, ce qui restera encore plus de 2 fois supérieur au prix d’il y a une année, mais un prix suffisamment attractif pour que les producteurs alternatifs poursuivent leurs investissements dans les énergies vertes. Le prix moyen entre 2016-2020 en Allemagne était de €38 MWh.

L’Europe doit faire vite, car la Russie a annoncé qu’elle stopperait toutes ses exportations vers l’Europe de pétrole, gaz, charbon et autres huiles de chauffage dès que les Occidentaux mettront en place un plafonnement sur le prix du pétrole russe. Les Etats-Unis et l’Europe veulent instaurer ce plafonnement avant fin 2022.

En 2022, le segment Producteurs d’électricité a enregistré une des meilleures performances sectorielles, ce qui est normal avec le cycle économique dans lequel nous sommes. En période de ralentissement économique, les secteurs défensifs (santé, consommation de base et services publics) surperforment. Après une récente correction, les actions des producteurs européens se sont reprises avec les mesures de soutien étatique – garanties sur les lignes de crédit vis-à-vis des appels de marge – et projet de plafonnement des prix du pétrole russe.

2022.09.16.Superformance des producteurs d'électricité en 2022

On peut écarter un risque d’effondrement du marché européen de l’électricité, parce que too big/dangerous to fail. Les 3 priorités des gouvernements européens:

  1. garantir la pérennité financière des producteurs d’électricité (court terme).
  2. plafonner les prix de l’électricité (court terme).
  3. réformer structurellement le fonctionnement du marché européen de l’électricité (moyen-long terme). Nous surpondérons les électriciens en achetant RWE, Iberdrola, Centrica, et les plus petits, Encavis, Solaria, Neoen et SSE. Aux US, nous achetons Constellation Energy.