S’il y a une chose de certaine dans ces marchés, c’est que l’on comprend super-vite, pour autant que l’on nous explique longtemps. Je ne sais pas si vous vous souvenez d’une pub dans les années 90. Il y avait un gars déguisé en bouteille d’Orangina qui demandait : « c’est quoi le texte ? » et on lui répondait : « AAAAHHHH ». Ensuite il se retrouvait projeté dans une flipper géant. Une séquence de 30 secondes où le type hurlait : « AAAAAHHHH », en se faisant tabasser dans un flipper. Hier à Wall Street c’était pareil. Sauf que ça n’a pas duré 30 secondes, mais plus de 6 heures de temps, avec une petite accélération au niveau des « G’s » à l’approche de la clôture.

L’Audio du 14 septembre 2022

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I comme inflation, mais I comme incontrôlable

Comme vous le savez BIEN EVIDEMMENT, hier on attendait les chiffres de l’inflation. Il y avait tout d’abord l’Allemagne en début de séance. Alors pour ce qui est de l’Allemagne, on ne va pas dire que c’était génial, mais comme c’était plus ou moins dans les attentes, compte tenu du fait que l’on était complètement terrorisés à cause des coûts de l’énergie ; on va dire que l’on était plutôt contents du résultat. Restait donc plus qu’à attendre le chiffre américain qui était censé nous confirmer paix et bonheur et nous démontrer que les hausses de taux massives de la FED avaient fait leur job et que l’inflation commençait à se soumettre au regard de braise de Jerome Powell.

Sauf qu’en fait non. Mais non seulement en fait l’inflation elle ne se soumet pas du tout, mais en plus, elle donne presque l’impression de se rebeller et de ne pas se laisser faire. Pour être franc avec vous, je ne sais pas si un jour elle va accepter de faire ce qu’on lui dit. Mais là tout de suite, on a quand même un peu l’impression qu’on est en train d’essayer de dompter un tigre du bengale avec pour toute protection un steak de boulgour. La seule solution pour le dompter, étant de parvenir à le convaincre qu’être végan, c’est bien. On ne va pas se mentir, les chiffres du CPI américain d’hier étaient merdiques. Ils démontrent que tout augmente – sauf l’essence – et encore, tout est relatif, si l’on regarde le prix de l’essence y a 12 mois, faudra pas me dire que le pétrole est moins cher. Mais bon, on ne va pas se gâcher la fête avec la seule bonne nouvelle de la séance. Donc l’essence baisse. Par contre, le reste c’est plutôt l’inverse.

Tout augmente et partout

Le CPI a donc a augmenté de 0,1 % en août, bien que d’une année sur l’autre il ait ralenti à 8,3 %, contre 8,5 % en juillet, comme les économistes s’attendaient à un chiffre plus proche des 8%, la déception était grande. Je vous disais hier que l’on avait déjà fait des projections jusqu’à Noël et là, dès le premier chiffre, on se plante complètement dans nos prévisions, autant dire que ça fout complètement en l’air le plan qui devait se dérouler sans accroc. On ne va donc pas se mentir, sans fouiller dans les détails et sans chercher la petit bête, les données publiées hier étaient tout simplement dégueulasseS, démontrant que les mesures prisent par la FED ne faisaient pas encore « VRAIMENT » LEUR effet et poussant certains à se demander même si le PIC d’inflation avait réellement été fait ces derniers mois ou pas. Imaginez une seconde que le pétrole remonte à 125$ au mois d’octobre. Que se passerait-il à votre avis ???

Mais si l’on cherche quand même dans les détails, on notera que le panier de la ménagère a augmenté de 22% sur un an, que les œufs, le poulet, la viande, le café, les restaurants et la bouffe à emporter ont tous explosé à la hausse et ne montrent pas le moindre signe de ralentissement. Et encore, ce qui n’a pas augmenté, c’est juste parce qu’ils ont réduit les quantités. Hier j’ai acheté des pâtes en me rendant compte que Barilla avait réduit la taille de ses cartons de 500 grammes à 400 grammes. Pas certain que le prix ait baissé en parallèle. En tous les cas, aux USA c’est la catastrophe et rien qu’à l’idée que tout augmente et que l’inflation ne baisse pas vraiment, les marchés ont donc décidé de se péter violemment la figure – histoire d’avoir au moins un truc qui est moins cher ce matin qu’hier soir.

À nouveau au bord du gouffre, prêts à faire un grand pas en avant

Au niveau des performances, je crois que l’Europe n’a pas encore réussi à totalement apprécier la taule que se sont pris les Américains hier soir. En effet, sur la séance d’hier le DAX reculait de « seulement » 1.59% – je connais bien des fonds « croissance » aux Etats-Unis qui auraient tué pour ne baisser « que » de 1.59%. Sur les 11 secteurs du S&P500, tous ont donc terminé dans le rouge. Mais c’est bien évidemment la tech qui se démarquait en se faisant littéralement massacrer. Le Nasdaq perdait plus de 5% et si l’on cumule la performance journalière de Google, Microsoft, Amazon, Apple et Tesla, c’est 500 milliards de capitalisation boursière qui ont été effacé de la surface du globe. Tout ça parce que vous payez vos œufs 40% plus cher que l’an dernier alors qu’il suffirait de manger du tofu ou de se mettre à brouter directement de l’herbe au fond du jardin.

Autant vous dire que s’il y en a un d’entre vous qui se demandait si « par hasard » Powell ne pourrait pas devenir un peu moins « aux quiches » la semaine prochaine, je crois que l’on peut définitivement tirer un trait sur cette éventualité. Il y a qu’à voir : si l’on projette la baisse de l’inflation sur plusieurs mois, on peut déjà se dire que pour atteindre les 2% voulu par la FED, on va rapidement se retrouver en 2035. Et si on a des taux qui montent tous les mois à cette vitesse-là, je ne sais pas comment on va éviter la récession. Oui, parce que l’on ne parlait plus trop d’elle ces derniers temps – surtout depuis que le duo Biden-Yellen avaient révisé le concept – mais là, avec des chiffres pareils et à peu près 150% de chance de voir une hausse des taux de 75 BP la semaine prochaine, va falloir s’y coller à nouveau.

Nouvelles attentes

D’ailleurs si 100% des gagnants ont tenté leur chance, 100% des économistes qui ont encore un job à Wall Street pensent que la FED va monter les taux de 0.75% et il y a même un petit groupe d’irréductibles emmenés par la Banque Nomura, qui pensent que les taux vont monter de CARRÉMENT 100 BP. Chose qui n’est plus arrivée depuis les années 80. Une époque où je trouvais qu’il était bien plus rigolo de mettre des cartes à jouer dans les rayons de mon vélo pour que ça fasse le bruit d’une mobylette que de suivre les périgrinations des bourses mondiales. La tension est donc à son comble et les marchés américains se sont fait littéralement défoncer. Le S&P500 est de retour là où il se trouvait la semaine dernière, à savoir sur le support des 3900 (ou presque). Support qui ne DOIT ABSOLUMENT PAS CASSER, sous peine de correctionnelle et retour aux plus bas du mois de juin.

Toujours est-il que si l’on regarde ce qui s’est passé ces derniers temps, si l’on se souvient de ce que Powell nous avait dit depuis son nid d’aigle de Jackson Hole, il ne fallait pas non plus s’attendre à que tout se règle en quelques semaines. Là tout de suite, nous allons devoir digérer le fait que l’inflation n’est toujours PAS SOUS CONTRÔLE et qu’il n’y a rien de moins sûr au sujet de son aspect transitoire. Il va aussi falloir que l’on intègre le fait que d’ici fin octobre la FED pourrait bien avoir monté les taux à 4% et que, par effet de capillarité, le taux hypothécaire continue de monter, sans compter que les loyers vont également accélérer à la hausse – déjà que sur 12 mois, ils ont augmenté de 6.2%, on peut raisonnablement paniquer au sujet de l’avenir.

Oups, I did it again

En résumé, il semblerait que le combat ne soit pas encore gagné. Nous allons devoir tenir les supports, essayer de nous rassurer et d’y croire encore. Mais ça ne va pas être simple si la FED commence à monter les taux de 1% tous les mois. Evidemment, Powell n’a pas parlé suite à la publication des chiffres – il est en « black période » avant le FOMC Meeting et n’a le droit que de se taire. Mais force est de constater que le marché s’est chargé de jouer les ventriloques et que l’on est en train d’imaginer ce qu’il aurait bien pu dire s’il pouvait parler.

Lorsque l’on voit le comportement du rendement du 2 ans hier, on se doute bien que le côté « hawkish » de la force reste clairement celui que Powell va – aurait ou encore devra privilégier s’il veut se donner encore une chance de se faire l’inflation dans les règles. Dire qu’il y a encore quelques semaines il y avait des gens qui avaient encore l’espoir de voir une éclaircie du côté de la FED. Là, je crois qu’après la séance d’hier, les choses sont claires et que l’on est tombé de haut. Haut comme 5%. Ce qui est un moindre mal si l’on tient les 3’900. Sinon les 5% de baisse d’hier pourrait rapidement se transformer en 10% de plus ou même 20% si l’on commence à anticiper une vraie récession violente aux USA…

High five en Asie

Ce matin l’Asie salue donc les chiffres du CPI américain. Le Nikkei est en baisse de 2%, Hong Kong recule de 2.3% et la Chine limite la casse avec une baisse de 0.8%. Les Chinois qui doivent rigoler sous cape en se disant qu’eux – au moins – ils ont l’inflation qui se rapproche des 2% et que si Biden veut des explications, il peut toujours appeler Xi-Jinping qui lui expliquera le concept de la stratégie du ZERO-COVID avec confinement à répétition.

Pour le reste, l’or est à 1709$, même en pleine dépression inflationniste personne n’en veut, alors que le pétrole se maintient à 87$ en faisant mine de vouloir tenter un reversal et un rebond. Ce qui serait d’ailleurs une belle nouvelle bien pourrie à souhait, sachant que c’est quand même le seul truc qui a permis à l’inflation de ne pas être à 12% à l’heure où je vous parle. À ce stade de la chronique, je pense qu’il n’est pas nécessaire de vous annoncer que le Bitcoin ET le reste des cryptos se sont également fait exploser hier, puisque la thématique de « l’appétit au risque » n’était que très peu populaire hier soir.

Nouvelles du jour

Forcément, lorsque l’on sort d’une journée comme celle d’hier, la nouvelle la plus importante reste quand même le fait que l’on s’est fait décalquer et que la FED semble presque aussi efficace que les anti-moustiques au bord d’un étang au mois de juillet. On notera quand même qu’au-delà du sujet de l’inflation, JP Morgan pense quand même qu’il faudra trouver un instant T pour racheter le marché « pour autant que la FED ne pète pas un plomb et détruise l’économie à force de monter les taux ». Le même Jean Pierre Morgan pense aussi qu’il faudra peut-être « réduire » le nombre de banquiers dans les mois et les années à venir – ça me rappelle furieusement des déclarations qui ont été faites après la crise de 2009, également un instant T où il aurait fallu vendre les jouets du petit dernier pour acheter le marché et un instant T où admettre que vous étiez employé dans une banque équivalait à entrer dans un bus en 2021 en toussant et sans masque…

À l’heure où je vous écris, les futures sont en hausse de 0.3% et nous sommes déjà en train de mettre le passé derrière nous pour tenter un xième rebond en s’appuyant là où nous avons démarré le rallye la semaine dernière. Il faut dire que bien des voix s’élèvent à Wall Street pour dire que l’énorme « sell-off » d’hier soir est principalement dû à des énormes positions en options qui avaient parié sur de bons chiffres du CPI. Mais maintenant que la purge est faite, on peut espérer une lueur d’espoir. Non, parce qu’après tout, rien n’a changé : l’inflation est toujours là, les banques centrales ne sont plus nos amies, l’énergie est toujours plus chère, on nous explique comment baisser la clim et que l’on investit toujours pour les 12 prochaines heures. Et encore, ça c’est pour ceux qui font du long terme.

Chiffres du jour, bonjour

Côté chiffres du jour, oui, parce qu’il faut quand même continuer à avancer, il y aura le CPI et le PPI en Angleterre – même si actuellement les Anglais sont occupés à autre chose. Et puis il y aura aussi les hypothèques aux USA qui pourraient commencer à faire peur, sans oublier les chiffres du PPI qui pourraient également foutre la trouille, puisque si le PPI repart à la hausse, ça voudra aussi dire que c’est pas gagné pour les chiffres du CPI du mois prochain. Mais passons, n’anticipons pas au sujet des réjouissances qui nous attendent dans quelques semaines.

C’est à peu près tout ce que j’avais à dire ce matin. Même si je pourrais encore en rajouter pendant des heures, je crois que l’on a fait le tour et on aurait pu simplement dire : « journée de merde. Une de plus ». Comme je n’ai pas dormi cette nuit, je vais retourner me coucher et vous souhaiter une excellente journée jusqu’au PPI de tout à l’heure.

Que la force Dovish soit avec vous. On peut toujours rêver. Ah oui, encore une chose : demain c’est le jeûne fédéral, mais comme je suis genevois (il paraît), je serai quand même là, alors à demain, si vous le voulez bien !

Thomas Veillet
Investir.ch

“Sorry, I can’t hear you over the sound of how awesome I am.”

-Harvey Specter.