Je pense qu’aujourd’hui, si j’étais étudiant en psychiatrie, comme sujet de thèse je prendrais « la santé mentale des bourses mondiales en période de hausse des taux ». Du coup, si ma thèse est validée, j’aurais du boulot pour les 50 années à venir. Si je vous dis ça, c’est qu’hier nous sommes entré dans le paradoxe de la finance. À savoir que l’on est CONTENT de savoir que tout va mal. Quand les chiffres économiques commencent à puer le rat mort, voici que les bourses sont contentes parce que la FED va « sûrement » changer sa politique et devrait devenir plus arrangeante du côté de taux dès mercredi prochain. Reste juste à espérer que ça soit le cas. Parce que sinon…

L’Audio du 26 octobre 2022

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Tout va mal

Hier nous n’avons que des mauvaises nouvelles du point de vue macro-économique. Tout d’abord la Confiance du Consommateur est en train de se péter la figure parce que, je cite : « les multiples hausses de taux de la FED font du mal au consommateur ». Les économistes attendaient un chiffre à 106.5, c’est sorti à 102.5 – je vous épargnerai donc mon discours qui dit que les prévisions ne servent plus à rien, puisqu’elles sont systématiquement fausses, mais ce qu’il faut surtout retenir, c’est que le mois dernier nous étions à plus de 107 et ce mois, c’est la débandade.

Et puis il y a eu les chiffres de l’immobilier. Et là c’est la catastrophe. Je ne sais pas si vous connaissez l’indice S&P CoreLogic Case-Shiller. C’est un indice immobilier dont tout le monde se fout quand tout va bien et qui devient le « driver » de la peur quand tout va mal. En 2008 quand le monde entier vivait au rythme des foreclosures aux USA et des faillites bancaires multiples, nous vivions pour l’indice S&P CoreLogic Case-Shiller. Sauf que depuis que les banques centrales sont nos amies et que Roubini s’est vautré avec son target à 333 sur le S&P500 en février 2009, plus personne ne regarde l’indices S&P CoreLogic Case-Shiller. Tout le monde s’en fout et depuis des années, nous sommes convaincus que l’immobilier ne peut que monter et puis c’est tout. Depuis ce temps-là, nous avons appris à vivre avec d’autres chiffres économiques bien plus intéressant comme les Non Farm Payrolls ou, mieux encore, le CPI.

Sauf que…

Sauf que depuis quelques mois, on voit apparaître des fissures dans le marché immobilier américain. Ça vend moins, les prix baissent, les objets restent plus longtemps sur le marché. On en parle depuis des mois, mais là encore, tout le monde s’en foutait parce que nous étions bien trop préoccupés par l’inflation, la FED et le monde fantasmagorique de la hausse des taux. Et puis soudain, hier, le S&P CoreLogic Case-Shiller nous a annoncé que les prix ont chuté de 1.3% dans les 20 villes principales qui composent l’indice.

Alors 1.3%, c’est du pipeau si l’on se base sur la correction du marché des actions dans laquelle nous sommes. Mais si l’on ne peut même plus compter sur la sécurité du marché immobilier pour gagner de l’argent à coup sûr, comment on va faire ? Du coup, hier on en parlait. Les prix sont tout de même nettement plus haut que l’an dernier à la même période. Mais on peut le prendre comme on veut : ça commence à ralentir. Fondamentalement, c’est une mauvaise nouvelle. Comme l’Américain moyen (pour ceux qui restent) gèrent leur patrimoine entre portefeuille d’actions et immobilier. Et sachant que les portefeuilles 100% actions se sont pris grosso-modo 25% dans la tronche depuis janvier, si en plus la partie immobilière commence à craquer ; ça pourrait se compliquer. Surtout que souvent, les Américains empruntent sur la valeur de leur maison pour les dépenses courantes et que si la valeur de la maison baisse, ils ont moins d’argent à dispo et, dans le pire des cas, ça pourrait les pousser à la vente. On n’en est pas là, mais clairement, ça n’est pas du tout, du tout une bonne nouvelle. Surtout quand on se souvient à la vitesse à laquelle le marché immobilier est capable de se dégonfler – si, si, moi je me souviens d’il y a 15 ans. Je vieillis, mais j’oublie pas. Enfin. Pas encore.

Et pourtant… c’est une PUTAIN de bonne nouvelle !!!

Donc. Dans un monde réel, on pourrait dire que ça commence à puer et qu’il serait bon d’enfiler un casque, une combinaison de moto avec des protections renforcées et de ses mettre la tête entre les genoux comme pour les atterrissages en catastrophe dans les avions. Sauf que nous ne sommes pas dans un monde réel et que l’espèce de lieu délirant et psychédélique où se traitent les marchés boursiers mondiaux actuellement, qui ressemble assez ce à quoi devait ressembler le cerveau d’Albert Hofmann, inventeur du LSD. Et donc, sachant que notre priorité actuelle – mis à part celle de manger, boire et dormir – est d’obtenir la certitude que les mesures de la FED fonctionnent, la nouvelle d’hier était à la limite de l’orgasme économique.

À la limite de l’orgasme économique, parce que pour beaucoup cela veut dire qu’à force de tirer à balles réelles sur la croissance, on a fini par la toucher au cœur et que tout est en train de ralentir. Et si tout ralenti, la FED va être obligée de se détendre et d’arrêter de nous monter les taux de 75 basis points toutes les trois semaines !!! Et ça c’est une nouvelle qu’elle est trop bonne pour le monde merveilleux des bourses en folies. Ça, plus le fait que le consommateur se dégonfle et entre en dépression. L’accumulation de ces deux MAUVAISES NOUVELLES a donc permis au marché de terminer allègrement en hausse, surtout sur le Nasdaq, parce que l’on pariait sur le fait que les technos qui allaient commencer à publier le soir même, allaient pulvériser les attentes extrêmement basses que les analystes avaient mis en place pour elles.

Récession droit devant !

Alors vous me direz : « Oui, mais Thomas, si tout ralenti, si l’immobilier se pète la gueule et que le consommateur se met en PLS dans son salon, ça ne peut pas être une BONNE NOUVELLE pour l’économie, ça veut dire que l’on va direct en récession sans passer par le start et sans toucher la prime du Monopoly ».

Et vous aurez raison. Sauf qu’aujourd’hui, la récession, ON S’EN FOUT ! On s’en fout comme de notre premier jouet en caoutchouc, comme de notre première chaussette trouée, comme de la première bière que l’on a renversée dans un bar un soir où l’on aurait trop fêté les bonus de l’année dernière. Pour faire simple, LA SEULE ET UNIQUE CHOSE qui nous intéresse, c’est que l’économie parte en vrille, que le consommateur se suicide au couteau à beurre, que les acheteurs n’achètent plus rien et que les vendeurs ne vendent plus rien. Puisque c’est à ce prix-là et SEULEMENT à ce prix-là que la FED redeviendra notre amie et arrêtera de nous frapper à coup de hausses de taux. Bon, après la récession, c’est la merde, ne nous le cachons pas. Mais on va faire choses les unes après les autres, puisque de toutes façons, nous sommes littéralement incapables de faire deux choses à la fois et encore moins DE PENSER à deux choses à la fois. Tout d’abord on CONSTATE que l’économie va mal, puis on achète les marchés comme des fous PARCE QUE L’ÉCONOMIE VA MAL et que la FED va ARRÊTER DE MONTER LES TAUX. Ensuite, on se rend compte que la récession est à nos portes et que l’on commence à envisager de vendre nos enfants pour éviter de devoir les nourrir. Puis, ON VEND TOUTES NOS ACTIONS parce que la récession c’est tout pourri et que tant que la FED ne BAISSE PAS LES TAUX, on ne rachètera pas des actions et d’ailleurs on ne rachètera jamais PLUS JAMAIS des actions, parce que la BOURSE c’est le diable….

C’est à ce moment très précis qu’en général le marché fait son « bottom » final.

Mais hier c’était une bonne nouvelle

Si l’on résume, hier nous avons eu des preuves comme quoi l’économie ralenti. La confiance du consommateur s’effondre, l’immobilier est en train de craquer, le PMI d’hier était tout pourri et en plus, il pleut. Si avec ça, la FED ne se décontracte pas du slip la semaine prochaine, je ne sais pas ce qu’il leur faut. Surtout qu’en plus, le Wall Street Journal a dit que « certains banquiers centraux pensaient justement à se relâcher un peu dès la semaine prochaine ». C’est donc un « presque coup sûr », la FED va ralentir sa hausse, puis l’arrêter et voir commencer à baisser les taux et tout ça dans les 9 prochains mois. Tiens, tout d’un coup on parle de ce qui va se passer dans neuf mois, alors que depuis des mois, on ne parle QUE des 9 prochaines minutes.

Toujours est-il que, du coup, le marché a explosé hier. Je sais qu’intuitivement, c’est pas très logique, mais nous sommes dans un période où les marchés aiment quand ça va mal. Ils aiment quand ça fait mal, ce qui leur permet d’espérer qu’un jour ça ira mieux et ça fera moins mal. Donc, c’est positif. Vous comprenez ? Non, parce que si vous ne comprenez pas, vous comprendrez pourquoi je voudrais faire une thèse en psychiatrie sur « la santé mentale des bourses mondiales en période de hausse des taux ».

Mais il y avait aussi des chiffres

En dehors du fait qu’hier nous étions en mode « Prosper Youplaboum » parce que l’économie va mal, il y avait aussi une avalanche de chiffres qui commençaient. Avant la séance, puis après la séance. En ce qui concerne le avant Coca-Cola a fait mieux que les attentes et ont augmenté leur « guidance » pour le reste de l’année. UPS a fait mieux que les attentes – ce qui est supposé être une bonne nouvelle pour l’économie, mais on était un peu trop concentré sur le reste de ce qui ne va pas. Halliburton a cartonné, merci au pétrole. GE a sorti des chiffres que l’on qualifiera de « compliqués » et compliqué, on n’aime pas. Il y avait aussi GM qui prend des parts de marchés à Tesla, mais Tesla montait quand même plus de 5% et GM ne prenait que 3.6%. C’est injuste. On notera aussi le carton d’UBS qui a battu les attentes et Logitech qui a foiré ses chiffres mais qui prenait quand même 11% avec le départ du CFO. Ça fait toujours plaisir.

Mais c’est surtout après la clôture que ça s’est gâté. Après la clôture on attendait du lourd, c’était les « technos » qui prenaient le pouvoir et qui AVAIENT le pouvoir de nous faire exploser. Ou pas. Hier soir after close c’était plutôt le « OU PAS ». Pour faire simple, Google a publié en-dessous des attentes, la pub ça ne fonctionne plus, c’est la loose. Même si le management estime et avait prévenu que ce trimestre ne serait « PAS SIMPLE », les experts n’ont pas aimé et le titre perdait 6% hier soir. Microsoft a publié des chiffres au-dessus des attentes, mais le Cloud montrait un ralentissement. On n’a pas aimé. Non, on a détesté. Le titre est en baisse de 8% after close et Amazon se faisait allumer aussi, même s’ils ne publieront que jeudi. Spotify a complètement raté son trimestre, le titre perdait 7% et le CEO parle d’augmenter les tarifs pour atténuer la douleur des actionnaires. Visa a publié de bons chiffres et augmente son dividende, mais tout le monde s’en fout, parce que Texas Instruments a publié des chiffres à peu près en ligne, mais annoncent des prévisions qui donnent envie d’aller dans un bar et de boire beaucoup d’alcool fort. Ce qui n’est pas rassurant pour l’économie. Même si, en ce moment, on aime bien ce qui n’est pas rassurant pour l’économie.

En résumé, on a l’impression que la « vieille économie » ne va pas trop mal et que la techno ne va pas trop mal non plus mais que RIEN NE LEUR SERA PARDONNÉ ce trimestre. Les futures sont à la cave ce matin et le S&P500 devrait ouvrir en baisse de 0.9% si l’on en croit les indications à 6h40 du matin.

En Asie et pour le reste

Ce matin toute l’Asie est dans le vert. Le Nikkei monte de 1%, le Hang Seng monte de 2% (deux fois de suite déjà) et la Chine progresse de 1.42%. Le Bitcoin se réveille et repart au-dessus des 20’000$, l’or et le pétrole ne font rien. Aujourd’hui on va continuer dans la valse des chiffres du trimestre, avec des boîtes comme Boeing, General Dynamics, Harley Davidson avant l’ouverture, puis Meta, Ford et Teladoc après la clôture. Meta, ça ne va pas être facile si Google et SNAP se font démonter à cause de la pub, mais encore une fois, ça sera une question d’interprétation. Et puis, on notera que le deal de Twitter devrait être bouclé cette semaine.

Côté chiffres du jour, nous aurons le ZEW en Suisse, la confiance du consommateur en France, le nombre de personnes qui cherchent un emploi en France et les nouvelles demandes d’hypothèques aux USA ; ce qui devrait être drôle, vu le niveau des taux. Encore une occasion de montrer à la FED que leur stratégie fonctionne. Dans l’intervalle, on va continuer à faire de la psychologie de comptoir, vu que l’on n’aura aucune nouvelle de la FED, puisqu’ils doivent se taire.

Pas grand-chose d’autre à ajouter, puisqu’en période de publications, le reste du monde s’arrête de tourner. Je m’en vais donc vous souhaiter une belle journée d’automne et je vous recommande de vous préparer physiquement et mentalement pour les chiffres du Crédit Suisse de demain !

À demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

“Whenever you find yourself on the side of the majority, it is time to pause and reflect.”

– Mark Twain