Avant toutes choses, je voudrais prévenir que ceux qui ne veulent pas m’entendre parler de la FED, de Powell et de politique monétaire éventuelle et probable à venir – mais c’est même pas sûr – qu’il vaut mieux arrêter de lire juste ici. Ou baisser le son pendant environ 9 minutes. Non parce que l’on ne va pas se mentir : on ne va parler que des ça. Depuis une semaine on se passait la pommade dans le dos avec toutes les théories possibles et imaginable sur ce que pouvait, pourrait ou allait faire Jerome Powell et ce matin : ON SAIT, mais on se passe déjà la pommade pour les prochains rendez-vous et on brasse toujours autant d’air. D’ailleurs à force d’interpréter, j’en ai la migraine.

L’Audio du 3 novembre 2022

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La FED a fait ce qu’on attendait

La Réserve Fédérale de Jerome Powell a donc fait exactement ce que l’on attendait d’elle. Mais pas Jerome Powell. Lui il n’a pas vraiment fait ce que l’on aurait voulu qu’il fasse et qu’il dise. Cela faisait plusieurs jours que nous étions CONVAINCUS que tout était aligné pour que la banque centrale américaine arrive avec un ton bon enfant et se propose de monter les taux en décembre, mais moins parce que FRANCHEMENT, il n’y a plus trop besoin. On avait vu certains chiffres comme le PMI ou les prix de l’immobilier qui se calmaient, SIGNES ÉVIDENT comme quoi l’économie ralentissait. Oui. Sauf que la FED, elle, se concentre principalement sur l’emploi. Et l’emploi, si l’on en croit les derniers chiffres publiés (comme les JOLTS) ne se calme pas vraiment.

Du coup, la FED a bien monté les taux de 0.75% – comme prévu (ça fait au moins un truc qu’on avait bon) et puis elle a même ouvert la porte à toutes les fenêtres pour envisager, peut-être, de se décontracter un peu en décembre. Enfin, je dis ça parce que quand j’ai lu le communiqué de presse ci-dessous, c’était accompagné d’un mot qui disait que CE COMMENTAIRE montre bien que la FED veut être moins agressive à l’avenir. Moi je n’y ai vu qu’une succession de mots qui ne veulent pas dire grand-chose et le fait que l’on a essayé de trouver les mots les plus compliqués possibles pour les coller avec d’autres mots les plus compliqués possibles, histoire de noyer le poisson. Non, parce qu’ils auraient pu dire :

« Nous montons les taux de 0.75%, mais nous nous préparons à être moins agressifs en décembre, parce que les chiffres montrent que ça va dans la bonne direction et que ça sera plus sympa pour tout le monde de passer Noël comme ça ».

MAIS NON. À la place, ils ont dit ça :

« Les prochaines décisions se feront par étapes afin de tenir compte du « resserrement cumulatif de la politique monétaire. En déterminant le rythme des futures augmentations de la fourchette cible, le comité prendra en compte le resserrement cumulatif de la politique monétaire, les délais avec lesquels la politique monétaire affecte l’activité économique et l’inflation, ainsi que les développements économiques et financiers »

Donc, moi j’en sais rien, mais selon les experts, ça veut dire que ça va bien se passer et que si tout se passe bien comme ça doit bien se passer, ça se passera bien pour les taux. Ou pas.

Mais Powell n’était pas trop d’accord

À la sortie de ces mots, le marché s’est dit :

« OH BEN c’est chouette, ils vont finir par pivoter et la politique de resserrement monétaire va se calmer, le marché va pouvoir remonter gentiment. On devrait sortir du Bear Market dans 2 mois et 14 jours et les plus hauts historiques seront fait autour du mois de juin 2023 »

Du coup, entre 19h00 et 19h30, le marché s’est senti tout léger et presque prêt à vendre à peau de l’ours. Sauf qu’ils ne l’avaient pas encore tué. Et hier soir, l’ours a pris la forme de Jerome Powell.

Ou plutôt du discours de Jerome Powell. Le patron de la FED n’a pas pris de pincettes et il est allé droit au but : il a clairement expliqué qu’il était trop tôt pour envisager un quelconque changement de positionnement de la part de la FED et – qu’en gros – il ne changerait pas son fusil d’épaule, ni sa politique, tant que l’inflation n’appellerait pas sa maman au secours et selon lui, c’est pas pour tout de suite.

C’est quoi le texte

À partir de là, si je reprends les scénarios que j’avais proposé hier, c’est clairement le premier de la liste qui disait :

« Si Powell monte les taux de 0.75% et ne laisse pas entendre qu’il va se calmer, on va se faire défoncer comme en septembre parce que le marché a DÉJÀ anticipé le fait qu’il allait se calmer. »

On s’est donc fait défoncer.

Bon, j’exagère. Défoncer c’est 5% de baisse. Là on a perdu que 3.36% sur le Nasdaq, 2.5% sur le S&P500 et 1.55% sur le Dow Jones. On va dire que c’était une saine prise de profits et comme ce matin les futures sont déjà en hausse, on va se dire que les experts à Wall Street ont certainement dû trouver des mots cachés dans le discours de la FED qui disaient que ça allait bien se passer et que Powell était un peu fou-fou et que comme il n’avait pas encore enlevé son déguisement d’Halloween, il voulait encore faire un peu peur à tout le monde. Pour faire simple, le marché US a bien corrigé hier soir, mais on n’a pas ce sentiment de panique qui prévalait au moins de septembre. On a donc bon espoir que l’on s’accroche au compte de Noël qui s’appelle : « le petit taureau et le rallye de fin d’année », plutôt qu’au commentaires plutôt attentistes de Jerome Powell. Il y anéanmoins deux-trois trucs que l’on a appris durant le speech du patron de la FED qu’il serait bon de se souvenir pour les prochaines semaines.

La première chose que l’on a appris dans le discours de Jerome Powell, c’est que les taux « terminaux », les taux les plus hauts que l’on peut s’attendre à voir lors de ce cycle de hausse, sont dorénavant autour de 5%, voire un peu plus. La dernière projection de la FED se situait entre 4.5% et 4.75%. Mais hier, il semblerait que Powell n’a pas laissé trop d’espoir et s’est dit qu’en visant très haut, l’inflation aurait très peur et commencerait peut-être à sortir le drapeau blanc un peu plus vite que prévu.

La deuxième chose que l’on a appris dans le discours de Jerome Powell, c’est qu’il ne fallait pas rêver ; la FED n’était pas encore prête à faire la moindre pause dans son cycle de hausse des taux. Monsieur Powell a même déclaré :

« Il serait très prématuré de penser ou de parler d’une pause dans nos hausses de taux ».

Il faut donc croire que le message est clair.

La troisième chose que l’on a appris dans le discours de Jerome Powell, c’est que, compte tenu du positionnement de la FED et de sa non-intention de se calmer au niveau de la hausse et de la durée du cycle de hausse des taux ; le risque de récession est en train d’augmenter de façon conséquente. D’ailleurs, pour fêter ça, hier la courbe du rendement du 3 mois a croisé celle du rendement du 10 ans. Et tous les « spécialistes du croisement de la courbe du rendement du 3 mois et du 10 ans » sont ressortis de la naphtaline pour nous expliquer que c’était LE MEILLEUR INDICATEUR du monde pour prévoir une récession et que, dorénavant le compte à rebours était lancé.

Bon, la bonne nouvelle c’est qu’en général, cet indicateur prédit que la récession sera là dans une durée comprise entre 9 mois et 64 mois, ce qui nous laisse encore pas mal de marge de manœuvre – et pour certains d’entre-nous – le temps de partir à la retraite. D’ailleurs pour information, le deuxième meilleur indicateur de la récession le plus efficace, c’est de tirer à la courte paille. Autant vous dire que là, on est sur de la très très haute finance.

La quatrième chose que l’on a appris dans le discours de Jerome Powell, c’est que les craintes de voir le consommateur s’effondrer sont prématurées. Et que, selon Monsieur Powell, les indicateurs montrent que le consommateur se porte bien et que, malgré le fait que l’épargne individuelle de la totalité des Américains se résume à limite de carte de crédit mensuelle de Monsieur Musk à lui tout seul et que Zelensky a lui tout seul a récupéré plus de pognon que toute l’épargne américaine réunie, selon le patron de la FED, il n’y a pas de craintes à avoir de ce côté-là. Enfin. Pas ce mois en tous les cas.

La cinquième chose que l’on a appris dans le discours de Jerome Powell, c’est qu’il ne pense pas que la FED a resserré les boulons trop fort. Ni trop fort, ni trop vite d’ailleurs. Dans son discours d’hier, il a clairement insisté sur le fait qu’il est parfaitement content et heureux d’être là où il est dans son cycle de hausse et que MÊME, si la FED devait monter les taux trop hauts, ça serait moins grave que l’inverse. En conclusion, on peut dire que lorsque l’on écoute le discours de Powell, tout à l’air sous contrôle et qu’il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Juste d’être un peu patient. Et juste espérer que ça n’est pas le même contrôle qu’il avait sur l’inflation qui DEVAIT être transitoire en novembre dernier… Sauf erreur de ma part.

Les prochains évènements attendus sont donc : les chiffres de l’emploi demain, le CPI le 10 novembre, les Jolts début décembre, les chiffres de l’emploi de début décembre et le CPI de juste avant le prochain meeting de la FED. Ce qui nous laissera plein de temps pour brasser de l’air et faire plein de théories qui ne serviront à rien, mais qui nous occuperons pendant les premières chutes de neige.

Pour le reste

Étonnement, lorsque la FED parle, on a le sentiment que plus rien ne se passe dans le monde. La guerre en Ukraine ne fait plus de bruit, les Iraniens n’ont pas encore envahi le désert Saoudien, la Corée du Nord n’a pas attaqué Séoul et on ne parle plus d’économies d’énergie ou de gaz trop cher. La seule chose dont on parle c’est la restructuration de Twitter et du fait que Musk va créer une « super-app » qui fera tout sur votre téléphone portable, comme ça on pourra devenir encore un peu plus con en passant encore un peu plus de temps collé dessus. Il va aussi virer la moitié du staff et l’action sera retirée de la bourse le 8 novembre, mais ça, tout le monde s’en fout. Il y a aussi Qualcomm qui a donné une guidance toute pourrie et qui se faisait allumer after close. Même punition pour Roku.

Pendant ce temps, l’Asie est dans le rouge. De façon modérée pour le Japon et la Chine, mais c’est Hong Kong qui, comme à son habitude, est presque aussi volatile qu’une cryptomonnaie qui va faire fois 10’000 en deux semaines et qui est un « coup sûr » -Hong Kong baisse de 2.5%. En attendant, le Bitcoin ne fout rien, l’or ne fout rien et le pétrole ne fout rien. On a d’ailleurs l’impression que le niveau d’intérêt sur les marchés financiers est retombé presque à zéro et que plus personne ne s’y intéresse. Bon, c’est vrai que vu ce qui s’y passe en ce moment, je serais plutôt partisan de partir sur une île à ne rien faire en attendant que ça se passe. En supposant que ça se passe un jour.

Chiffres du jour

En ce qui concerne les chiffres du jour, il y aura le CPI en Suisse, CPI qui est attendu à 3.2%. La Banque d’Angleterre fera aussi son coming-out sur les taux et puis aux USA, il y aura le Trade Balance, les Jobless Claims, le PMI des services, l’ISM non-manufacturing, les Durables Goods et les Factory orders. Largement de quoi provoquer un torrent de révisions ou de nouvelles opinions sur ce qui va se passer au niveau de la FED et de Powell pour 342 prochaines semaines. Ce qui est bien, c’est que l’on attendu la FED comme le GRAAL depuis deux semaines et en moins de 12 heures, on sera déjà en train de penser à autre chose et de se chauffer en se disant que tel ou tel chiffres pourrait bien faire changer d’avis Powell et ses amis. Nous sommes de formidables anticipateurs-visionnaires qui ne savons même plus nous ennuyer.

Passez une très bonne journée à analyser les mots de Powell et moi je vous retrouve demain à la même heure pour parler cuisine. On parlera de la recette du gâteau au carottes et on listera les ingrédients nécessaires pour la panse de brebis farcie.

À demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

“I don’t pave the way for people, people pave the way for me.”

-Harvey Specter.