Xi Jinping, un président tout puissant.

La situation (geo) politique

Après Mao Zedong, Xi Jinping est le président le plus puissant. Le discours du président chinois Xi Jinping lors du 20ème congrès du Parti communiste chinois s’est essentiellement porté sur la sécurité nationale, la réintégration de Taïwan dans la Chine, la politique zéro-Covid, l’indépendance technologique et l’idéologie du communisme avec la prospérité commune. Mais très peu d’attention portée à la crise économique et au secteur immobilier. Xi Jinping a parlé plusieurs fois d’un équilibre entre le développement économique et la sécurité nationale, suggérant que la croissance économique pourrait être sacrifiée sur l’autel de la défense nationale, de l’autosuffisance économique et de l’intégration de Taïwan. La priorité n’est plus à la croissance à tout prix.

Au lendemain du congrès, les indices actions chinois ont chuté, en particulier les géants chinois de la technologie, les investisseurs craignant un Xi Jinping tout (trop) puissant. Xi Jinping a présenté un Politburo composé uniquement de fidèles, démontrant une volonté de contrôle absolu du pouvoir. On constate la prééminence du politique par rapport à l’économie. Les investisseurs craignent une régulation plus dure dans le commerce privé et la technologie, et que la prospérité commune prenne le pas sur les milliardaires (régulation des revenus excessifs) qui grâce à une certaine liberté ont pu innover et créer de grands groupes de l’internet et du commerce en ligne. Cette capacité d’innovation pourrait disparaître par une reprise en mains du gouvernement et de l’Armée populaire de libération.

Renforcer la sécurité nationale impose de changer l’ordre international, façonné par les Etats-Unis, et imposer sa vision des affaires au monde, marxiste-léniniste, où la politique l’emporte sur l’économie. L’ordre libéral est à détruire. Pékin ne reconnaît pas les valeurs de l’universalité définies dans la Charte des Nations unies, et fait valoir qu’elles sont évoquées par des Occidentaux qui y ont trop souvent été infidèles. La Chine rejette toute idée d’un ordre international guidé par des valeurs universelles partagées. Xi Jinping veut donc réformer le système de la gouvernance mondiale. Les Etats régissent la vie internationale, pas les individus ni les peuples. Dans la diplomatie, Xi Jinping ne porte pas de jugement sur la nature des gouvernements; il respecte les autorités étatiques en place, mais avec une préférence autoritaire. La Chine est sur tous les continents, elle est dans toutes les institutions spécialisées de l’ONU dont elle est l’un des grands contributeurs financiers. La Chine aime le libre-échange et la liberté des flux de capitaux, même si elle combat la suprématie du dollar. Pour finir, la Chine n’obéit qu’à un seul tropisme, bien répertorié dans l’histoire: la volonté de puissance.

La situation géopolitique est claire: 3 plaques tectoniques se détachent, les Occidentaux, la Chine et ses alliés (Russie, Corée du Nord et Iran) et les autres (Inde, Turquie, Arabie saoudite) naviguant selon leurs intérêts. Fini le multilatéralisme, la déglobalisation est en marche vers un monde bilatéral, voir trilatéral. Les démocraties contre les régimes autoritaires.

La guerre économique et technologique est montée d’un cran en octobre avec les restrictions américaines sur les ventes de puces électroniques et les équipements à haute valeur ajoutée à la Chine. Les entreprises américaines et étrangères doivent demander aux autorités américaines une licence d’exportation. L’administration US veut aller plus loin en réduisant les exportations totales de semiconducteurs vers la Chine, y incluant les équipements. L’objectif est principalement de ralentir les capacités militaires de la Chine, ainsi que le développement de l’Intelligence artificielle, des superordinateurs et des compétences quantiques. Ces restrictions vont affecter la Chine à court-moyen terme, car on considère que la Chine a 5 ans de retard dans les puces de haute technologie. Mais elles toucheront également les sociétés américaines et européennes avec des impacts matériels sur les profits et les revenus dès le 4ème trimestre.

Taïwan est pris dans ces vastes enjeux géopolitiques et dans cette guerre technologique entre les Etats-Unis et la Chine, car cette île compte pour 70% de la production mondiale de semiconducteurs (55% pour TSMC) et TSMC produit 90% des puces les plus avancées au monde. Taïwan dit que TSMC est «la montagne sacrée protectrice de la nation». Mais cette guerre sino-américaine coûte cher à Taïwan, car la Chine est le premier partenaire commercial de Taïwan et les producteurs taïwanais doivent se plier aux restrictions américaines. TSMC, UMC, MediaTek, PSMC, VIS ont vu les cours de leurs actions chuter de 10% suite à l’annonce des restrictions américaines. Pour réduire la dépendance américaine à Taïwan, TSMC va construire une usine en Arizona, un peu sous la contrainte américaine ; les Etats-Unis en font une question de sécurité nationale, car les chasseurs F-35 et les missiles hypersoniques de l’armée américaine incluent des puces gravées par TSMC. Une invasion chinoise de Taïwan aurait un impact majeur sur la production mondiale de semiconducteurs et sur l’économie globale; les conséquences économiques du Covid seraient une fraction des conséquences d’une invasion. Taïwan est un écosystème technologique très complexe, qui rend une invasion chinoise très risquée sur un plan économique. Mark Liu, le patron de TSMC dit que «personne ne peut contrôler TSMC par la force. Si vous utilisez la force ou une invasion, vous rendez TSMC inopérable, parce que c’est un site de production tellement sophistiqué qu’il dépend de sa connexion avec le monde extérieur en temps réel». Les Chinois prendraient une coquille vide, car TSMC a les capacités de s’autosaborder, dont le processus d’autodestruction est tenu secret, et réduirait à néant les ambitions technologiques chinoises et surtout mettrait le monde dans le chaos.

Le Département américain de la défense a publié la semaine dernière sa nouvelle stratégie de défense et sa posture nucléaire. Si la Russie demeure une source d’inquiétude, le vrai rival stratégique de Washington est la Chine. Selon les Américains, la décennie sera décisive face à deux puissance «révisionnistes». La Chine est devenue agressive et veut refaçonner la région indo-pacifique et le système international en phase avec ses intérêts et préférences autoritaires. La volonté chinoise d’intégrer Taïwan déstabilise la région indo-pacifique. Les Etats-Unis ont désigné Taïwan comme un «allié clef non-membre de l’OTAN», provoquant la fureur de la Chine. Cela montre que les Etats-Unis seront prêts à défendre Taïwan en cas d’invasion chinoise. Les Etats-Unis doivent moderniser les alliances avec le Japon, l’Australie et l’Inde, maintenir un avantage technologique, en particulier dans l’Intelligence artificielle et l’informatique quantique, se renforcer dans la cyberguerre et le militaire spatial. Les Etats-Unis vont augmenter le budget 2023 à $130 milliards destiné à la R&D, tests et évaluation pour l’innovation militaire.

L’économie

L’économie chinoise est plombée par une politique sanitaire très stricte depuis 2020: fermeture de villes, quartiers, usines, de ports dès qu’un cas Covid apparaît et obligation de tests tous les deux ou trois jours dans les grandes villes. Le transport aérien national est très restreint, et interdit à l’international pour le tourisme. Le transit à Hong Kong et Macau est interdit. Les Chinois ne voyagent plus à l’étranger, mais heureusement pour le tourisme en Europe et aux Etats-Unis, les Américains ont compensé leur absence en 2022.

Le secteur immobilier continue de peser sur la croissance: les ventes au mètre carré ont dégringolé de 22% sur les neuf premiers de 2022 et les nouveaux chantiers sont en chute de 38% depuis janvier. Les gens ont peur d’acheter, parce qu’ils craignent que les projets ne soient pas terminés, du fait de la mauvaise santé financière des promoteurs. Ils achètent surtout des appartements anciens. Le gouvernement ne va probablement pas soutenir massivement le secteur immobilier, mais il continuera à demander aux banques d’aider les promoteurs en difficulté. Le secteur immobilier compte pour 25% du PIB chinois. S&P Global Rating estime qu’il faudrait $100 milliards pour que les promoteurs terminent les appartements déjà vendus. Mi-2021, les passifs des seuls Evergrande, Kaisa et Shimao s’élevaient à $370 milliards, une fraction de l’ensemble de l’industrie.

Le résultat est une économie en quasi-récession avec une progression du PIB estimé à 3.2% en 2022, la pire performance en 40 ans et une croissance en dessous de celle du reste de l’Asie. Le PIB du 3ème trimestre a rebondi de 3.9%. L’objectif initial du gouvernement était une hausse de 5.5% du PIB. Les ventes de détail sont faibles avec une hausse de 2.5% en septembre, bien dessous de la moyenne des 10%-15% des 10 dernières années. Le ralentissement des ventes de détail s’observait déjà en 2019 (avant le Covid) avec une hausse de 7%-9%.

La bourse

Après un plénum réussi pour Xi Jinping, le temps est-il à l’assouplissement de la politique sanitaire zéro-Covid et à un plan de relance économique? Les investisseurs semblent vouloir l’anticiper sans qu’il y ait de signes de la part des autorités chinoises d’un changement d’attitude. Vendredi dernier, les valeurs du luxe, les sociétés minières et pétrolières sont fortement montées en anticipation d’une réouverture de la Chine et la fin des contraintes sur le transport aérien. Pourtant, le week-end qui a suivi, les autorités chinoises ont dit qu’elles maintenaient la politique zéro-Covid, mais que les frontières avec Hong Kong et l’international rouvriraient progressivement début 2023. Des discussions constructives permettraient de maintenir la cotation des sociétés chinoises à New York. Mais tout cela reste encore flou. Nous évaluons avec prudence une ouverture chinoise et préférons toujours les actions chinoises cotées à Hong Kong. Un delisting des actions chinoises cotées à New York reste un risque.

2022.11.11.performances en USD

Depuis le plénum chinois et les rumeurs d’assouplissement de la politique zéro-Covid, les PER relatifs chinois sont remontés après avoir atteints des plus bas récemment. Pour un rebond durable, il est nécessaire de voir des données économiques soft (PMI Manufacturier et Service) en amélioration. Ceux d’octobre montrent toujours une contraction.

Faut-il acheter les Big Tech chinoises? Alibaba est bon marché à moins de 10x les profits 2022 et 2023, mais qui est derrière le groupe depuis la mise à la retraite de Jack Ma? Alibaba a des technologies dans l’Intelligence artificielle et le cloud. Qui gère Alibaba? Le Parti communiste, l’armée? Tencent a une évaluation boursière en ligne, mais elle est également surveillée étroitement. Les réseaux sociaux et les jeux en ligne font l’objet de restrictions, les adolescents jusqu’à 18 ans ont un accès restreint aux jeux. Bref, tout est très contrôlé au niveau technologique et sociétal. Leur marche des affaires peut à tout moment être bouleversée par des interventions du Parti communiste. L’ADN du secteur de la technologie est l’innovation, mais elle est bridée. Les sociétés technologiques chinoises vont aussi être affectées négativement par les restrictions américaines sur les puces de haute technologie.

Il est logique que la bourse chinoise bondisse sur des rumeurs d’assouplissement de la politique sanitaire Covid. Mais nous n’irions pas au-delà avec le début d’une surperformance durable vis-à-vis des bourses américaines et européennes. Le discours chinois est devenu très politique et idéologique. La prospérité commune et le contrôle de la société primeront sur l’économie. Le fameux discours de Jack Ma, fondateur d’Alibaba, le 24 octobre 2020 critiquant le système bancaire chinois, pilier du socialisme de marché, et les effets pervers de son centralisme, a été la ligne rouge et le point de réveil pour le Parti communiste qui depuis ce jour a décidé de reprendre la société chinoise d’une main de fer. Les tensions avec les Etats-Unis vont rester intenses et Taïwan est l’obsession chinoise. Le déplacement des plaques tectoniques géopolitiques va se répercuter sur les investissements boursiers.

 

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