Jusqu’à 19h30 hier, on se posait encore des questions sur la Chine, sur l’inflation, la récession. Il y en a même qui s’intéressaient au problème de la guerre en Ukraine. Les plus fous d’entre nous s’interrogeaient sur l’avenir des chaînes de production. Mais ensuite, Jerome Powell a parlé et plus rien ne sera jamais pareil.

L’Audio du 1er décembre 2022

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Construire un temple

On ne va pas se mentir, il ne s’est pas passé des montagnes de trucs hier. Heureusement d’ailleurs, parce que je crois sincèrement que nous ne sommes pas du tout capables de gérer plusieurs choses en même temps. L’esprit de l’investisseur est devenu binaire et incapable de nuancer ses réflexions. C’est ou c’est méga-bullish parce que les taux vont sûrement baisser un jour, ou alors c’est la fin du monde parce que les Chinois vont arrêter de consommer et que plus personne ne va acheter des iPhone’s. Les réactions du marché sont d’ailleurs proportionnelles à la simplicité de ces réactions. Plus la nouvelle est « bonne », plus elle devient le centre du monde et la justification à tous les excès. Prenez l’exemple de l’inflation d’il y a deux semaines. 10% de hausse pour 0.4% d’inflation en moins – inflation théorique, en plus – on est clairement en droit de se demander si on a encore la lumière à tous les étages. La séance d’hier aura donc été la représentation de cette réflexion binaire qui a de quoi rendre jaloux le premier programme algorithmique venu.

Donc, si l’on devait résumer la journée d’hier, ça serait assez simple :

1) On attend de voir si le discours de Powell est dovish ou hawkish
2) En fonction du discours hawkish ou dovish on gagne ou on perd entre 3 et 4%
3) Et on rentre à la maison
4) Et demain on passe à autre chose

Ce matin, si vous regardez la clôture des indices américains, vous n’avez même pas besoin de savoir ce que Powell a bien pu raconter, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Mais bon, je ne vais pas vous gâcher le plaisir : hier, Jerome Powell a enfilé son costume rouge, son faux ventre et sa barbe blanche et il est venu livrer les cadeaux de Noël à Wall Street. Après nous avoir pourri l’année avec des commentaires « hawkishs » et des menaces répétées sur la hausse des taux, le patron de la FED s’est donc radoucit et pendant un instant hier soir, on a commencé à se dire qu’il pourrait même redevenir notre ami.

De l’utilisation abondante du conditionnel

« Le moment de modérer le rythme des hausses de taux pourrait venir dès la réunion de décembre »

C’est LA PHRASE qui nous a permis de prendre 4% sur le Nasdaq et de faire revenir le Dow Jones en situation de « Bull Market ». Sans compter que l’indice historique américain nous a également croisé les moyennes mobiles des 50 jours et des 200 jours, dessinant ainsi une magnifique Golden Cross sur le graphique. La Golden Cross, je le rappelle est, à l’inverse de la Death Cross, une prévision bullish de l’avenir d’un graphique. Mais là n’est pas le sujet. Hier soir le patron de la FED a donc laissé supposer qu’éventuellement peut-être les taux pourraient moins monter.

Vous avez bien noté ? – MOINS MONTER !

Il n’a pas dit que les taux n’allaient PLUS MONTER ou même que les TAUX ALLAIENT BAISSER, NON ! Il a juste dit qu’il se pourrait (conditionnel) que le moment soit venu (ou pas) de commencer peut-être (expression du doute) à MOINS MONTER les taux. En résumé, il n’a rien confirmé, mais nous, les investisseurs-anticipateurs-visionnaires, nous avons déjà enregistré les mots de Powell comme étant une certitude que le 14 décembre au soir, la FED ne monterait les taux « plus que de 50 basis points ».

On se contente de peu

À ce stade, si je résume, nous en sommes au fait où l’on estime que l’on a eu confirmation OFFICIELLE de ce que l’on supposait depuis les chiffres du CPI d’il y a deux semaines. Il y a deux semaines, lorsque l’on a vu le CPI en baisse de 0.4% par rapport au mois précédent, on a explosé de 10% en se disant que la FED allait sûrement MOINS MONTER les taux dorénavant. Hier soir nous avons eu la confirmation officielle tartinée de conditionnel qu’effectivement, la FED allait probablement moins monter les taux et on a repris encore 4%. Reste plus qu’à que l’on monte de 15% lorsque qu’EFFECTIVEMENT la FED montera moins les taux et l’année n’aura pas été aussi pourrie que cela finalement.

Ce que l’on a MOINS regardé hier, c’est la suite du discours.

« Il est probable que le rétablissement de la stabilité des prix nécessitera de maintenir la politique à un niveau restrictif pendant un certain temps. L’histoire met fortement en garde contre un assouplissement prématuré de la politique. Nous maintiendrons le cap jusqu’à ce que le travail soit fait. »

Ce qu’il faut donc retenir des déclarations de Powell c’est que la FED va moins monter les taux, mais que la politique de la banque centrale américaine va rester restrictive – comprenez qu’ils ne vont pas les baisser de sitôt – et qu’on ne parlera pas de baisse tant que l’inflation ne sera pas définitivement rentrée à la niche. Mais on s’en fout parce que nous on a juste entendu :

« MONTERA MOINS LES TAUX »

Cela s’appelle « de l’écoute sélective ».

Bref, on s’en fout. Le Christmas Rally est officiellement déclaré ouvert et maintenant on est en train de parier sur la prochaine baisse des taux. D’ailleurs il y en a qui n’ont pas perdu de temps sur le sujet. Hier soir il y avait Tom Lee qui disait déjà que la hausse des taux du 14 décembre serait probablement la dernière et dans la foulée, ELON MUSK, encore lui, a tweeté pour encourager la FED à baisser les taux rapidement pour ne pas précipiter l’économie dans une récession qu’ils ne voudront pas vivre.

Elon l’économiste

Oui, vous l’aurez compris, Elon Musk se lance dans l’analyse économique et il se pourrait bien qu’il s’achète une banque prochainement, histoire de se donner une légitimité sur le sujet. La déclaration de Musk n’a pas eu d’impact réel sur les marchés, sauf sur Tesla qui a pris presque 8% hier soir, mais ça n’a sûrement rien à voir. Mais des voix s’élèvent pour dire qu’en tant que « grand patron » d’un énorme conglomérat industriel qui devrait rentrer 116 milliards de chiffre d’affaire en 2023, il faudrait qu’on l’écoute. L’ennuyant c’est que quand il a posté son « tweet », on ne savait pas s’il était le CEO des fusées, le CEO des voitures électriques ou le CEO de l’oiseau bleu.

Mais peu importe. Ce qu’il faudra retenir d’hier, c’est que le marché aura été hyper-content d’apprendre de la bouche de Powell que la FED va MOINS MONTER les taux et que le reste, globalement, on s’en fout comme de notre première cravate. Par contre, pendant que les bourses mondiales sont en train de finaliser leur orgasme du début du Christmas Rally et que Powell fait des Ho-ho-ho-ho !!! en se baladant avec sa hotte et ses cadeaux sur la 5ème avenue, vous avez une avalanche d’experts qui commencent à crier « à la récession, à la récession ».

Prudence quand même

En effet, si l’on regarde un peu les médias, en plus d’Elon Musk, il y a plein d’autres économistes, analystes et autres prédicateurs qui mettent en garde contre le fait que garder les taux élevés pourrait précipiter l’économie en récession plus vite que l’on veut bien le croire. Par exemple, hier il y avait Michael Burry – le Big Short, la crise des Subprimes, tout ça – et bien Michael Burry a sonné la cloche de la récession, conseillé aux gens de se mettre cash et de se mettre en PLS parce que l’économie se prépare à PLUSIEURS ANNÉES très compliquées et que les autorités ne pourront pas faire grand-chose. Mais bon. Hier soir, face à Powell, lui non plus n’a pas pu faire grand-chose. Il est à noter que pour une fois, Musk et Burry sont d’accord. Je ne sais pas si c’est un signe, mais il faut le noter.

Hier il y a aussi eu les chiffres de l’emploi ADP qui était nettement, mais alors nettement en-dessous des attentes, mais on s’en fichait parce que… Ben oui, parce que Powell. Et puis même si c’est une mauvaise nouvelle, ça veut dire que les NFP seront faibles aussi. Et si c’est faible aussi, c’est que la FED ne peut plus monter les taux parce que l’inflation est presque vaincue. Ou en tous les cas MOINS MONTER LES TAUX. N’oublions donc jamais que tout chiffre économique faible ne veut pas dire que l’on va tout droit dans la gueule de la récession, ça veut simplement dire que la FED fait son job et est en train de mettre la misère à l’inflation. Je me réjouis déjà de dans 6 mois quand je serai en train d’écrire la même chose, mais à l’envers en expliquant les angoisses face à la récession.

Les trucs du jour

Ce matin l’Asie est dans le vert. Le Japon grimpe de 1%, tout comme la Chine. Hong Kong est en hausse de 1.7%. D’ailleurs les derniers chiffres économiques de la région continuent de montrer que ça n’est pas top-top, mais comme Powell a dit qu’il monterait moins les taux, peut-être, on s’en tamponne le coquillard. Le pétrole est à nouveau au-dessus des 80$, mais ça n’est pas inflationniste. Le Bitcoin repasse les 17’000$ à la hausse et démontre que l’appétit au risque est de retour. L’or frises 1800$ maintenant que l’inflation est vaincue et que le dollar se pète la gueule. Et puis dans les autres nouvelles, on a entendu que Musk a été écouté par le CEO de Spotify et par Mark Zuckerberg qui s’en sont tous deux pris à Apple pour dire qu’ils étaient méchants avec leurs taxes sur l’App Store et qu’ils se comportaient comme le petit connard plus grand que les autres qui frappait les petit à l’école.

Sauf que pendant que les deux gars s’excitaient sur l’App Store, Musk était en train de visiter le campus d’Apple avec Tim Cook. Dans la foulée il a déclaré que « tous les malentendus étaient réglés, qu’Apple étaient en fait – super sympas » et il est parti en faisant des high-fives avec le CEO d’Apple pendant que Zuckerberg et Daniel Ek se retrouvaient tout seuls à râler dans leur coin sans avoir été invités à Cupertino. Dans les autres nouvelles passionnantes, en plus de celles de Powell et des taux qui vont MOINS MONTER, on notera que Sam Bankman-Fried était interviewé par le New York Times hier soir et c’était tout simplement ubuesque. Le gars ne sent coupable de rien, il essaie encore de se faire passer pour le gentil et jamais il n’a essayé de s’enrichir. Même pas en achetant des tonnes de baraques en front de mer à Nassau. Limite il voudrait qu’on lui attribue un prix Nobel. S’il doit finir en prison aux States, ça va lui faire bizarre au moment de la remise des prix.

Les chiffres

Côté chiffres économiques, nous aurons l’indestructible CPI en Suisse, puis les Jobless Claims et le PMI Manufacturier aux States, ainsi que l’ISM Manufacturing PMI et les dépenses de la construction. Pour le moment, les futures sont hausse de 0.13%, le Dow Jones est en Bull Market et tout va bien, Madame la Marquise parce que les taux vont monter. Mais moins.

Passez une excellente journée et à demain ! Si vous le voulez bien. Par contre si vous ne voulez pas, faut me dire, sinon je reste couché. Mais ça serait dommage, on va parler Christmas Rally et bourses qui n’arrêtent pas de monter !!!

Bonne journée !

Thomas Veillet
Investir.ch

Life is either a daring adventure or nothing at all. -Helen Keller