Est-ce que vous vous rendez compte qu’on a passé près de 4 semaines à se demander ce que Powell pourrait bien faire le 14 décembre ? Et que ce matin, le 15 décembre on se rend compte que finalement, mis à part nous raconter ce que l’on savait déjà et que l’on a déjà écrit et supposé environ 12'543 fois, on n’en sait pas plus qu’avant et qu’on va botter en touche jusqu’en février pour se refaire le même film tous les trois jours d’ici-là ? Il est 5 heures du matin et je me demande si je n’aurais pas mieux fait de rester au lit ou alors d’aller en boîte de nuit hier soir et de faire un copié/collé avec le communiqué de presse du 20 Minutes ?

L’Audio du 15 décembre 2022

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Quand un mec il en sait aussi peu

Je vous préviens, si vous êtes venu ce matin en vous disant : « Si je vais lire la chronique de Thomas, je vais savoir plein de trucs que je ne savais pas avant », vous vous êtes magistralement gourés. Vous avez meilleur temps de reprendre le communiqué de presse officiel de la FED vous en saurez tout autant. Ça sera probablement moins facile à lire, mais vous en saurez tout autant et vous regretterez de ne pas avoir pris un billet d’avion pour une île du Pacifique où y a pas internet dès le premier décembre avec la ferme intention de ne pas revenir avant le meeting de la FED de février. Non, je dis ça parce que moi je regrette.

Donc hier les marchés européens n’ont strictement rien foutu en attendant les paroles du maître à penser de la finance mondiale et les marchés américains n’ont pas foutu grand-chose, même en sachant ce que le même maître à penser de la finance mondiale avait dit. Si l’on regarde la performance des indices depuis la publication du CPI de mardi après-midi, on peut largement se dire que l’on aurait eu meilleur temps de partir skier – dans l’hypothèse où il y aurait de la neige et que nous n’étions pas en plein réchauffement climatique.

Comment dire n’importe quoi et avoir l’air sérieux

Oui, vous l’aurez compris. Nous sommes exactement là où nous étions mardi à 14h30. On se prend la tête depuis mi-novembre parce que Powell il va faire ça, Powell il va faire ci et que Powell il va danser (référence subtile à Rabbi Jacob pour ceux qui étaient nés). Et après des semaines de tergiversations et du fait que je me sois levé tous les matins pour entretenir le suspense en croyant VRAIMENT qu’il se passerait un truc le 14 décembre, on se retrouve avec un type grisonnant en costard sombre – qui pourrait parfaitement bosser pour Goldman Sachs. Ou pire, pour le Crédit Suisse – qui vient nous dire qu’il ne sait rien, que personne ne sait rien d’ailleurs, mais qu’il doit quand même monter les taux de 0.5% et que l’année prochaine : ça sera pire.

Hier nous avons donc assisté au plus grand enfonçage de portes ouvertes de l’histoire de la finance. Le mec nous a dit à peu près tout ce que l’on savait déjà et s’est cassé en vacances en nous laissant mariner dans nos doutes. Les mêmes doutes dans lesquelles nous sommes depuis un mois, sauf que c’est pire parce que l’on va devoir trouver de quoi parler TOUT EN RESTANT crédible durant les six semaines à venir.

Concrètement – histoire que vous sachiez quand même de quoi on parle – la banque centrale américaine, par la voix de son maître, a décidé de monter les taux de 0.5%.

Chose que l’on savait déjà.

Ensuite, ils ont laissé entendre que les taux « terminaux » – en gros le taux d’intérêt au-dessus duquel ils n’iront pas, parce que ça coûterait trop cher de prendre une hypothèque pour leur maison de vacances sur une plage de Floride – ce taux devrait se trouver plutôt du côté des 5.25% que du côté des 4.75% ce qui laisse supposer que 2023 ne sera pas tout de suite l’année du plateau mais que ça pourrait monter encore.

Après, Powell a également laissé entendre que les taux pourraient rester élevés jusqu’en 2024. Ce qui, techniquement semble vachement loin pour attendre une baisse des taux et pour se dire que le bull market est de retour. Et pour terminer, il nous a laissé avec une avalanche de mots dont on ne sait pas trop quoi faire, mais dont on se serait bien passé.

Voici un florilège :

«Je ne pense pas que quelqu’un sache s’il y aura ou non une récession»

Il a clairement raison. Même si du coup, tout ceux qui ont se sont lâchés sur le sujet depuis deux semaines doivent avoir l’impression qu’on les prend pour des cons et le patron de la FED doit leur porter à peu près autant de considération que le commun des mortels en porte à un cours d’anglais donné par Guy Parmelin. Ensuite, Powell a déclaré qu’actuellement nous ne SOMMES PAS EN RÉCESSION, parce que :

« Nous avons toujours une croissance positive »

Deuxième citation qui laisse supposer que le concept de l’évidence et de l’enfonçage de portes ouvertes est totalement maîtrisé par le patron de la FED. À ce niveau, c’est carrément du niveau de champion du monde. Mais il ne s’est pas arrêté là dans les bons mots, puisqu’il a encore ajouté que :

« Nous sommes dans une croissance lente, en dessous de la tendance – sans pour autant basculer en récession, récession qu’il est impossible d’anticiper ».

En résumé, la FED a monté les taux de 0.5%, on s’y attendait. La FED ne sait pas s’il y aura une récession : nous non plus, même si les plus grands experts qui n’ont pas vu venir l’inflation le supposent. La FED dit qu’il y a encore de la croissance : on le savait au vu des chiffres économiques, à moins qu’ils aient été magouillés par les Qataris et la Commission Européenne. Et pour conclure, la FED pense que ce que l’on vit n’est pas terriblement dynamique, mais que pour l’instant, tant que l’on s’accroche aux débris du Titanic, on n’est pas encore complétement morts. Reste à ne pas faire comme Di Caprio et lâcher le morceau à la dernière minute. Vous avouerez que comme « nouvelles excitantes » on a connu mieux. D’ailleurs lorsque l’on prend le temps de lire les journaux ce matin, on se rend compte que les journalistes ont préféré privilégier le fait qu’il y a du verglas en Suisse que de parler de la FED.

En résumé

En résumé, je ne sais même pas comment j’ai réussi à écrire deux pages sur un sujet qui aura rempli les médias financiers depuis 6 semaines et qui se conclu par un « mais bon, on le savait ». La seule chose qui est à peu près nouvelle – mis à part la hausse des taux et le discours que j’aurais pu techniquement écrire moi-même hier matin, tellement il n’y a rien de nouveau – c’est que la FED pense que l’inflation va aller à 3.1% en 2023 – contre 2.8% auparavant et que la croissance de 2023 sera autour de 0.5% contre 1.2% auparavant.

On peut donc en conclure que la FED n’est pas non plus hyper-optimiste pour l’avenir, mais qu’en revanche, ils sont très précis sur le taux d’inflation pour des mecs qui n’avaient rien vu venir sur le sujet il y a encore un an. Non, parce que « l’inflation est transitoire et sous contrôle », c’était encore sur la table à Noël dernier. Et ce matin, ils sont capables de nous dire que DANS LES 12 MOIS ET DEUX SEMAINES À VENIR, quelque part par-là, le taux d’inflation va aller non pas à 2.8% mais à 3.1%. Si tout d’un coup, les gars arrivent à être aussi précis après avoir été aussi faux, moi, à leur place, j’irai jouer à l’Euromillions ou je parierais sur la victoire de Federer à Wimbledon l’an prochain. Bref, les marchés n’ont rien fait hier, ils ont rendu les plaques pour l’année et à moins de se trouver un sujet bien sexy comme le COVID en Chine ou une éventuelle faillite de Tesla d’ici au 31 décembre, je peine à voir ce qui va nous tenir éveillé.

Ce matin à l’Est, rien de nouveau

À l’heure où je vous écris ou à l’heure où je vous parle, le Japon recule de 0.35%, tout comme la Chine. Hong Kong baisse de 1.35% – parce qu’à Hong Kong on a tendance à tout amplifier parce que c’est plus drôle. La raison de la baisse est centrée sur le discours moyennement motivant de Powell et la crainte du COVID en Chine. Ce qui est – vous en conviendrez – être HYPER-ORIGINAL. Le pétrole est à 76.58$, en légère baisse à cause du COVID en Chine et du fait que la FED n’est pas monstre bullish. Ce qui, là aussi vous en conviendrez, est HYPER-ORIGINAL. Et puis l’or est à 1802$, pendant que le Bitcoin est à 17’700$ alors que SBF ne s’est pas encore évadé de prison et que le nouveau CEO de FTX se fait quand même 1’300$ de l’heure pour nettoyer le bordel laissé en place par le même SBF. Ce qui fait quand même super-cher la femme de ménage.

Dans les nouvelles du jour, je suis désolé, mais mis à part l’enfonçage de portes ouvertes de la FED, je vais être obligé de vous parler d’Elon Musk qui a ENCORE vendu pour 3.6 milliards de titres Tesla et qui continue de se faire des copains dans le milieu des actionnaires de Tesla. De son côté, il se veut rassurant en estimant que Twitter est « une bonne idée » et dans la foulée et pour démontrer que la liberté de parole, c’est important pour lui, il a fermé le compte du mec qui postait les déplacements de ses jets privés à lui. Comme quoi la liberté des uns s’arrête là où celle d’Elon Musk commence. Autrement, Goldman Sachs parle de couper les bonus de 40% cette année, ça ne va pas être simple pour les concessionnaires Ferrari ces prochains mois. Et puis il semblerait que la FED ait monté les taux de 0.5%, mais cela demande encore vérification.

Chiffres du jour

En ce qui concerne les chiffres du jour, il y aura le CPI en France, mais vu le résultat du match d’hier soir et le fait que la France va être championne du monde dimanche soir, je crois que tout le monde s’en fout. Sans compter que plus personne ne parle de boycotter la Coupe du Monde au Qatar. En tous cas pas en France. Il y aura aussi l’annonce de la décision de la BCE dont tout le monde se fiche cordialement – on attend quand même une hausse de 0.5% de la part de Madame Lagarde qui devrait largement s’inspirer des mots de Powell d’hier soir pour écrire son propre discours – à moins que ça soit carrément un copié/collé. Et puis, aux USA, il y aura les Jobless Claims, le Philly FED, le New York Empire State Manufacturing Index et la production industrielle. Autant de chiffres qui devraient nous permettre de spéculer sur la décision que prendra la FED lors de son prochain meeting du premier février 2023.

Pour le moment les futures sont presque inchangés et je suis tenté de vous souhaiter un très bon week-end, mais je me rends compte que nous ne sommes que jeudi et que demain, je vais devoir vous trouver une histoire à raconter. À propos d’histoire, si vous voulez voir comment tout est possible et tout peut arriver dans la vie, il y a un article sur la faillite de FTX dans le magazine Repères – le magazine de la chambre neuchâteloise du commerce et de l’industrie – et c’est moi qui parle dedans – moi qui parle sur les cryptos, c’est vous dire comme quoi tout est possible dans la vie…

Passez une excellente journée et je vous retrouve demain pour parler du FOMC Meeting de février, histoire de faire monter le suspense.

À demain.

Thomas Veillet
Investir.ch

« It is better to fail in originality than to succeed in imitation. » -Herman Melville