Le légendaire investisseur Benjamin Graham dont Warren Buffet s’est largement inspiré avait déclaré que pour réussir son job d’investisseur, cela exigeait "la patience d'attendre des opportunités qui peuvent être espacées de plusieurs années". Nous, aujourd’hui, en 2023, on a bien compris le concept. On a tout bien lu les explications de nos ancêtres et on fait tout correctement – la patience, tout ça – sauf que la différence entre avant, où l’on attendait plusieurs années pour trouver la bonne opportunité, et maintenant. C’est qu’aujourd’hui on la patience d’attendre jusqu’à 9 minutes et 45 secondes. Mais ça c’est pour ceux qui font du TRÈS LONG TERME.

L’Audio du 10 janvier 2023

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En haut, en bas, tu sais pas où tu vas

Ce n’est pas la première fois que je reviens sur le fait que nous avons la patience d’une portée de labradors quand c’est l’heure de manger et que notre vision à long terme se rapproche plus du « high freqency trading » que des visions calmes et posées de Warren Buffet. Mais force est de constater que depuis le début de l’année. C’est-à-dire ; depuis 10 jours. Nous avons tendance à confondre vitesse et précipitation. Alors que la majorité des experts en finance qui ont fait plein d’études pour essayer de prouver que, finalement, il y a bien une formule magique dans le monde de l’investissement et que « c’est possible de gagner à tous les coups », nous disent que la récession va nous tomber dessus et c’est presque aussi évident que le nez au milieu du visage si on n’a pas fait boxeur comme métier.

Le marché refuse de rater le nouveau bull market qui pourrait se dessiner si – par miracle – les bourses mondiales auraient déjà anticipé la récession en question. C’était d’ailleurs un peu le scénario qui avait boosté la séance de vendredi. Les « excellents chiffres de l’emploi » qui étaient bons sans être trop bons, parce qu’il y avait du mauvais dedans, ont donné le coup d’envoi, mais ensuite on pouvait lire que certains pensaient déjà que les bourses avaient anticipé le pire et que l’on était déjà en train de « pricer » le recovery POST-récession. Sauf qu’hier on s’est fait le voyage inverse et les belles convictions que l’on affichait en fin de semaine étaient pratiquement instantanément remises en question lorsque Madame Daly, membre de la FED, a déclaré au Wall Street Journal, que pour elle, il n’y avait AUCUN doute ; les taux iraient au-dessus de 5% cette année.

Changement de météo

Donc. Vendredi, les stratèges disaient que le pire était derrière nous. Et hier, d’autres stratèges disaient exactement le contraire. Les indices américains nous ont donc fait la même chose que vendredi, mais dans l’autre sens. Lorsque je parlais de patience – au début de cette chronique – vous avouerez que l’on ne vit plus dans le même monde que Benjamin Graham. Nous sommes donc revenus à la case départ. Nous nous retrouvons exactement là où nous étions le 3 janvier au matin, à nous poser des questions sur l’avenir. Mais surtout nous sommes revenus au même point où nous étions le 30 décembre à la clôture annuelle de Wall Street : en train de se poser des questions pour savoir si la récession sera un peu violente, pas beaucoup violente ou « à la folie » violente et qu’on va se faire déchirer d’ici la fin du trimestre.

Pour être franc, on n’en a strictement aucune idée et comme le marché à l’air de changer d’avis comme de chemise, il n’est pas évident de choisir une direction et de s’y tenir. Je crois que même si nous avons une peur panique de voir les bourses mondiales baisser de 22% de plus en 2023 – comme l’annonçait le stratège de JP Morgan hier – de l’autre côté nous sommes totalement terrorisés de rater un éventuel rallye de début d’année. Comme d’habitude, être long dans un marché qui baisse c’est pas facile, mais être short dans un marché monte, y a pas pire. La tension est donc palpable et nous sommes revenus là où nous étions en 2022, en train de nous poser les mêmes questions qu’en 2022, à attendre les mêmes choses que nous attendions en 2022 et à spéculer sur les mêmes histoires qu’en 2022. Rien n’a changé et la pause du nouvel an ne nous aura pas permis de trouver la lumière au bout du tunnel, j’en ai bien peur.

On ramasse les daubes de 2022 et on continue de se chauffer en Europe

La séance d’hier aura donc été marquée par un nouveau changement de direction majeur. Alors que tout semblait parti pour enquiller une nouvelle séance de hausse aux USA et que les traders étaient même en train de racheter les « sous-performeurs » de 2022 – AMD, Nvidia et Tesla – en se disant que sur un malentendu, ça pourrait rebondir, les paroles de la FED nous ont donc forcés à faire un demi-tour sur route. À la fin de la séance à New York, on pouvait donc constater qu’il y avait encore un peu d’intérêt dans le secteur de la technologies, puisque certains sont encore en train de se dire que l’on arrive en fin de cycle de hausse des taux et que le pire est derrière. Mais autrement le renversement de tendance intraday n’était que peu rassurant.

Pendant ce temps, l’Europe continue de refuser de baisser et les indices continuent d’afficher une résistance assez bluffante. Je ne sais pas ce qui va nous faire changer d’avis, mais dès que ça commencera à changer de sens, on risque de se précipiter en direction des sorties de secours à la vitesse de la lumière. Je dois dire que je peine à trouver les arguments qui justifieraient un mois de hausse, mais comme il ne faut jamais pisser contre le vent au risque d’avoir les chaussures mouillées, on ne va pas tenter le diable. En tous les cas, en lisant la presse de ce matin. Ou de cette nuit. Il est assez clair que le sentiment qui était exprimé vendredi soir n’est plus tout à fait le même. Hier matin à la même heure, les futures étaient en hausse et ce matin, les futures sont en baisse, laissant supposer que c’est un peu moins drôle que vendredi. Autant vous dire que le concept de la « patience » exprimé dans les citations de Graham n’est plus vraiment à l’ordre du jour. Je dois dire que l’on peut le comprendre, étant donné à la vitesse à laquelle circule l’information de nos jours. Mais cela reste tout de même assez effarant de voir comment nous avons cette capacité de tenir des discours pour les 8 prochains mois et de tourner la veste sur un chiffre ou une déclaration dans les secondes qui suivent. Tout ça pour revenir à la théorie de base dans 24 heures pour un autre chiffre ou une autre déclaration. Je me demande si je ne vais pas acheter du Berkshire Hathaway et me casser en vacances pour les neufs prochaines années…

Et on y retourne (en Asie)

Ce matin l’Asie ne fait pas grand-chose. Hong Kong est en baisse de 0.35% et la Chine monte de 0.4%. Au Japon, on parle de l’inflation et du CPI. CPI qui est sorti ce matin AU-DESSUS des attentes. Cela faisait 40 ans que l’on n’avait plus vu un CPI au-dessus des 4% au Japon et c’est chose faite. Le marché ne réagit pas pour l’instant, mais ça nous donnera des sujets de conversation pour le CPI américain qui sortira jeudi.

Du côté des matières premières, le pétrole est à 74.23$ et ne semble plus intéresser grand-monde depuis que les Chinois ont été lâchés dans les rues. L’or est à 1875$ et le Bitcoin, même si ça n’est pas une matière première, se traite à 17’200$. Comme hier matin. Du côté des cryptos, tout le monde s’interroge sur l’année qui nous attend et si l’on part du principe que l’on a de gros doutes sur l’avenir des bourses mondiales, c’est pire du côté des cryptos. Il y a toujours un ou deux prédicateurs qui ont des vues complètement délirantes, mais pour le moment, c’est très calme. On parle beaucoup du procès de SBF qui devrait avoir lieu en octobre, lui permettant de se luger au bord de la piscine pendant encore 10 mois aux frais de ses parents et du gouvernement et de ses clients. Pendant ses avocats se font mousser avec leurs CV et peuvent se vanter de s’être occupés de clients qui ne ressortiront jamais de prison mais qui ont fait beaucoup parler d’eux. Par contre, niveau investissement en crypto, il n’est pas facile d’y voir très clair en 2023 – surtout pour moi.

Balles neuves

Dans les nouvelles du jour, on notera que je n’ai pas encore trouvé une nouvelle intéressante sur Tesla, ni sur Musk et ça commence à m’inquiéter. En revanche, il faut retenir que Warren Buffet a vendu une partie de sa participation dans BYD encaissant un joli profit, même s’il détient toujours plus de 13% de la compagnie. Il y a aussi Lululemon qui s’est montré très prudent sur ses performances financières en 2023. Le fabricant de vêtements de yoga a plongé de 10% dans la foulée. Virgin Orbit, la boîte de Richard Branson qui est censée nous mettre sur orbite a vécu une sale journée hier. Après avoir tenté d’envoyer un de ses vaisseaux de promenade dans l’espace depuis le sol britannique, ils ont eu toutes les peines du monde à mettre l’appareil en orbite. Le titre a perdu 10% durant la séance et 24% de plus after close. Et encore c’est pas très clair où se trouve le vaisseau spatial actuellement. On ne sait même pas si le Prince Harry est à bord.

En ce qui concerne les prévisions de marché nous avons donc le stratège de JP Morgan – un des stratèges – qui pense que le marché va se planter de 22% en 2023. Ça aurait plus drôle de dire 23% en 2023, mais visiblement ça ne collait pas dans son spreadsheet excel. Et puis on reparle de l’inversion de la courbe des taux. Vous vous souvenez que ça fait des mois que le 2 ans US est inversé par rapport au 10 ans US. Que cet état de fait est un des signaux les plus « efficaces » pour prédire la récession. Sauf que là, on est passé à la vitesse supérieure, puisque l’écart entre le rendement du 10 ans et du 2 ans est au plus haut depuis 40 ans. Ceci étant encore plus fort comme indicateur, apparemment. Dans les bonnes nouvelles du jour, Jim Cramer recommande « de ne pas spéculer à la hausse sur le secteur technologique », étant donné son « track record », il faut pratiquement considérer ça comme un signal. d’achat. Et puis on notera encore qu’Apple devrait annoncer l’arrivée d’un casque de réalité virtuelle – on se réjouit de se couper encore un peu plus du monde réel – et dans la foulée, il faudra retenir qu’en 2022, Rolls Royce a vécu une de ses meilleures années en termes de ventes. Comme quoi les très riches n’ont pas trop ressenti la crise. Notons encore qu’en ce moment, il y a la plus grosse conférence « healthcare » de l’année qui a lieu à San Francisco. Traditionnellement, il se passe toujours des choses là-bas… Gardez le secteur à l’œil.

10 ans et 2 ans US – Source : Fed de Saint Louis

Chiffres économiques

Côté chiffres économiques il y aura la production industrielle en France et le patron de la banque centrale japonaise qui parlera. Mais pour être franc avec vous, tout le monde va attendre le discours de Powell. Le boss de la FED devrait parler depuis Stockholm et ça n’est pour parler du cours de la couronne suédoise. Autant vous dire que tout le monde va attendre impatiemment toute indication concernant sa stratégie de taux d’intérêt. On ne sait jamais au cas où il nous dirait quand il compte devenir dovish et à quelle heure exactement il va commencer à baisser les taux. Ça nous aiderait à mettre au point notre stratégie long terme pour les 8 prochaines minutes.

Pour le moment les futures sont en baisse d’un quart de pourcent et on se demande si la journée sera verte ou rouge. Ou est-ce qu’elle sera verte ET rouge. En attendant, il me reste à vous souhaiter une excellente journée et n’oubliez pas que Schaffner publiera ses chiffres du trimestre, tout comme Bed, Bath and Beyond qui est toujours au bord de la faillite, même si les vils spéculateurs de Wallstreetbets sont revenus dessus hier pour faire monter le titre de près de 30%. On est visiblement retombé dans nos vieux travers.

Que votre journée soit belle, que la force soit avec vous et que Powell soit dans notre camp. Reste à savoir quel camp on a choisi.

Allez, à demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

« Go confidently in the direction of your dreams! Live the life you’ve imagined. » -Henry David Thoreau