Je dois dire que je suis un fan inconditionnel des médias financiers. Sur le principe, j’en fait un peu partie, mais moi je ne me prends plus au sérieux depuis longtemps, parce que sinon je serais en dépression depuis longtemps aussi. En tous les cas, lorsque je vois les articles qui sont publiés depuis dimanche – dans la foulée des chiffres de l’emploi – et ceux qui résument la séance d’hier, je suis au bord du fou rire tellement on nous rejoue le même cirque chaque fois. La semaine dernière on était au bord de l’explosion et tous les journalistes du Wall Street, Barrons et de CNBC se sont fait tatouer des Bulls sur la poitrine et ce matin, ils veulent enlever les cornes pour faire un ours.

L’Audio du 7 février 2023

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Il aura fallu être patient

En tous les cas, il en aura fallu du temps pour comprendre que 517’000 emplois à la place de 187’000, ça faisait un poil trop pour la FED et qu’ils ne pouvaient décemment pas se laisser humilier de la sorte. Vendredi – encore – on n’en a pas fait trop cas. Mais hier, après avoir pris le temps de bien réfléchir et de faire deux-trois calculs sur nos bouliers de compétition, on s’est dit que ça ne pouvait quand même pas le faire et le risque que la FED le prenne personnellement était quand même un peu trop élevé.

Il faut se mettre à leur place. Les gars ça fait plus d’un an qu’ils montent les taux pour empêcher l’inflation d’aller trop haut et là, après un an de travail acharné à se prendre pour des faucons, les entreprises américaines engagent comme des malades et font tout pour faire remonter l’inflation par tous les moyens. Il faut tout de même avouer qu’il y a de quoi être énervé !!! Moi je serais Powell, je monterais directement les taux à 7% pour calmer tout le monde. Et puis ça tombe bien, parce que Powell, il va parler aujourd’hui et s’il est encore fâché des chiffres de vendredi, il va falloir attacher les ceintures.

Le doute à nouveau

En tous les cas, les marchés sont un peu moins fiers que la semaine dernière. Il faut dire que vendredi dernier, tous les Hedge Funds ont couvert leurs shorts, les institutionnels sont encore en train d’allumer des cierges dans la grande église de la 5ème Avenue en espérant que ça monte encore un peu pour liquider deux-trois positions et les petits investisseurs sont en train de s’exciter sur des Memes Stocks et pensent arrêter de travailler la semaine prochaine. Nous avons donc vécu une autre séance dans le rouge et c’est pas ce que l’on espérait voir sur les graphiques. Ayant passé un peu de temps sur Twitter, j’ai trouvé pas mal de techniciens qui avaient déjà calculé l’ampleur de la cassure haussière du S&P500 et qui plaçaient l’objectif à 4’500 très rapidement. Restait encore à trouver les acheteurs et à trouver le discours de vente pour faire avaler ça aux investisseurs. Et comme le loup de Wall Street n’était pas vraiment dispo, c’était pas simple. Alors on s’est concentré sur le rendement du 2 ans.

Le rendement du 2 ans, c’est le reflet de l’anticipation des FED FUNDS. Si vous voulez savoir où est-ce que les investisseurs voient les taux, regardez le rendement du 2 ans. Pour résumer, quand le rendement du 2 ans passe de 4% à 4.5% en l’espace de deux séances, ça veut dire que les « experts » s’attendent quand même à une réaction de la FED. Non, parce qu’après le meeting de mercredi dernier, je rappelle que les plus optimistes pariaient sur le fait que la Banque Centrale Américaine, allait monter encore UNE fois les taux à tout casser. Et encore, une fois de 0.25%, ce qui ressemblait plus à une stratégie homéopathique de la part de la FED. Surtout après ce qu’ils nous avaient fait vivre l’an dernier. Le problème, c’est que depuis vendredi, on est quand même vachement moins sûrs. Et puis quand vous avez Bostic, de la FED d’Atlanta qui prend le micro pour nous dire que les chiffres de vendredi montrent qu’il y a « encore du boulot » et que s’il le faut, « ILS » sont prêts à remonter les taux de 0.5% d’un coup, ça calme un peu les ardeurs.

Toutes les ardeurs ne sont pas calmées quand même

Alors ça ne calme pas TOUTES les ardeurs, parce que l’on a quand même eu droit à un délire propre en ordre dans le secteur de l’intelligence artificielle, secteur où ABSOLUMENT tout le monde est bullish et où tout le monde parie sur le fait que « CECI EST UNE RÉVOLUTION ET QUE TOUTES LES SOCIÉTÉS VONT FAIRE TELLEMENT DE POGNON AVEC CETTE THÉMATIQUE QUE L’ON PEUT ACHETER TOUT ET N’IMPORTE QUOI ET GAGNER À TOUS LES COUPS ». Un peu comme quand on a découvert internet et le e-commerce en l’an 1999 et que l’on avait encore des modems qui faisait « crouik-crouik-crouik et bip-bip » pour se connecter aux trois sites qui existaient. Mais cette fois, c’est différent il paraît. Ah oui, et puis si vous avez moins de 25 ans, le coup du modem qui fait « crouik-crouik-crouik et bip-bip », vous ne pouvez pas connaître.

Et puis, il y avait aussi Bed, Bath and Beyond. Et vu ce qui se passe sur ce truc, ça vaut quand même la peine d’y allouer deux lignes. Donc, hier Bed, Bath and Beyond a pris 100%. La raison est simple c’est de la manip optionnelle, un peu comme GameStop et AMC à l’époque. D’ailleurs les deux compères ont pris 10% en sympathie également. Rien à voir avec le secteur, impossible de comparer les trois sociétés, c’est simplement de la spéculation pure et simple. Bed, Bath and Beyond est au bord de la faillite, ils ont raté le remboursement d’une de leur échéance obligataire et l’on pourrait s’attendre à une mise en faillite d’une seconde à l’autre. Sauf qu’en manipulant les options et en baladant les traders options, on fait faire plus ou moins n’importe quoi au titre. Et c’est un peu comme le jeu de l’avion, ceux qui rentreront en dernier seront les premiers à se faire niquer. Oui, je sais, on ne peut pas dire « niquer », mais ça rimait. C’est pour ça.

Bon d’accord, ça sera plus que deux lignes parce que c’est trop drôle

Nous sommes bien d’accord ; Bed, Bath and Beyond, c’est de la daube. Le business model est mort et plus personne ne va acheter des accessoires de salle de bain dans un grand magasin de 8’000 mètres carrés. À moins que ça soit Ikea. Et encore, c’est parce qu’ils vendent des boulettes de rennes et des filets de perches pêchés dans les lacs radioactifs de la banlieue de Tchernobyl. Pourtant, hier y a encore des investisseurs qui pensent que Bed, Bath and Beyond peut encore se « repenser », ils n’ont pas encore avancé l’idée de se lancer dans l’intelligence artificielle tout en développant une nouvelle cryptomonnaie, mais ça ne saurait tarder.

Du coup, dans la foulée, ça a donné des idées au management. Le même management qui avait annoncé que « c’était mort et que noir, c’est noir et qu’il n’y a plus d’espoir ». Hier soir, Bed, Bath and Beyond a déclaré qu’ils voulaient lever 1 milliard avec une augmentation de capital. Laissez-moi donc résumer la chose : Le business model ne fonctionne plus, la société est endettée jusqu’au cou et ils ne remboursent pas leurs dettes, mais ils vont demander à des gens de leur DONNER 1 milliard pour rallumer le sapin et sauver la société afin qu’elle puisse faire quoi ??? Vendre des savonnettes sur internet ? Imprimer des tapis de bain en 3D géré par l’intelligence artificielle ??? Non, moi ce que je trouve chouette dans la finance, c’est qu’il a tout le temps quelqu’un qui essaie de nous prendre pour des cons. Et le quelqu’un en question aurait tort de s’en priver, puisqu’on adore ça visiblement.

Bref..

Bref, hier on a baissé partout parce que la FED pourrait ne pas se laisser faire, que l’inflation fait encore un peu peur si elle baissait moins vite et que la récession n’est pas encore complètement hors de question et c’est pas l’hypothétique miracle Bed, Bath and Beyond qui va changer la décision de Powell. Vivement tout à l’heure.

En Asie

Ce matin l’Asie ne fait pas grand-chose. On sent qu’on est en pleine réflexion. Aura-t-on l’énergie et la motivation nécessaire pour relancer le rallye en cours pour aller chercher les records et mettre la pâtée aux Bearishs ou est-ce que Powell va siffler la fin de la partie avec deux ou trois punchlines bien senties ? Pour le moment, le Japon ne fait rien, la Chine monte de 0.3% et Hong Kong récupère péniblement 0.8%. Par contre, si vous vous demandez si le thème de l’intelligence artificielle devient « vraiment » populaire, notez que cette nuit Baidu a annoncé qu’ils vont développer un « chatbot » qui fonctionnera à l’intelligence artificielle. Ça ne rapporte rien, ça ne change pas la performance de la société dans l’immédiat, mais le titre prenait 16% sur l’annonce. Dommage qu’investir.ch ne soit pas côté en bourse, sinon avec un bon communiqué de presse, j’aurais pu prendre ma retraite.

Du côté du baril, ça remontait un peu. Comme à chaque fois que ça remonte, on se dit que c’est à cause de la Chine qui va reconsommer et aussi à cause du terrible tremblement de terre en Turquie qui pourrait également poser quelques problèmes d’approvisionnement. L’Arabie Saoudite a d’ailleurs monté ses prix. Du côté de l’or, ça ne va toujours pas très fort. Le métal jaune se traite à 1886$, il semblerait que le 2 ans US qui frise les 4.5% lui fasse un peu concurrence actuellement, en termes de « sécurité ». Bien qu’en ce moment, il faut être courageux pour prêter de l’argent au gouvernement américain. Pendant ce temps, le Bitcoin est à 22’800$ et l’Ether à 1’633$.

Nouvelles du jour et retour des ours par troupeaux

Dans les nouvelles du jour, il faut tout d’abord signaler que nous sommes dans une chasse aux take-overs ce matin. Il y a la société Public Storage qui tente une nouvelle fois de racheter Life Storage pour 11 milliards, soit une prime de 20%. Et il y a aussi Newmont qui tente de racheter Newcrest en Australie. La prime est de plus de 10%, mais les experts s’attendent déjà à une contre-offre qui pourrait venir de la part du Canadien Barrick Gold. L’affaire n’est pas encore dans le sac pour Newmont. Dans un autre secteur, il faudra retenir que Binance a annoncé qu’ils suspendaient les retraits en dollars US qui partent à l’étranger. Pas de raison spécifiques annoncée, mais pas forcément le genre de nouvelle que l’on aime entendre.

Autrement, ce qui est le plus frappant dans les nouvelles du jour, c’est le nombre de Bears qui viennent soudainement de débarquer dans les médias. DEUX JOURS de baisse et ils sont TOUS LÀ. Sauf Roubini, mais lui il est toujours en retard et là il doit encore être en boîte à l’heure qu’il est. Mais par contre pour le reste, c’est que du bonheur pour les adeptes de Winnie l’Ourson.

En premier lieu, il y a David Rosenberg qui appelle à la plus grande prudence en disant que le rallye, c’est fini et que l’on vise les 30% de baisse et pas de rebond avant 2024. Puis il y a Mike Wilson de chez Morgan Stanley qui annonce l’arrivée de la nouvelle vague baissière parce que les profits des sociétés sont en chute libre et que l’on se raccroche à des fantasmes irréalisables. Et il n’est pas le seul chez Morgan alors que plusieurs de ses collègues annoncent que la récession peut et va encore ravager le marché. Il y a aussi Jeremy Siegel, le professeur de la Wharton School qui passe plus de temps à la télé que dans les salles de classes qui pense que les chiffres de vendredi sont une mauvaise nouvelle pour les actions et que cela peut mener à la récession cette année. Et puis il y a encore David Kostin de chez Goldman Sachs qui annonce que le rallye va s’écrouler, que c’est utopiste de croire que cela peut continuer et qu’il n’attend rien des actions cette année, son objectif est de 3’150 sur le S&P. Et puis pour terminer dans la joie et la bonne humeur en ce qui concerne le futur de l’investissement, le CEO de Bank of America, Brian Moynihan, pense que les USA vont faire défaut et que cela pourrait avoir des conséquences catastrophiques. Si les USA font défaut, ça voudrait dire que l’histoire du plafond de la dette n’aura pas fonctionné cette fois et si les USA font défaut… Euh.. Je préfère ne pas y penser. Bref, tout ça pour dire que quand TOUT LE MONDE est négatif comme ça, en même temps, je peine à croire qu’ils puissent tous avoir raison EN MÊME temps, parce que comme disait l’autre : « When it’s obvious, it’s obviously wrong ».

Et puis si jamais vous ne savez pas quoi faire ce soir, il y aura le discours de l’état de l’Union fait par Joe Biden lui-même. Enfin, s’il ne s’endort pas sur le pupitre. En revanche, s’il lit bien toutes les lignes de son discours, il devrait annoncer des taxes pour les milliardaires et des super-taxes pour décourager les rachats d’actions pour les sociétés. Joe Biden qui fait du bruit sur Twitter depuis une semaine pour dire qu’il est le meilleur des Présidents depuis Christophe Colomb. Économiquement les USA seraient le paradis, sauf que 41% des Américains pensent que c’est pire depuis qu’il est là. Enfin, pour autant qu’il soit vraiment là. Lui qui pense aux élections de 2024… Pauvre Amérique.

Chiffres du jour

Pour les chiffres du jour, nous aurons le chômage en Suisse, la production industrielle en Allemagne, le Trade Balance en France et aux USA, le Redbook et le Consumer Credit. À 18h40 heure de Bevaix, il y aura Jerome Powell qui parlera. Et ça, ça sera rigolo. J’aurais au moins des trucs à dire demain !

Pour le moment les futures sont en hausse de 0.13%, ça sent le rebond de folie ! Passez une très belle journée et on se revoit demain à la même heure !

Thomas Veillet
Investir.ch

“Quand on parle pognon, à partir d’un certain chiffre, tout le monde écoute.”

Michel Audiard