Si l’on prend le temps de lire la presse spécialisée dans la finance – pour autant que cela existe encore – on se rendra rapidement compte que de plus en plus « d’experts renommés » - ce qui ne veut pas dire grand-chose non plus – sont de plus en plus méfiants au sujet des chiffres de l’inflation qui vont sortir dans quelques heures. On peut également lire régulièrement les témoignages de membres de la FED qui estiment que « le combat contre l’inflation n’est pas terminé ». Pourtant, hier alors qu’il n’y avait pratiquement aucune info qui laisserait à penser que l’inflation allait baisser, on s’est envolé, tout est monté. Comme si on connaissait déjà les chiffres de tout à l’heure…

L’Audio du 14 février 2023

Télécharger le podcast

Mieux informés ? Ou plus visionnaire ?

Loin de moi l’idée que dans ce monde merveilleux (et pas que celui de la finance cette fois), il y a des gens qui sont mieux informés que d’autres. Loin de moi l’idée de dire que nous sommes tous égaux, mais qu’il y en a qui sont plus égaux que les autres et donc, mieux informés. Ça ferait un peu complotiste. Et pourtant, quand je vois ce que je vois hier, quand je vois comment le marché est serein dans ce cycle haussier alors que nous ne sommes qu’à quelques heures de la publication des chiffres du CPI qui ont LARGEMENT la capacité de nous envoyer à la cave pour de bon, je me demande s’il n’y a quand même pas des gens qui sont mieux informés que le commun des mortels. Des gens qui auraient déjà vu les chiffres du CPI et qui savent que « ça va être une bonne nouvelle ».

Sinon, quel intérêt à prendre des risques à 24 heures d’une échéance SI IMPORTANTE si l’on en croit les médias ??? Alors soit, les volumes étaient tellement ridicules hier que même avec le compte épargne de mon Golden Retriever, j’aurais pu faire monter le marché, mais quand même. J’avoue que je peine à comprendre cet enthousiasme haussier de début de semaine alors que la plupart des articles que l’on peut lire actuellement, émettent des doutes sur l’effective victoire des banques centrales contre l’inflation. Que ce soit en Europe ou aux USA, on entend de partout que rien n’est gagné et hier encore, plusieurs membres de la FED exprimaient le fait que les FED FUNDS allaient aller au-dessus des 5% d’ici la fin de l’année et que même si – comme Powell l’a dit – le processus de désinflation est entamé, il y a encore du pain sur la planche. Rappelons tout de même au passage, que l’objectif de la FED se situe entre 2 et 3%, et que les attentes pour le chiffre cette après-midi devrait se situer autour des 6.2%. SELON LES ATTENTES (bon, en même temps, on a vu comment ça marchait bien « les attentes » récemment).

La hausse toujours la hausse et voir très loin

Encore ce matin, sans forcer je suis tombé sur deux articles qui remettent en cause le calcul de l’inflation. Le fait que l’on ne se rend pas compte de ce que ça « coûte » vraiment. Que le panier utilisé ne représente pas la réalité. Le marché peut croire tout ce qu’il veut, mais pour le moment la réalité du consommateur n’est pas tout à fait la même. Le « soulagement » d’un retour à la normale n’est pas encore à l’ordre du jour pour « Main Street », même si Wall Street a déjà un coup d’avance et « anticipe » déjà l’avenir avec sérénité et confiance. Tout d’un coup, alors que le marché avait une vision d’investissement à 12 minutes et 48 secondes il y a encore deux mois, voici que soudainement, on se prend tous pour Warren Buffet et que l’on est prêt à conserver une action toute une vie.

Mais peu importe mes sentiments négatifs, ça n’est pas moi qui vais faire changer le marché d’avis. Que ce soit la réalité ou pas, on dirait que les bourses mondiales sont déjà en train d’anticiper une bonne surprise cette après-midi. Alors est-ce que l’on est mieux informés que les autres ou est-ce que l’on est en train de jouer la performance de janvier sur un coup de poker, je dois avouer que je n’en ai aucune idée. Cependant, hier, lorsque je vois que le département du Travail a révisé à la hausse les chiffres sur l’évolution de l’inflation depuis l’été dernier, je dois dire que je m’interroge sur la validité de la hausse d’hier. Hors alimentation et énergie, la variation annuelle sur trois mois a atteint 4,3% en décembre, contre 3,1% annoncé le 12 janvier. D’un mois sur l’autre, on constate que, finalement, l’inflation a augmenté de 0,1% et non baissé de 0,1%.

On nous aurait menti à l’insu de notre plein gré ???

Alors vous je ne sais pas. Mais quand je relis la dernière phrase du dernier paragraphe qui dis que la variation annuelle sur trois mois a atteint 4,3% en décembre, contre 3,1% annoncé le 12 janvier et que d’un mois sur l’autre, on constate que, finalement, l’inflation a augmenté de 0,1% et non baissé de 0,1%, j’ai un tout petit peu l’impression que l’on nous prend pour des cons. Soit les gars au département du travail américain, ils ne savent pas utiliser EXCEL et qu’ils n’ont pas compris qu’il faut aligner les chiffres dans la même colonne pour pouvoir les additionner et pas les mettre au hasard sur le spreadsheet. Soit, ces chiffres ne veulent rien dire et que si celui de janvier est à côté de la plaque depuis un mois et que depuis un mois on prend des décisions d’investissement sur un chiffres bidon. Celui de tout à l’heure aura à peu près autant d’intérêt pour la performance des marchés que les données de reproduction des rennes transgenres en Laponie pendant la période de livraison des cadeaux de Noël !!!!

Et puis ça n’est pas tout. On est en train de se rendre compte que les chiffres de l’inflation sont bidons – pour ne pas dire « bidonnés » – que la réalité n’est peut-être pas la même qu’une certaine « fiction économique » que l’on veut bien nous vendre. Mais surtout, on peut commencer à se demander s’il est réellement possible que l’on baisse de 0.5% d’inflation tous les mois, comme un métronome. Non, parce que pour l’instant, c’est plutôt sur ça que les marchés parient. Mais si la baisse lente et régulière marquait le pas ? Si soudainement le CPI remontait de 0.5% pendant deux mois de suite ? Comment réagirait le marché ? Pour cela il faudrait que les mecs du département du travail comprennent que 2+2 font quatre, ça n’est donc pas pour tout de suite. Mais imaginons que le plan qui doit se dérouler sans accroc selon Wall Street, se déroule dans le monde réel de « Main Street », il se passerait quoi ?

Bref, hier on est monté

Vous l’aurez compris, je me pose des questions. Nous aurons peut-être quelques réponses cette après-midi, mais objectivement, j’en doute. Nous aurons probablement les réponses que l’on veut bien entendre et basta. Mais on n’a pas fini d’en parler et je pense qu’il faudrait sérieusement que l’on se lance dans une psychothérapie en profondeur. Toujours est-il qu’hier on est monté. Les intervenants sont toujours très friands de technologie, puisque l’on se raccroche toujours au fait que « dans un an, les taux vont baisser » et que quand les taux baissent, c’est bon pour la tech. Il y a aussi un autre secteur qui cartonne, c’est le secteur de la défense. Surtout depuis que les Américains jouent au tire-pipes dans l’espace et que les Objets Volants Non Identifiés tombent comme des mouches et que les généraux à la retraite qui se sont improvisés consultants, n’hésitent plus à poser le mot « extra-terrestres » sur les plateaux télé. Il paraîtrait même que Mulder et Scully aurait été rappelés de leur retraite. En tous les cas, quand on voit le comportement du secteur de l’armement ces derniers jours, il est fort intéressant de constater que toutes les bonnes paroles liées à la thématique de l’investissement responsable qui mettaient à ban le secteur de la « défense » se sont faites extrêmement silencieuses.

Bref, hier on est monté en attendant les chiffres de l’inflation qui devraient forcément être en notre faveur, parce que si l’on prend du recul et que l’on regarde ce qui se passe sur la planète, on ne peut pas OBJECTIVEMENT se plaindre, tout est tellement parfait. Et dans ce monde parfait dans lequel nous vivons, à la fin c’est toujours les Bulls qui gagnent et les gentils banquiers centraux finiront toujours par mettre la pâtée à l’inflation, il suffit d’être une investisseur très très long terme et on s’en sortira toujours. Enfin, je crois.

Le reste des nouvelles du monde

Ce matin l’Asie ne fait pas grand-chose alors que là-bas aussi, ils attendent 14h30, sauf qu’ils savent qu’ils seront déjà à la maison et qu’il n’y aura plus rien à faire d’autre que de subir les chiffres du CPI. La Chine ne fait rien et prie pour que les Américains ne découvrent pas que c’est eux derrière les OVNIS. Hong-Kong est péniblement en hausse de 0.2% et le Japon grimpe de 0.66%. Le pétrole est toujours autour des 79$ et des poussières et ça n’est toujours pas inflationniste. Les Russes ont réduit leur production de pétrole en « représailles » aux sanctions. Sanctions qui ont fait plus de mal aux sanctionneurs qu’aux Russes et les Américains auraient recommencé à vendre du pétrole de leur réserve stratégique. L’or est à 1868$ et le Bitcoin est dans le coma à 21’700$.

Autrement, en attendant le CPI, on notera que la saison des chiffres trimestriels qui touche à sa fin aura été la pire depuis 24 ans et que, si l’on en croit les analystes, ça sera pire le trimestre prochain alors que tout le monde continue de réviser les attentes à la baisse. On notera que la thématique des licenciements fonctionne à plein régime actuellement. Durant une période on n’aimait pas trop acheter une société qui licenciait, parce que ça faisait un peu trop « capitaliste sans cœur » et que ça pouvait être mal interprété par la presse. Actuellement, on en n’a plus rien à foutre et on part du principe qu’une boîte qui licencie, elle baisse ses coûts et c’est vraiment trop cool pour les actionnaires. On a encore pu le constater hier, avec META qui prenait 3% suite à des rumeurs d’un nouveau round de licenciements. Il y a aussi Madame Brainard, numéro deux de la FED qui devrait être nommée comme conseillère économique au Président pas plus tard que cette semaine.

Mais encore

Du côté des chiffres du trimestre, Palantir a annoncé son premier trimestre profitable et c’était pas forcément dans les attentes. Le titre prenait 16% after close. Amazon veut augmenter son réseau de magasins « physiques ». Et puis David Rosenberg, bearish devant l’éternel, a publié un tweet intéressant qui dit :

“Les demandes de permis de constuire sur trois mois sont en baisse de -46.6%; Les constructions de nouvelles maisons sont en baisse de -20.8%; Les exportations reculent de 11.2%; La construction est en baisse de -7%; Les ventes de détails sont à -6%; les dépenses de consommations reculent de 0.3%, est-ce que vous voyez des choses positives ??? »

La réponse est : non. Pour ceux qui ont un doute et l’évidence, c’est qu’une fois qu’on aura une vraie vision de l’inflation, il faudra parler de la récession. Mais en attendant, il va falloir interpréter les chiffres de 14h30 et rien que pour ça, je suis impatient. En dehors de l’inflation US qui sera clairement la priorité de tout le monde, il y aura les chiffres de l’emploi en France et en Europe, ainsi que le PIB en Europe. Pour le moment les futures ne font rien et on attend. Tic-tac-tic-tac… Dites-vous bien qu’encore une fois, et c’est 234ème depuis que je fais de la finance ; après le chiffre de cette après-midi, plus rien ne sera jamais pareil. Personnellement, je parierai sur un 6.7% à la place de 6.2% attendu. Et si jamais j’ai tort, c’est pas grave, il corrigeront le chiffre dans un mois et j’aurais une seconde chance au grattage.

Passez une belle journée sous le signe de l’inflation et on se voit demain pour parler récession. Que l’US Air Force soit avec vous.

Thomas Veillet
Investir.ch

“Les salariés sont les êtres les plus vulnérables du monde capitaliste : ce sont des chômeurs en puissance.”

Michel Audiard