Nous vivons vraiment une époque formidable. La journée d’hier, placée sous le signe du CPI et uniquement du CPI aura été tout simplement extraordinaire. On est en train de se rendre compte que si l’on répète que tout va bien en se mettant les mains sur les oreilles et en fermant les yeux, eh bien rien ne peut nous arriver. Hier encore le monde merveilleux de la finance nous a démontré qu’il suffit de se concentrer sur les choses qui « vont bien » pour oublier celles qui ne vont pas et qu’à la fin, le marché, il ne baissera pas. En fait, le concept du verre à moitié plein n’a jamais aussi bien fonctionné à Wall Street.

L’Audio du 15 février 2023

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L’inflation baisse, mais…

Hier on a donc bien compris que l’on peut te dire que la FED n’arrêtera pas de monter les taux et que ça sera plus compliqué que prévu d’atteindre les 2% d’inflation, ça n’aura pas d’importance parce que « l’inflation » a quand même baissé – comme prévu. On attendait donc un CPI à 6.2% mais il est sorti à 6.4%. Dans un premier temps, on a eu peur. Parce qu’effectivement, ça baissait moins que prévu et que ça nous cassait un peu le rythme que l’on avait prévu pour l’objectif annuel de 3% en décembre. Mais restons calme ! Il n’y a point de raison de paniquer bonnes gens ! La bonne nouvelle d’hier, c’est quand même que l’inflation baisse et que donc le processus de désinflation est toujours en cours, comme disait Powell.

Ah ok, alors on attendait 6.2%, c’est sorti à 6.4%, mais c’est pas grave parce que moins pire que le mois dernier quand même et que donc, du coup, c’est super-bien !!! Je dois dire que la publication des chiffres d’hier me laisse pensif. En effet, la bonne nouvelle c’est que ça baisse quand même. La moins bonne nouvelle c’est que l’on a quand même l’impression que ce qui baisse arrange surtout Wall Street et par forcément « Main Street ». Alors je sais bien que l’on se fout totalement du fait que certains postes de l’inflation restent un IMMENSE problème pour le commun des mortels, comme les loyers, qui « devraient baisser plus tard dans l’année » mais qui pour le moment coûtent un bras aux locataires. D’ailleurs ce n’est pas grave, puisqu’il n’y a qu’à fabriquer un indice de l’inflation qui ne tient pas compte de ce qui monte ou qui ne baisse pas et d’y mettre uniquement les trucs qui baissent !

Mais je dois dire que sur les chiffres d’hier, on a quand même bien recherché ce qui rendait la mariée plus belle pour faire plaisir à Wall Street, et l’on a soigneusement « oublié » ce qui ne va pas et qui continue de poser problème à Main Street. Comme ça, à la fin, on peut se passer la pommade dans le dos en se disant que TOUT VA BIEN et que si on le répète 212 fois dans la journée, on devrait finir pas y croire.

L’avantage de recalculer les choses

Alors je ne veux pas devenir bearish, ni mettre en doute tous les chiffres macros qui sortent. Mais disons que depuis quelques temps, on peut quand même se rendre compte que quand un chiffre ne plaît pas, on invente une nouvelle manière de le calculer pour rendre la mariée un peu plus belle. Le PIB semble se diriger vers une récession ? Pas grave, on va trouver une nouvelle formule et intégrer des nouveaux trucs dedans, comme ça on noiera le poisson et les gens n’y verront que du feu. L’inflation ne baisse pas assez ? Voir même monte un petit peu ? Pas grave, on va changer la formule de calcul et intégrer des nouveaux trucs dedans, comme ça ils y verront que du feu et à la fin on pourra dire que le plan se déroule sans accroc.

Je dois dire que lors de la publication des chiffres d’hier, le marché m’a bluffé. Il a démontré une capacité à ne voir QUE ce qui l’intéressait et à faire abstraction du reste qui restera probablement dans les annales. Le point positif d’hier, c’est que le CPI est plus bas que le mois dernier. Point. Le reste, on peut se poser des questions. Mais comme on n’aime pas se poser des questions qui dérangent, on a fait abstraction du reste. Même les autres indications données par le marché lui-même n’ont pas été notée par les intervenants qui se sont concentrés sur ce chiffre qui était au-dessus des attentes, mais qui était QUAND MÊME EN BAISSE SUR UN MOIS et ça, c’était vraiment trop cool !!!

En résumé

Donc, si l’on décortique ce que l’on a vu hier, on se rend compte qu’il y a plusieurs postes du CPI qui ne baissent pas, mais qu’on a préféré les mettre de côté, comme ça ils ne dérangent pas. On peut observer que le niveau de « greed » – d’avidité – du marché est toujours au top de sa forme et que les dernières fois que nous sommes allés à ce niveau, ça s’est plutôt mal terminé. On constate que le rendement du 2 ans américain est en train de casser à la hausse, que celui du 6 mois est passé au-dessus des 5% et que ça fait depuis 2007 que ça n’était pas arrivé (vous vous souvenez ce qui s’est passé APRÈS 2007 ou pas ???) et pour terminer l’inversion de la courbe entre le 10 ans et le 2 ans est tellement inversée que ça donne le mal des profondeurs.

Et tout cela, c’est sans compter le fait que le dernier sondage de Bank of America indique que les investisseurs ne sont pas à l’aise et pensent que l’on est trop monté. Que les mecs de la FED qui ont parlé hier, anticipent des FED FUNDS à 5.3% d’ici cet été et que le marché n’a pas encore intégré la chose. Que la plupart des banques d’affaires tirent la sonnette d’alarme sur le risque de « sell-off » et que, pour la première fois depuis longtemps, les bénéfices des sociétés rapportent autant que le rendement des obligations. En gros, t’as le même rendement pour beaucoup moins de risque. Enfin, pour autant que « prêter au gouvernement américain » ne soit pas risqué. Ce qui reste encore à prouver, puisque le problème du plafond de la dette n’est pas réglé et que certains « gros pontes de la finance » pensent que l’on peut déjà envisager un défaut du gouvernement américain. Mais il est vrai que l’on n’a pas le temps de se concentrer là-dessus, parce que l’US Air Force est en train d’abattre tout ce qui passe dans leurs viseurs et qu’Elon Musk manipule Twitter pour être en tête des twittos de la planète et qu’il présente des MEMEs de dogecoin toutes les cinq minutes.

Bref, l’inflation elle a baissé

Et puis surtout, SURTOUT, l’inflation a quand même baissé, sur un mois. Ce qui a tout de même permis au Nasdaq de terminer en hausse, parce que la Tech c’est cool et que quand l’inflation sera à 2%, la FED va baisser les taux et que LÀ, ça sera vraiment bien pour la Tech. Sans compter que d’ici-là, Tesla – qui a pris 7.5% hier, parce que Soros en rachète et qu’Elon Musk est tellement cool avec ses Dogecoins et ses photos de lui avec Murdock au Superbowl Tesla essaie toujours de camoufler le fait que s’ils n’ouvrent pas leurs Superchargeurs à la concurrence, ils vont perdre les subventions gouvernementales. Mais on s’en fout parce que le Cybertruck arrive et qu’il y a plein de vidéo dessus sur Twitter et qu’ensuite, il y aura des robo-taxis Tesla partout dans le monde d’ici le mois d’août, c’est normal, c’est la saison. Comme chaque année.

Ce matin en Asie on a l’air d’avoir réfléchi un peu plus longtemps qu’à New York. Bon, en même temps, c’est une question de fuseaux horaires. À l’heure actuelle, Hong Kong est en plongée de 1.29%, la Chine recule de 0.32% et le Japon est en baisse de 0.44%. Tout comme les futures qui indiquent qu’avec un peu de recul, on n’est pas « monstre » à l’aise avec cette inflation qui a l’air de vouloir se comporter comme un sparadrap sur le Capitaine Haddock. Les intervenants pourraient être en train de réaliser que la tendance du CPI n’est pas un long fleuve tranquille et que ça pourrait être plus compliqué que prévu d’atteindre les 2% d’inflation. Pour le moment, nous sommes en phase de réflexion. Ça peut prendre encore peu de temps pour que l’on voit la lumière. Cette lumière que l’on pensait voir au bout du tunnel, qui pourrait finalement être un train qui arrive à grande vitesse.

Pour le reste

Du côté du pétrole on est à 78.30$ alors que tout le monde parle de libération des réserves stratégiques de Biden qui arrivent sur le marché. L’or se traite à 1856$ et le Bitcoin qui a sursauté lors de la publication du CPI et s’est souvenu un bref instant que certains de ses fans pensent qu’il est bon moyen de lutter contre le CPI. Le Bitcoin vaut 22’100$ actuellement. Autrement, comme nous en parlions hier, Madame Brainard, la numéro 2 de la FED s’en va et va rejoindre l’armada des conseillers de Joe Biden. Les experts en politiques estiment que c’est une décision qui va aider Madame Brainard pour sa carrière sur le long terme. Pour autant que Biden soit une personne sur laquelle on peut parier long terme. D’ailleurs, à l’heure où la France ne parle que de prendre sa retraite un peu plus tôt, il est intéressant de voir que l’on parle « long terme » à propos de Madame Brainard qui a 61 ans. En même temps, quand on voit que le gouvernement US qui a une moyenne d’âge supérieure aux cardinaux de Rome qui sont déjà eux-mêmes, pratiquement liquides, ça ne surprend plus personne. L’avantage c’est qu’ils oublient rapidement les conneries qu’ils disent.

On notera aussi que pour la première fois depuis un bon moment, on reparle de la guerre en Ukraine dans les médias financiers, puisque les Russes sont – semble-t-il – en train d’amasser des avions en grosse quantité à la frontière. C’est un peu comme l’an dernier « on était sûr qu’ils n’envahiraient jamais l’Ukraine ». Là c’est pareil, ils doivent être là pour un meeting aérien. Et puis au pire, comme Macron a donné la Légion d’honneur à Zelensky, il pourra toujours l’utiliser comme bouclier. On est presque certain que Zelensky aurait préféré échanger sa médaille en chocolat contre des Rafales. Il y a aussi Boeing qui a vendu des avions aux Indiens et AirBNB qui a sorti de bons chiffres et des perspectives assez sexy pour les mois à venir, alors que tout le monde pensait le contraire. Le titre avait pris 4% durant la séance et il reprenait encore 10% after close. Et puis, pour terminer, il semblerait que Kazuo Ueda devrait succéder à Monsieur Kuroda à la tête de la Banque du Japon.

Les chiffres du jour

Côté chiffres du jour, nous N’AURONS pas le CPI aujourd’hui, mais en revanche il y aura la production industrielle européenne et le trade balance. Et puis, aux USA ça sera nouvelles demandes d’hypothèques, ventes de détails, New York Empire State Manufacturing Index, production manufacturière et industrielle et pour terminer : les business inventories et les inventaires pétroliers. On espère tous que dans tout cela, on pourra trouver de quoi justifier une baisse de l’inflation dans les mois à venir. Du côté des trimestriels, il y aura Cisco, Glencore, Biogen, Roblox, Shopify, Heineken, Twilio et Zillow, entre autres.

Pour le moment les futures s’enfoncent dans le rouge et la crainte d’une inflation moins bien sous contrôle et pas transitoire du tout est en train de faire son chemin dans nos neurones. Heureusement, que l’on ne va pas y réfléchir trop longtemps pour éviter la surchauffe. Passez une excellente journée et on se retrouve demain matin, à la même heure et au même endroit pour voir si on tient encore la route du Bull Market.

À demain.

Thomas Veillet
Investir.ch

“L’Etat ne participe jamais aux catastrophes mais participe toujours aux bénéfices.”

Michel Audiard