Autant il y a des jours les marchés restent fixés et concentrés sur une seule et unique chose. Et sont incapables de parler ou de penser à autre chose, par exemple : « est-ce que la hausse du CDS de Deutsche Bank veut dire qu’ils vont finir en faillite ? ». Autant il y a des jours où l’on brasse tellement d’air dans tous les sens en essayant de jouer aux échecs avec 22 coups d’avance alors que l’on ne sait même pas la différence entre la tour et le fou, que ça en devient complètement désordonné. Du coup, les indices ne vont nulle part et les gens se posent des dizaines de questions. Dire qu’il suffirait d’une bonne faillite bancaire ou une bonne perquisition pour qu’on y voit plus clair.

L’Audio du 29 mars 2023

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Dans l’ordre

Lorsque je regarde tout ce qui s’est dit et ce qui s’est raconté ces dernières 24 heures, je me dis qu’il y a bien des chances que j’oublie la moitié des sujets importants. Alors on va essayer de prendre les choses dans l’ordre : tout d’abord il faut noter que si l’on regarde les performances des indices principaux à la clôture, la première analyse qui vient à l’esprit ; c’est que l’on a dû profondément s’emmerder. Mais en fait, pas du tout. Hier le DAX montait de 0.09%, le CAC de 0.14%, le Dow Jones baissait de 0.12%, le S&P500 de 0.16%, quant aux deux indices qui se démarquaient le plus, c’était le Nasdaq en reculant de 0.45% et qui était victime – selon les articles de presse – d’un gros « sell-off » (un gros sell-off avec une baisse de 0.45%, on nous l’a bien changé notre Nasdaq) et aussi le SMI qui EXPLOSAIT de 0.49%, emmené dans une sévère tourmente haussière par UBS, Swatch, Holcim et Novartis. Oui, j’utilise des mots qui donnent l’impression que c’était super-sexy et excitant, parce que c’est comme ça qu’on génère de l’intérêt dans les médias.

Donc ça n’était pas l’euphorie sur les indices, mais en revanche on a encore une fois pas mal abordé le sujet des banques, mais avec de nouveaux angles d’attaque différents. Des angles d’attaque qui ont eu des développements assez intéressants. Enfin, intéressants si l’on poursuit des études de psychiatrie sur les cas de schizophrénie boursière pathologique (non, ça n’existe pas comme terme, mais comme personne ne va vérifier, ça fait le mec qui a bossé toute la nuit pour analyser tout ça – alors qu’en fait je ne me suis levé qu’à trois heures).

Nous allons donc attaquer le sujet des banques sous les différents angles qui nous occupent actuellement :

1) L’angle de la fin de la crise : la première chose qu’il faut noter, c’est que l’on s’autorise à penser que LA CRISE DES BANQUES « pourrait » être terminée. La FED met en place tous les moyens possibles et imaginables pour que ça ne dégénère pas plus loin, nous avons l’interdiction d’aborder le sujet de la Deutsche Bank et le rachat du Crédit Suisse, ça n’était que du talent de la part de la triplette magique. Pendant ce temps, tous les gars qui sont responsables de la supervision des banques auprès de la FED sont venus témoigner devant le Congrès pour dire que c’était pas leur faute si c’est arrivé et que c’est tout de la faute des lois qui avaient été mises en place avant eux. On notera au passage que la FED a déclaré avoir déjà noté des mauvais fonctionnements de la SVB en 2021 – mais n’ont rien fait et tout le monde trouve ça normal. Bon, en même temps, on ne peut pas leur en vouloir ça ne fait que 2 ans, alors qu’en Suisse, ça fait 15 ans que c’est le Muppet Show au Crédit Suisse et que tout le monde se marre sans rien faire, ni rien dire.

2) L’angle de la fin de la crise et du retour éventuellement peut-être de la hausse des taux : du coup, comme LA CRISE DES BANQUES « pourrait » être terminée, les génies de la finance – qui ne perdent jamais une occasion d’anticiper et de voir très loin – ont déjà commencé à revenir sur la récente théorie de la baisse de l’inflation lié à la LA CRISE DES BANQUES. En effet, depuis 10 jours, pour justifier le fait que l’on ne se krache pas complètement sur les marchés alors que l’on panique sur le système bancaire, on a commencé à se dire que cette crise allait donc ralentir l’inflation et IN EXTENSO, empêcher la FED, la BCE, la BNS et la banque centrale du Kurdistan, de monter les taux encore plus haut. Ça c’était donc LA BONNE NOUVELLE au milieu de la perte de confiance TOTALE sur le secteur bancaire. SAUF QUE… Oui, sauf que si la LA CRISE DES BANQUES est finie… Du coup, l’inflation, elle peut continuer de monter. Ce qui fait que la FED, elle pourrait ne pas avoir fini de monter les taux. Autant vous dire que si nous en sommes-là, ceux qui pariaient sur la baisse des taux en 2023, ils vont pouvoir se l’accrocher derrière les oreilles. Il y a même BlackRock qui déclare ouvertement que les taux ne BAISSERONT PAS EN 2023. Et si c’est BlackRock qui le dit….

3) L’angle de la fin de la crise, du retour des taux qui montent et du « sell-off » sur la tech : alors qu’un petit groupe d’irréductibles analystes pensaient que les taux allaient éventuellement repartir à la hausse. Ou en tous les cas ; ne plus baisser. Il y des génies de l’anticipation qui se sont dit que : « si les taux restaient élevés, ça ne serait pas bon pour le secteur de la technologie ». Et ça tombait plutôt bien, parce que la tech ne fait que de monter depuis des mois, autant dire que c’était l’occasion de tirer dessus à boulets rouge et de signaler qu’Apple et Microsoft pourraient être TRÈS SENSBLES à la NON-baisse des taux en 2023. Ou comment la fin de LA CRISE DES BANQUES devient responsable de la baisse du Nasdaq hier.

4) L’angle des banques françaises qui ont bien choisi leur moment pour se faire perquisitionner par les flics : alors que l’ensemble de la population mondiale estime que l’on peut avoir des doutes sur le système bancaire et que l’on commence à trouver des tutos sur le net pour savoir comment enterrer son argent au fond du jardin, voici que les autorités françaises lancent une perquisition taille XXL dans les grandes banques de l’hexagone, leur reprochant d’avoir favorisé l’évasion fiscale sur les dividendes pour les clients étrangers – permettant (à l’œil) de soustraire entre 50 et 100 milliards au fisc français. Argent qui pourrait largement permettre de régler le problème des retraites ou d’offrir un nouveau coup de pouce à l’Ukraine ou d’empêcher la déforestation en Afrique centrale, en fonction de sous quel angle le Président de tous les Français veut se faire reluire. On ne va donc pas revenir sur la technique utilisée par la Société Générale, la BNP, le Crédit Agricole, HSBC et consort pour soutenir leurs clients étrangers, mais disons qu’au niveau du timing et de l’image, c’est encore un coup de maître du secteur bancaire. Manquerait plus que le CEO d’une banque quelque part annonce qu’il s’augmente lui-même son salaire de 400% parce qu’il a beaucoup bossé sur l’évasion fiscale cette année.

Que d’angles, que d’angles

Comme vous pouvez le constater, hier il y avait donc plusieurs façons de voir l’implication des banques dans le tissu économique financier et même si les marchés ne font pas grand-chose, on peut se dire que l’on n’a pas forcément fini d’en parler et puis que même, si l’on devait avoir fini d’en parler, on sait que l’on va revenir direct sur le sujet de l’inflation, des taux et des chiffres économiques qui laisseront supposer que les Banques Centrales vont devoir agir dans un sens qui ne nous plaît pas. Et pour être franc, je ne suis pas loin de souhaiter qu’on nous sorte autre chose sur les banques, parce que personnellement, j’en ai un peu marre de parler de l’inflation, des taux et du fait que Powell a mis une cravate jaune et que c’est mauvais signe.

Toujours est-il qu’hier les banques sont plus ou moins remontées, même si les doutes sont encore présents. Les rendements des bons du trésor aux States ont également pris l’ascenseur et du coup, la tech était sous pression. En fait, résumé comme ça, ça aurait largement suffit.

À l’Est, rien de nouveau

Ce matin en Asie, il ne se passe pas grand-chose. Le Nikkei ne fait rien et la Chine ne fait rien. En revanche, c’est à Hong Kong qu’il se passe quelque chose. L’indice prend 2% et tout ça parce qu’Alibaba a annoncé son spin-off multiple. En gros, la société de Jack Ma va s’auto-diviser en 6 divisions séparées : cloud intelligence, internet retail; mapping, transactions, logistique et médias digitaux. Du coup, comme disait Steve Jobs, ceci est une révolution et cette annonce a fait exploser le titre de 15%, d’où la contagion sur le Hang Seng. La nouvelle d’Alibaba a immédiatement donné des idées aux analystes qui en ont profité pour écrire plusieurs articles sur le fait que Google et Amazon devrait faire de même. Il y a même Christophe Blocher qui réclame que l’UBS fasse pareil, reste juste à trouver comment on va faire le spin-off de la division « spéculation et dérives de risques en tous genres », ce qui permettrait automatiquement d’y voir plus clair. Ça n’a rien à voir avec Alibaba, mais la transition était toute trouvée.

Autrement, le pétrole est à 73.66$, l’or est à 1986$ et le Bitcon vaut 27’400$. Dans le reste des nouvelles qui font bouger les marchés, on notera qu’AMC a pris 18% hier parce que des « rapports » confidentiels font état du fait que Jeff Bezos aurait demandé à ses conseillers financiers d’évaluer la possibilité d’un rachat de la chaîne de cinémas. Ce ne sont que rumeurs, conjectures et conditionnel un peu partout, mais sachant que sur AMC, le battement d’une aile de mouche sur un ordre de bourse peut faire monter le titre de 400%, autant vous dire que le battement de cil d’un Jeff Bezos a également son mot à dire. Il faudra aussi retenir que Sam Bankman-Fried vient d’être également inculpé de corruption de fonctionnaire – chinois les fonctionnaires, mais tout de même. Il y a aussi Lululemon qui a publié des chiffres pas terribles et nettement en baisse sur une année mais qui sont meilleurs que les attentes, le tout agrémenté de prévisions délirantes pour 2023. Le titre prenait 13% after close pour fêter ça !

Et le reste

Le ton est donné pour les trimestriels ; il faudra faire mieux que les attentes et dire que « tout va bien se passer » et tout se passera bien. Il y a aussi eu Micron qui a publié des chiffres immondes. Ils viennent de publier le pire trimestre de leur histoire, annonçant plus de 2 milliards de dollars de pertes en trois mois et leur plus mauvaise marge brute depuis l’effondrement de la bulle Internet. Mais le titre ne baisse pas, parce que l’ensemble des experts estiment que l’on a atteint le fond de la tasse et que plus rien ne peut leur arriver, si ce n’est remonter. Un peu comme quand on a vu que SVB n’allait pas bien en 2021. Ça ne pouvait pas être pire. Et puis, il y a aussi le fabricant de voitures électriques chinois BYD, qui a annoncé des chiffres canons hier. C’est encourageant pour le secteur et pour Tesla qui devrait donc aussi avoir fait un carton en Chine, à moins que les Chinois boycottent les Américains.

Et puis, hier il y a aussi eu des « grands noms » qui ont parlé. Tout d’abord il y a Monsieur El-Erian qui a déclaré que les conséquences de l’effondrement de SVB n’était pas encore terminée et que d’autres secousses interviendraient prochainement. Et merde. Ce qui voudrait dire que tout ce que j’ai écrit plus haut sur mes « angles d’attaque » ne fait plus aucun sens. Il y a aussi Jeffrey Gundlach, l’empereur du marché obligataire qui a répété que la récession nous pendait au nez et qu’elle allait arriver plus vite que prévu. Et pour terminer cette galerie de portraits, nous avons eu droit à une petite séance de coaching Made In Nouriel Roubini. Cette fois le prédicateur de fin du monde s’en est pris aux secteur des Cryptos. Le célèbre économiste a déclaré dans un tweet que l’industrie, qui pèse des milliers de milliards de dollars, est remplie de « manipulations constantes du marché » et constitue une « entreprise criminelle totale ». On voit qu’il a encore peaufiné sa capacité à se faire des amis. J’imagine que sa vie doit être un cauchemar, il n’y a rien de bien. Les marchés sont pourris et on va tous mourir, les cryptos c’est la mafia et on va tous mourir, la pizza elle est trop ronde, les pâtes y a trop de gluten dedans, les politiciens sont nuls, l’économie ne fonctionne plus et si ça se trouve demain, il va pleuvoir. C’est vite vu, le gars il est tellement jamais content qu’on dirait un Genevois (je suis né à Genève alors ne m’envoyez pas de mail d’insultes).

Chiffres du jour

On retiendra donc que « pour le moment » on se détend au niveau de la crise des banques -enfin, sauf en France où l’on cherche constamment de nouveaux moyens d’aider le client. Il faudra aussi retenir que la confiance du consommateur hier aux USA, montrait que Joe Americain était confiant mais qu’il avait peur pour le marché du travail. D’ailleurs ce matin nous aurons la confiance du consommateur en France, histoire de voir si le consommateur français PEUT aller consommer pendant les manifestations ou pas. Mais il y aura aussi le ZEW en Suisse, la BCE qui se réunira mais qui ne fera rien sur le taux et puis, aux USA nous aurons les pending homes sales – l’immobilier qui devient un vrai sujet, puisque ça va de moins en moins bien, mais que tout le monde s’en tape. Et puis nous aurons également les inventaires pétroliers.

Pour le moment, les futures sont en hausse de 0.3% et tout à l’air calme. En ce qui me concerne, il me reste à vous souhaiter une excellente journée et, si vous êtes d’accord, on se retrouve demain matin, ici même.

À demain.

Thomas Veillet
Investir.ch

« In politics stupidity is not a handicap. »

Napoleon Bonaparte