Depuis que je fais ce métier – c’est-à-dire (un peu) trop longtemps – je me répète régulièrement que j’aurais dû faire de plus longues études et obtenir une licence ou un degré quelconque en psychologie. Oui, parce que depuis que je fais ce métier, je croule sous les exemples qui démontrent que parfois (même souvent) il vaut mieux être un fin psychologue pour réussir capter la subtilité des décisions de marché, plutôt qu’un talentueux macro-économiste qui essaie d’anticiper le comportement d’un indice boursier en tenant compte d’une tripotée de chiffres économiques bidonnés. La séance d’hier soir était l’exemple parfait et si j’étais psy, j’aurais mieux compris toute cette subtilité.

L’Audio du 8 janvier 2025

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Quand c’est bon, des fois c’est trop bon

Et cette subtilité ne m’a explosé au visage seulement ce matin. Alors que si j’avais pris plus de temps pour écouter « le patient Wall Street », j’aurais pu – peut-être – mieux voir la chose. Mais commençons par le commencement. Commençons par l’Europe qui a ouvert en premier hier matin. En arrivant au bureau en ce mardi de janvier, l’ensemble des traders du Vieux Continent se sont sentis envahis par une vague de confiance. La tech était au top de sa forme, tout le monde voulait investir sur le Nasdaq, sur l’intelligence artificielle et certains étaient même prêts à vendre leur grand-mère – ou tout au moins les bijoux de la grand-mère pour pouvoir acheter du Nvidia. Nvidia qui avait d’ailleurs clôturé la séance de lundi au plus haut de tous les temps.

Les marchés européens ont donc commencé la séance avec une confiance presque inébranlable. On se disait que ça allait vraiment bien se passer en 2025 et en plus les premiers rapports sur le « Keynote » de Jensen Huang lors de l’ouverture du CES de Las Vegas était absolument dithyrambiques, certains n’hésitant pas à dire que Nvidia avait « trop choqué » le monde avec les nouveautés qu’ils avaient annoncé. Bon, en même temps, quand une personne de moins de 30 ans utilise la phrase « J’SUIS TROP CHOQUÉ », je ne suis pas certain que la signification soit la même que pour des personnes qui ont connu les machines à boule d’IBM. Toujours est-il que la confiance était là. Dans la foulée, nous avons eu droit aux chiffres de l’inflation française qui est FORMIDABLEMENT bien maitrisée pour un pays qui est géré par des clowns – quand ils ne sont pas occupés à gérer leurs procès au tribunal.

Trop forts

J’imagine que bien des politiciens français encore en poste ou qui ont été en poste ou qui seront en poste un jour, ont dû se gargariser de cette inflation « faible » tout en se caressant eux-mêmes la nuque pour se féliciter d’être aussi bon dans la gestion économique de l’Hexagone. Ils ont cependant clairement oublié que le coût de la vie en France a EXPLOSÉ (en majuscules), de plus de 20% ces 5 dernières années et que les salaires, eux, ont explosé (en minuscules), de plus de 0.20%. Pour les plus chanceux. Je pense même d’ailleurs que les seuls qui ont eu la chance de voir leurs revenus matcher l’augmentation du coût de la vie, doivent être députés à l’Assemblée Nationale ou être Bernard Arnault. Toujours est-il que la France était en confiance et progressait de 0.59%, pendant que l’Allemagne se rapprochait encore un peu plus des plus hauts de tous les temps alors que les intervenants étaient à la recherche de, je cite : « des bonnes affaires et de titres liés de près ou de loin à l’intelligence artificielle ».

Pendant ce temps, personne ne s’est inquiété de l’inflation européenne qui restait collée à 2.4%. Il faut dire que ça ne surprenait personne au vu des chiffres du CPI allemand publiés lundi. Et puis, pendant que nous nous bercions de cette douce euphorie que l’on aurait pu qualifié « d’estivale » s’il ne faisait pas aussi froid dehors, il y avait même certains qui se sentaient « rassurés » par la thématique des tarifs douaniers américains, puisque l’article du Washington Post de ces derniers jours rassurait tout le monde en déclarant que Trump ne serait pas aussi agressif que prévu. Bref, la journée fût belle en Europe et personne n’a pris une seconde pour revenir sur le fait que l’article du Post avait été démenti vigoureusement par le futur Président américain et que, pour lui, il avait tout à fait l’intention de déglinguer l’Europe propre en ordre dès son arrivée au pouvoir. Encore une fois, nous avons donc articulé notre journée en interprétant des faits et des chiffres comme ça nous arrangeait le mieux. Et comme depuis le premier janvier de l’an passé, le monde entier est bullish comme jamais il ne l’a été, on préfère quand même nettement ne pas regarder ce qui dérange.

Ça ne tient qu’à un fil

Et puis, comme c’est souvent le cas, les Européens sont rentrés à la maison et les Américains ont commencé à interpréter LEURS CHIFFRES À EUX. C’est à cet instant très précis que la séance a pris un virage à 180 degrés. Hier matin, je vous disais que les traders Américains attendaient la sortie des chiffres de l’ISM Non Manufacturier et des JOLTS. Alors – spoiler alerte – je ne vais pas vous mentir les chiffres étaient EXCELLENTS ! Bon. Peut-être pas « excellents » mais en tous les cas meilleurs que les attentes. Les « experts à Wall Street » attendaient 53.5 sur l’ISM et c’est sorti à 54.1. Et du côté des JOLTS, on attendait 7’770’000 offres d’emplois et c’est sorti pas loin de 8 millions 100.

La conclusion qui s’imposait était évidente : l’économie américaine est plus forte que jamais, la croissance est au mieux de sa forme et l’emploi est fort comme un bœuf – pour ne pas dire comme un BULL – et du coup, on hésitait presque à garder Biden à la Maison Blanche tellement il a transformé ce pays en miracle économique. À moins que ça soit juste à cause de Nvidia et de l’IA, cela reste à vérifier. Ces EXCELLENTS CHIFFRES économiques qui montraient qu’il n’y a aucun besoin de rendre l’Amérique GREAT AGAIN – parce qu’elle est déjà TELLEMENT formidable – ont permis au marché US d’ouvrir en hausse et même, d’aller réclamer encore une fois les 6’000 sur le S&P500. Cette ouverture en fanfare a d’ailleurs même permis à l’Europe de terminer sa belle séance avec un air de satisfaction assez impressionnant. Et puis, une fois que l’Europe fût fermée, les traders américains ont commencé à réfléchir.

Fine psychologie

Oui, parce qu’il faut le savoir : le trader américain réfléchit beaucoup mieux quand le trader européen est déjà rentré à la maison. Probablement que ça doit le libérer. Psychologiquement parlant. À moins que ça les amuse de profiter de l’absence des Européens pour leur savonner la planche pour le lendemain matin. Ça aussi ; ça reste à vérifier. Bref, une fois la réflexion enclenchée, les choses se sont passées de la façon suivante :

Imaginez que vous êtes dans le cerveau d’un gros trader américain – gros, au sens propre et au figuré – ça sera plus simple à comprendre :

– Tout d’abord le gars se dit : « whaou, l’économie elle est trop forte, ça va vraiment trop bien dans mon pays, ils sont trop forts nos politiciens et nos entrepreneurs !!! Je vais acheter un peu le marché ! »
– Ensuite, il réfléchit un peu et se dit : « Ah, mais attends, si l’économie est trop forte, ça risque de faire monter l’inflation, tous ces mecs qui vont trouver le job de leur rêve avec les annonces des JOLTS vont FORCÉMENT aller claquer leur fric n’importe comment pour acheter des trucs inutiles et de la bouffe trop saine, juste pour faire monter l’inflation !!! »…

À ce moment-là, pour bien prendre la mesure de sa réflexion profonde – et brillante – le trader en question fait une pause se lance en arrière contre le dossier de sa chaise et prend un morceau de donuts pour calmer son cerveau qui bouillonne.

– Puis il reprend sa puissante réflexion et se dit : « mais si tout le monde consomme parce que l’économie elle va trop bien, l’inflation elle ne va pas aller à 2% comme Powell il veut pour pouvoir baisser les taux ! »
– Et alors qu’il prend conscience qu’il y a un truc qui coince sont cerveau passe en mode « overdrive » et il aligne deux pensées à la suite en moins de temps qu’il ne faut pour commander un triple latte avec supplément caramel de 8’000 calories chez Starbucks, et il se dit : « Si l’inflation ne baisse pas, Powell il ne va PLUS baisser les taux ! Et si – pire que ça – l’inflation remonte, Powell il va devoir MONTER les taux !!! »

À cet instant, le rythme cardiaque du trader est à 187 pulsations minutes et son Apple Watch est en train de passer un coup de fil à son cardiologue. Et c’est alors qu’il regarde le rendement du 10 ans qui frise les 4.7% et Nvidia qui repasse dans le rouge.

Et tout s’emballa

Et c’est là, à l’heure où vous étiez en train de commander votre premier cocktail de la soirée dans les rues d’une quelconque capitale européenne, que le marché a commencé à se poser des questions. Effectivement l’économie est forte. Selon les chiffres d’hier. Et effectivement, la baisse des taux est remise en question. Pour le moment. Le rendement des bons du Trésor Américain est trop élevé et devient presque attirant pour les investisseurs qui voudraient plus de « tranquillité » et moins de stress. Et puis on s’est rendu compte que dans le Keynote de Nvidia, on a parlé de plein de bonnes choses, mais Huang n’a pas mentionné la puce qui va succéder à Blackwell. Y aurait-il un problème. Sans compter que Nvidia, c’est pas cadeau.

La suite vous la connaissez. Ou en tout cas vous voyez où je veux en venir. On a downgradé Tesla qui en plus se prend une enquête des autorités à cause d’un crash sous auto-pilote. On se rend compte que le déficit US est encore en train d’exploser un peu plus, que Zuckerberg va arrêter d’utiliser des « fact-checker » et que les réseaux sociaux seront de plus en plus livrés à eux-mêmes en mode « fête du slip à tous les étages » et tout le monde a appuyé sur le bouton SELL-SELL-SELL et SELL encore. Le Nasdaq a enregistré une baisse de 1.89%, mais surtout a battu son record de la plus grosse journée de trading avec un volume de 13’400 milliards de dollars, battant le précédent record obtenu en mai dernier qui était de 1’500 milliards de moins. Et pour couronner le tout, on parle de plus en plus d’un rendement du 10 ans à 5% dans les semaines à venir et plus PERSONNE n’attend la moindre baisse des taux aux USA avant Jackson Hole. Pour ceux qui ont oublié, Jackson Hole, c’est à la fin du mois d’août…

Nasdaq avec le volume record – Source : KobeissiLetter

Bref, hier l’Europe est montée, les Américains ont marché sur le savon dans la douche et aujourd’hui on va faire les comptes. Un dernier chiffre pour frimer ce soir à table : hier soir, le marché américain a effacé 625’000 milliards de market cap et les BATMMAAN se sont tous fait déglinguer sans exception. Comme quoi, sans eux, ça ne sera jamais simple.

Le soleil se lève à l’Est

Ce matin en Asie, le Nikkei est en légère baisse parce que le gouvernement a prévenu que si le yen continuait à montrer autant de faiblesse, ils interviendraient. Et puis en Chine, on parle toujours des titres qui sont mis sur la Blacklist américaine et Hong Kong est à nouveau en légère baisse pendant que Shanghai remonte très très légèrement de son côté. Le pétrole a repassé les 74$ et se traite à 74.86$ sur le WTI. On ne parle plus du froid aux USA, mais on se concentre sur des craintes concernant l’approvisionnement depuis la Russie et l’Iran et par la relative accalmie du dollar. Comme quoi qui il y a toujours une bonne raison. Mais attention aux résistances qui approchent, la moyenne mobile des 200 jours qui faisait office de résistance a cédé et le prochain barrage est à 76.25$. Même si on ne prend que deux dollars et que l’on ne casse rien, ça ne va pas aider l’inflation et on n’a pas besoin de ça aujourd’hui. L’or est à 2665$ et le Bitcoin ET l’ensemble des cryptos se sont fait taper sur le groin hier parce que – comme d’habitude, dès que le Nasdaq baisse, l’appétit au risque fond comme neige au soleil et quand y a plus de neige, on n’achète plus de cryptos. Ce matin le BTC est à 96’500$.

Dans les autres nouvelles, on parle de Moderna qui avance sur un vaccin contre la grippe aviaire et ça tombe bien, parce que c’est juste au même moment que les USA ont annoncé leur premier décès à cause de cette même grippe. Il n’est pas exclu que l’on vaccine en masse d’ici quelques mois, juste pour éviter que l’on chope une grippe qui vous donne envie de pondre des œufs et de picorer les miettes sur la table. Il faut aussi retenir que MoffettNathanson (oui, moins non plus je connais pas), a downgradé Apple de NEUTRE à SELL et fixé un objectif de prix de 188 dollars, ce qui représente une baisse de 22% par rapport à la clôture d’hier soir. Actuellement, sur les 60 analystes qui couvrent Apple, seuls quatre sont sur SELL.

Autrement, Trump veut VRAIMENT acheter le Groenland, son fils était en mission là-bas hier. Et le père a menacé le Danemark de MONSTRUEUX tarifs douaniers s’ils ne vendaient pas. Imaginez : dans 4 ans, le Canada est américain et le Groenland aussi. Je ne sais pas si Poutine est vendeur, mais ça serait pas mal que Trump rachète aussi l’Oural et la Sibérie. Et puis, il y a la start-up Anthropic – qui est backée par Amazon et qui est un des concurrents de ChatGPT – qui est en train de lever 2 milliards, ce qui valoriserait la boîte à 60 milliards – soit trois fois plus que l’an passé, tout en sachant que l’an passé, c’était la semaine dernière.

Du côté des chiffres du jour

Côté publications du jour, il y aura les factory orders en Allemagne, ainsi que les retail sales. Aux USA, il y aura les Jobless Claims et vous me direz : « oui mais d’habitude les Jobless Claims c’est le mercredi !! », mais demain c’est fermé aux States en hommage à Jimmy Carter, on a donc avancé la publication d’un jour – pas sûr que la France ferme demain en hommage à Le Pen, d’ailleurs. Aux USA il y aura aussi les chiffres ADP de l’emploi et les Minutes du dernier FOMC Meeting. Minutes qui vont être scrutées, dépouillées, examinées, inspectées, analysées et décryptées afin de savoir ce qu’ils vont ou ce qu’ils ont l’intention de faire avec les taux. Même s’ils ne connaissaient pas encore les chiffres d’hier à l’époque où ces MINUTES ont été rédigées.

Pour le moment, les futures sont en hausse de 0.22% et on a stoppé l’hémorragie. Enfin, jusqu’à que le 10 ans passe la barre des 4.75% de rendement aux USA. Passez une très belle journée et on se revoit demain pour saluer le Président Carter, pour ce que ça vaut !

À demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

« En politique, on succède à des imbéciles et on est remplacé par des incapables »

Georges Clémenceau