Glen Finegan, Directeur de la gestion actions marchés émergents chez Janus Henderson Investors, est convaincu que les liens familiaux sont un atout considérable en termes de sociétés et d'investissement.

Glen Finegan

Toutes les sociétés ont pour objectif de générer des richesses mais certaines sociétés familiales semblent accorder une importance similaire à l’objectif de longévité. Chaque génération essaie de passer le relais à la prochaine et de maintenir la bonne réputation de la famille.

Nous sommes convaincus que ces éléments permettent de développer une approche d’allocation du capital à long terme consciente des risques et nous privilégions dès lors ces groupes lors de l’accès aux opportunités d’investissement sur les marchés émergents à l’échelle internationale.

 

Une structure de propriété unique

La structure de propriété unique des entreprises familiales leur confère une orientation à long terme qui manque trop souvent aux sociétés traditionnelles. Le PDG prudent, qui cherche à équilibrer les risques et les récompenses, aura de la chance s’il arrive à rester longtemps à la tête d’une société cotée. Les bonus et le cours des actions étant bien souvent liés, il est nécessaire de maintenir un certain élan en termes de performance commerciale. Tout écart par rapport à l’objectif de croissance constante des profits sur une base trimestrielle conduira probablement à un licenciement. Il est donc tout à fait rationnel qu’une équipe de direction préfère échouer de façon classique en suivant la meute et en prenant trop de risques, que de ne jamais échouer.

L’expression « entreprise familiale » désigne, aux yeux de bon nombre d’observateurs, une petite ou moyenne entreprise avec une orientation locale. Ceci ne reflète toutefois pas le rôle important joué par les entreprises familiales, à l’heure actuelle, dans l’économie mondiale. En plus d’inclure des sociétés telles que Walmart, Heineken, Tata Group et Porsche, elles représentent plus de 30% des sociétés américaines, françaises et allemandes avec des ventes supérieures à 1 milliard de dollars US, selon l’analyse réalisée par le Boston Consulting Group (BCG).

Les sociétés familiales sont plus fréquentes dans les pays émergents. Selon l’étude menée par BCG, elles représentent environ 55% des grandes entreprises en Inde et en Asie du sud-est et 46% au Brésil. La forte présence de ce type de sociétés dans notre gamme d’opportunités et notre conviction selon laquelle ces groupes sont à même de générer des richesses en étant conscients des risques permet d’expliquer pourquoi le portefeuille comprend autant de groupes familiaux. Ils représentent, dans l’ensemble, plus d’un quart du capital investi et cinq des dix principales positions au 30/09/2017.1 Il peut s’agir d’investissements sous la forme d’une exposition à une seule entité cotée, comme pour Uni-President Enterprises, ou à différentes entités contrôlées par une même famille. C’est le cas de nos positions sur les sociétés cotées suivantes : Antofagasta, Quinenco et Compañia Cervecerias Unidas. Ces entités sont toutes majoritairement contrôlées par la famille Luksic qui est basée au Chili.

 

La sélectivité joue un rôle déterminant

Bien souvent, plus la structure sociale d’un conglomérat est complexe, plus il est possible que les intérêts de la famille dirigeante et ceux des actionnaires ne soient pas alignés. De même, une structure organisationnelle simple ne garantit pas un alignement raisonnable des intérêts. Le cœur du problème, pour les investisseurs minoritaires, est de déterminer si les droits de vote, l’accès aux flux de trésorerie et les rendements financiers sont alignés.

La confiance doit être gagnée et nous ne supposons pas simplement qu’une famille dirigeante agira en faveur du bien commun et privilégiera la bonne gestion à la cupidité. Le cas du Vice-Président de Samsung, Jay Y Lee, qui aurait payé des responsables gouvernementaux afin d’obtenir le soutien du gouvernement en vue d’une fusion entre Samsung C&T et Cheil Industries, montre que toutes les sociétés fondées par une famille ne créent pas de solides structures de gouvernance protégeant les actionnaires minoritaires.

Nous testons ce principe via notre recherche fondamentale « bottom-up » et nous nous posons notamment les questions suivantes:

  • De quelle façon la famille s’est-elle comportée envers les actionnaires minoritaires par le passé?
  • Quelles sont les autres sociétés détenues par la famille en dehors de la société cotée et existe-t-il des conflits d’intérêts?
  • La société dispose-t-elle, au sein de son conseil d’administration, de membres indépendants de qualité, exerçant un rôle de supervision?
  • La famille réalise-t-elle des activités pour le compte de l’État et si oui, comment les contrats ou les licences sont-ils attribués?
  • Comment la famille est-elle perçue par les parties intéressées sans intérêt financier tels que les communautés locales et les organisations environnementales non gouvernementales?

Ces questions nous permettent de nous forger une opinion sur la qualité de la société, au-delà de ses rendements financiers. Nous cherchons des sociétés qui génèrent des rendements tout en prenant en compte les risques car cela correspond à notre approche absolue plutôt que relative sur les marchés plus risqués et bien souvent moins bien encadrés d’un point de vue législatif.

 

Tirer parti des incertitudes

La capacité des propriétaires de longue date, telles que les familles, à prendre des décisions à long terme allant à contre-courant constitue également un avantage. Les équipes de direction professionnelles ont, pour leur part, tendance à mettre plus l’accent sur les résultats à court terme et sur les pressions du marché. Un PDG dont l’horizon temporel est limité peut prendre des décisions influencées par les mouvements boursiers court-termistes et bien souvent procycliques, ce qui peut affecter la valorisation à long terme d’une société. Ceci est particulièrement vrai pour les secteurs des matières premières et cycliques.

La société minière familiale Antofagasta (Chili) illustre bien cette réflexion à long terme. La société est contrôlée par le groupe Luksic et a annoncé, en juillet 2015, avoir fait l’acquisition, auprès d’un vendeur en difficulté, d’un excellent actif dans le secteur du cuivre. À l’inverse de bon nombre de ses homologues, Antofagasta a su conserver un bilan solide au cours de la dernière décennie, et a ainsi pu agir alors que les autres sociétés minières, confrontées à la baisse du cours du cuivre et au fort endettement de leur bilan, ont été forcées de céder des actifs de qualité. Ce comportement contra-cyclique d’Antofagasta correspond exactement à ce que nous attendons des sociétés minières mais il est nécessaire, pour ce faire, que les équipes de direction soient capables de résister aux pressions à court terme du marché, ce que la famille a su faire dans ce cas-là.

 

Des sociétés capables de résister aux différents cycles de marché

Ce genre de groupes majoritaires a également tendance à partager notre foi dans une approche à long terme de l’investissement, ce qui est extrêmement important à nos yeux. C’est ainsi qu’ils tiennent également compte des risques lors de l’évaluation du niveau d’endettement approprié pour l’entreprise.

Dans la finance d’entreprise moderne, un niveau d’endettement judicieux constitue une bonne chose car le levier financier maximise la création de valeur par l’intermédiaire de l’effet de levier des rendements. Les sociétés familiales associent toutefois l’endettement à la fragilité et au risque. L’endettement réduit leur marge de manœuvre en cas de difficulté et peut également rendre les entreprises redevables vis-à-vis des banques ou des marchés obligataires en période de faiblesse économique cyclique.

 

Garantir l’alignement des intérêts

Les marchés émergents offrent un contexte distinct pour l’exploitation de sociétés, avec une évolution constante des conditions économiques, politiques, réglementaires et financières. La prudence dont font preuve les groupes familiaux peut leur permettre de faire face à ces conditions tout en soutenant la création de valeur à long terme. Soutenir les familles dotées d’une bonne réputation et partageant notre croyance en une approche d’investissement à long terme constitue, selon nous, un élément clé pour aligner les intérêts et générer des rendements, tout en tenant compte des risques, pour les investisseurs.

 


1. Source: Janus Henderson Investors

Glossaire

Performance absolue – la performance totale d’un portefeuille, par opposition à sa performance relative par rapport à un indice de référence. Elle est mesurée en tant que gain ou perte et indiquée sous forme de pourcentage de la valeur totale d’un portefeuille.

Bilan – un état financier qui présente un aperçu synthétique des actifs, des passifs et des fonds propres des actionnaires à un moment donné. Le bilan d’une société permet aux investisseurs de se faire une idée sur ce que la société détient, ce qu’elle doit et sur les montants que les actionnaires y ont investis. Cet état porte le nom de « bilan » en référence à l’équation comptable « actifs = passifs + fonds propres des actionnaires ».

Flux de trésorerie – les liquidités générées par les activités de trading d’une entreprise et tenant compte des frais y afférents. Les flux de trésorerie permettent de déterminer si une entreprise a enregistré des entrées ou des sorties de capitaux supplémentaires sur une période donnée. A moyen et long terme, une entreprise doit pouvoir compter sur des flux de trésorerie nets positifs (flux entrants totaux moins flux sortants) pour assurer ses activités de trading et honorer ses engagements financiers.

Valeurs cycliques – les actions d’une société dont la valeur et les résultats tendent à être sensiblement affectés par les variations de l’activité économique, contrairement aux actions de sociétés non cycliques.

Levier – le moyen par lequel une société recourt à l’endettement/l’emprunt pour assurer son fonctionnement et, potentiellement, pour générer des rendements plus élevés (mais aussi plus risqués).

Société cotée – une société inscrite à la cote d’une Bourse de valeurs, dans laquelle il est possible d’investir.

Note : Les titres mentionnés ci-dessus sont uniquement présentés à des fins d’illustration et ne préjugent pas des performances historiques ou futures de la stratégie ou des chances de succès d’une stratégie particulière. Toute référence faite aux titres individuels ne constitue pas ou ne fait pas partie d’une offre ou d’une invitation à émettre, vendre, souscrire, ou acheter le titre.