La note macro de Nicolas Blanc, Responsable de l’Allocation chez Ellipsis AM.

Les mouvements de marché récents illustrent bien la difficulté qu’il y a à former des anticipations rationnelles. Depuis de nombreux trimestres, l’utilisation des capacités progresse, le chômage diminue, la conjoncture mondiale accélère, sans que les marchés traduisent cette tension croissante en hausse des taux. Deux éléments ont contribué, selon nous, à cette myopie: −le comportement des banques centrales, qui sont largement sorties de leur normes habituelles de politique monétaire, −l’absence de réaction de l’inflation réalisée, qui a donné l’illusion que celle-ci s’était définitivement affranchie de ses liens avec l’économie. Ainsi a fonctionné, pendant plusieurs années, l’environnement qualifié de « Goldilocks », qui a combiné une croissance élevée (en regard de son niveau potentiel) et un niveau de conditions monétaires très accommodantes, entrainant des taux réels très bas. Mais avec la hausse des swaps d’inflation, entamée depuis la mi-2017 et la publication, vendredi dernier, de la progression des salaires au mois de janvier aux US, qui s’est établie au plus haut depuis 2009, les marchés ont réalisé que l’inflation pourrait bientôt retrouver son rôle traditionnel de modérateur dans le cycle économique et que les banques centrales, qui ont été perçues comme garantes en dernier ressort de la stabilité des marchés, deviennent un risque à surveiller. Il s’agit donc d’un changement de régime, dont il est nécessaire d’évaluer les conséquences :

Sur le plan économique, la remontée des salaires n’est pas un élément négatif, car elle soutient la demande et contribue à la réduction des inégalités. La pression sur les profits sera en partie amortie par le dynamisme de l’activité. Le retour de l’inflation devrait être, après des années de lutte contre la déflation, un soulagement, car c’est un facteur de stabilité, qui facilite le désendettement, et l’épargne de la population active, via des taux plus élevés. Le niveau de taux à partir duquel l’économie serait négativement impactée est une grandeur difficile à estimer. Toutefois, avec un taux 10 ans nettement inférieur à la croissance nominale tendancielle (il est même inférieur à l’inflation anticipée en zone euro), ce danger nous semble encore loin. Le risque économique le plus immédiat serait une contagion de la sphère réelle par la sphère financière, les baisses de marchés incitant les agents privés à la prudence. S’il doit être surveillé de près, ce risque ne nous semble pas matériel à ce stade.

Le retour timide de signes inflationnistes annonce la fin de l’environnement Goldilocks

Sur le plan financier, la hausse des taux agit comme un révélateur des excès accumulés pendant les périodes fastes. On a vu ainsi s’écrouler du jour au lendemain des produits sur les futures de volatilité, dont la performance avait attiré des investisseurs en quête de rendement. Cependant, du fait de leur encours limité, ces produits ne seront pas les nouveaux « subprime », et le renforcement de la réglementation bancaire dans les dernières années permet d’espérer moins de risques toxiques et d’opacité dans les bilans bancaires. Dans un contexte économique qui reste favorable, il est possible d’assister à un ajustement plutôt ordonné des primes de risque. Selon notre approche de la valorisation (voir graphe page suivante), les actions européennes présentent aujourd’hui une prime de risque (écart entre le taux d’earnings et le swap d’inflation) égale à sa moyenne 3 ans, et l’écart avant correction était de 50bps. On ne peut toutefois pas exclure une sur-réaction du marché, en raison des incertitudes qui sont apparues. Notons qu’aux US, en revanche, la baisse de marché n’a pas encore comblé cet écart. Les variations du spread high yield nous semblent en ligne avec celles de la prime de risque des actions.
Nous maintenons notre position neutre sur les actifs risqués, en étant vigilants à l’apparition d’opportunités d’achat, et nous restons sous- exposés sur les emprunts d’Etat.