Nowcasters et vues macro de l’équipe en charge de l'allocation dynamique des stratégies multi-assets d'Unigestion.

Guilhem Savry, Jérôme Teiletche, Jeremy Gatto, Florian Ielpo, Olivier Marciot

Il existe peu de règles pérennes en finance mais celle du «don’t fight the Fed» est l’une des plus connues et crédibles.

Deux raisons principales à cela: la taille de l’économie américaine et donc le poids des actifs américains dans les indices mondiaux actions et obligataires et, deuxièmement, le dollar américain qui est la référence pour les marchés de capitaux internationaux. Par conséquent, la Fed a historiquement eu un impact considérable sur les rendements des actifs, le sentiment du marché et l’économie mondiale.

Donc, lorsque la Fed se met en scène et communique aussi clairement qu’elle le fait actuellement, il est essentiel de l’écouter et d’adapter son portefeuille à son message.

Que dit la Fed?

D’après les dernières projections publiées lors de sa réunion de septembre, les taux cibles médians des fonds fédéraux sont de 3,12% pour fin 2019 et de 3,37% pour fin 2020. Ce taux étant actuellement de 2,25%, nous anticipons une nouvelle hausse en décembre en ligne avec les attentes du marché. Ces projections impliquent également trois nouvelles hausses en 2019 et au moins une hausse supplémentaire en 2020.

Si la Fed agit comme ses prévisions actuelles l’indiquent, elle aura augmenté son taux cible de 312 points de base depuis 2015, ce qui serait conforme aux cycles de resserrement précédents. En effet, depuis 1986, le resserrement moyen de la Fed est de 322 pdb (avec un minimum de 175 pdb dans le cycle 1999-2001 et un sommet de 425 pdb dans celui de 2004-2007). La principale différence réside dans la durée: alors que la moyenne historique pour un cycle de resserrement est de 27 mois, le cycle actuel durera au moins 66 mois si les projections sont confirmées. Les années d’assouplissement quantitatif justifient en effet le caractère graduel de la normalisation actuelle.

Le contexte macroéconomique valide-t-il le message de la Fed?

La Fed a pour double mandat de promouvoir un niveau d’emploi maximum et des prix stables. Pour suivre son premier objectif, il est crucial d’évaluer l’ampleur de l’écart de production et de suivre l’évolution des cycles de l’investissement et de la consommation. Pour suivre le second, il convient de prendre en considération la nature et l’ampleur des pressions inflationnistes.

À la suite de la grande crise financière, la Fed a tout d’abord cherché à rétablir la confiance et la stabilité financière avant de remplir son mandat «historique». Pour ce faire, elle a eu recours aux canaux de transmission traditionnels de la politique monétaire, tels que les taux d’intérêt et les devises. Elle a également mis en œuvre des politiques monétaires non conventionnelles à travers de nouveaux canaux de transmission: «rebalancement de portefeuille», «signalisation» et liquidité, afin de soutenir le moral des investisseurs et d’améliorer leur bilan, puis de lutter contre les risques de déflation.

Après avoir résolu ces deux questions, la Fed a adopté une politique monétaire plus conventionnelle axée sur la réduction de l’écart entre la croissante courante et son niveau potentiel, demeurant accommodante pendant longtemps pour soutenir l’économie et permettre au taux de chômage de diminuer. Une fois ce nouvel objectif atteint, elle s’est concentrée sur la prévention contre une surprise liée à l’inflation. Cette surprise pouvait être due soit à une croissance supérieure au potentiel, soit à des liquidités trop abondantes résultant d’années de politique monétaire mondiale très accommodante. Nous en sommes là aujourd’hui. La lutte contre l’inflation est désormais l’objectif clef de la Fed et le restera l’année prochaine.

Nowcaster d’inflation mondiale
Sources: Unigestion, Bloomberg au 12.11.2018.

Le contexte macroéconomique valide cette lutte contre l’inflation:

• En raison du taux de chômage très bas, la croissance des salaires a fortement augmenté, confirmant que la courbe de Philips fonctionne. Par exemple, les derniers chiffres aux États-Unis montrent une croissance des salaires de 3,1% sur un an, ramenant ainsi ce taux de croissance aux niveaux d’avant crise;

• La hausse des prix des intrants, tels que les produits de base, se répercute dans l’économie, faisant grimper l’indice ISM des prix de production;

• Les nouveaux droits de douane sur les importations américaines augmentent le risque d’inflation importée.

Comme le montrent nos Nowcasters inflation pour les États-Unis et pour l’économie globale, le risque de surprise sur l’inflation est élevé et reste le principal risque des portefeuilles multi-actifs dans les mois à venir. Nous pensons donc que la Fed tiendra ses promesses et que les taux à court terme aux États-Unis augmenteront à nouveau et dépasseront 3% l’année prochaine.

Qu’anticipe le marché?

Les corrections du marché actions des mois de février et d’octobre cette année ont commencé avec la hausse des taux d’intérêt qui s’adaptaient à la communication de la Fed et les signaux de normalisation envoyés par les autres banques centrales. À chaque épisode, les acteurs du marché ont sous-estimé à la fois la réalité des pressions inflationnistes et l’objectif des banques centrales de réduire les liquidités. Actuellement, les marchés anticipent deux hausses pour 2019 et aucune hausse pour 2020, en faisant référence à la courbe à terme des fonds de la Fed. Cela semble un peu loin des prévisions de cette dernière. Pour l’avenir, nous pensons que ce décalage entre les prévisions de la Fed et les attentes du marché constitue un risque majeur pour les actifs financiers.

Nowcaster de tensions sur le marché
Sources: Unigestion, Bloomberg au 12.11.2018.

Contrairement aux attentes du marché, nous ne prévoyons au cours des prochains trimestres aucun risque de récession qui pourrait justifier une pause dans le resserrement de la politique monétaire de la Fed. Deuxièmement, nous ne pensons pas que la correction actuelle du marché modifiera la vision de la Fed car les marchés des actions et du crédit ont généré des rendements exceptionnels depuis 2008 et que la croissance et l’inflation aux États-Unis dépassent actuellement les prévisions de la Fed.

Troisièmement, compte tenu de la situation économique et de la politique budgétaire actuelles, la politique monétaire n’est pas encore restrictive. En effet, le taux réel sur un an est de 0,4%, loin du niveau de 1% historiquement crucial pour un basculement de la politique monétaire vers un biais restrictif. Tout cela conforte notre point de vue: la Fed tiendra ses promesses et le marché devra ajuster ses prévisions.

L’histoire va-t-elle se répéter?

Historiquement, les ajustements de marché aux prévisions de la banque centrale sont une source importante de volatilité et de corrections de marché, du moins à court terme. Le Taper Tantrum est un exemple bien connu mais nous avons aussi 1994 comme référence. Quelles sont les similitudes entre 2018 et 1994? Le facteur commun le plus notable est que la Réserve fédérale américaine relève régulièrement les taux d’intérêt sans discontinuer comme en 1994. Après cela, l’histoire se complique. Pour l’ensemble de 1994, le taux cible des fonds fédéraux est passé de 3,0% à 5,5%. Les actions américaines ont fini en hausse l’année 1994 mais à peine: le S&P 500 perdait 1,5%, mais les dividendes ont ramené le rendement total à 1,3% sur l’année. Tout comme maintenant, 1994 a commencé l’année avec un VIX très bas à 11,7. Il a clôturé le mois de mars à 20.5. Il existe cependant une différence importante entre les deux périodes: le stade du cycle économique. En 1994, la Fed avait été agressive au début de son expansion. Cette fois-ci, le cycle économique est «âgé» après près de neuf années de croissance du PIB. Par conséquent, le risque d’erreur politique semble aujourd’hui plus élevé que lors du cycle de 1994/1997.

Nowcaster de croissance mondiale
Sources: Unigestion, Bloomberg au 12.11.2018.

Nous avons déjà indiqué que la situation actuelle est plus proche de 1997-1998 que de 2001-2002 ou de 2007-2008. Pour être clair, nous ne disons pas que le rendement attendu des actifs axés sur la croissance sera négatif pour les années à venir. En effet, le cycle de resserrement de 1994-1997 montre que les actions peuvent avoir une bonne performance malgré le resserrement de la politique de la Fed, les actions américaines ayant plus que doublé de 1995 à 1997. Toutefois, en raison de l’écart actuel entre les prévisions monétaires des acteurs de marché et la trajectoire de normalisation de la Fed, nous avons tendance à être prudents en termes de «levier» et d’exposition globale aux actifs financiers.

Historiquement, les chocs de corrélation se produisent plus souvent en période de normalisation de la politique monétaire. C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il est temps d’ajuster l’exposition des actifs axés sur la croissance à une réduction des conditions de liquidité. Enfin, nous ne pensons pas que 2019-2021 ressemblera à 1995-1997, période pendant laquelle la performance des marchés actions était principalement motivée par la chute des taux d’intérêt à long terme (de 7,9% en novembre 1994 à 5,7% en décembre 1997), car c’est une tendance que nous ne prévoyons pas.