Voici dix histoires à retenir d'un mois d'août surprenant.

Par Charles-Henry Monchau, CIO, et Valérie Noël, Head of Trading

 

1 – Les banques centrales tablent sur des hausses de taux supplémentaires

Charles-Henry MoncheauAu cours du mois d’août, les grandes banques centrales (Fed, BCE, etc.) ont insisté sur leur détermination à maîtriser l’inflation, et ce malgré les risques inhérents aux perspectives de croissance (voir point n°2). Ce ton résolument restrictif a pesé sur la performance des marchés actions et obligataires (voir les articles n°6 et n°7).

La priorité accordée à la lutte contre l’inflation au détriment de la croissance a été clairement exposée lors du discours de Powell à Jackson Hole. Le président de la Fed a également lancé un avertissement très clair au public américain: préparez-vous à des temps difficiles. Pour M. Powell, la réduction des pressions inflationnistes nécessitera probablement une période prolongée de croissance inférieure à la tendance. Même si une grande partie de l’inflation est due à l’offre, il incombe à la Fed de réduire la demande pour rétablir l’équilibre des prix, a-t-il déclaré.

Les attentes du marché concernant le taux d’intérêt américains ont été revues à la hausse tout au long du mois d’août. La courbe des taux anticipe désormais une hausse de 75 points de base en septembre, suivie d’une hausse de 50 points de base en novembre et d’une hausse de 25 points de base en décembre.

Le ton adopté par la banque centrale européenne (BCE) est également devenu plus «hawkish». Le marché attribue désormais une probabilité de près de 100% à une hausse de 75 points de base en septembre, suivie d’une autre hausse de 50 points de base en octobre.

Il est très rare de vivre des périodes pendant lesquelles la politique monétaire se resserre alors que les marchés boursiers sont en baisse. Au cours des huit marchés baissiers précédents, le biais de la Fed était résolument expansionniste (baisse des taux, QE, etc.). Ce qui n’est pas le cas du «market» actuel. Le dernier équivalent historique (bear market accompagné de hauses de taux) remonte au début des années 1980, sous Volcker).

2022.09.05.Politique de la Fed
Politique de la Fed pendant les précédents « bear markets »

2 – L’économie mondiale ralentit  

La plupart des données économiques publiées le mois dernier témoignent d’un ralentissement de l’économie. Plus de la moitié des indices PMI manufacturiers dans le monde se contractent actuellement (<50). Tous les indicateurs indiquent que ce pourcentage va augmenter (cf ci-dessous). Toutefois, les chiffres macro-économiques ont généralement été un peu meilleurs que prévus, comme le montrent les indices de surprise économique.

2022.09.05.World PMI
Plus de 50% des PMIs manufacturiers au niveau global sont aujourd’hui en contraction
Source : Pictet Asset Management

Aux États-Unis, les données sur l’emploi ont été étonnamment fortes. Pas moins de 528,000 emplois ont été créés en juillet par rapport aux attentes du marché de seulement 250,000. Par contre, l’activité du marché du logement montre des signes d’essoufflement, les ventes de logements existants et neufs ayant chuté de 5,9% et 12,6% respectivement en juillet, en raison de la flambée du taux hypothécaire fixe à 30 ans (jusqu’à près de 6%). Les ventes au détail et la production industrielle sont restées résilientes en juillet.

Dans la zone euro, le PIB du deuxième trimestre a surpris à la hausse, avec une croissance de 0,7% en glissement trimestriel, mais les données ont révélé d’importantes divergences entre les États membres. La résistance relative de l’économie de la zone euro au cours du premier semestre est également due aux mesures de relance fiscale déployées dans l’UE depuis le début de la guerre en Ukraine.

3 – Les pressions inflationnistes demeurent

Au niveau mondial, nous constatons que près de 90% des pays du monde connaissent un niveau d’inflation supérieur à 6%.

Aux États-Unis, l’inflation semble avoir dépassé son pic puisque l’indice CPI a augmenté de 8,5% en glissement annuel en juillet, contre 9,1% en juin. Toutefois, l’inflation de base reste bien supérieure à l’objectif de la Réserve fédérale.

L’inflation de la zone euro a atteint un niveau record: les prix à la consommation ont augmenté de 9,1% en glissement annuel en août, dépassant l’estimation de 9%. L’inflation de base a bondi de 4,3%, un nouveau record historique. Elle n’a probablement pas encore atteint son sommet car la zone euro s’enfonce dans une crise énergétique (voir point 4) qui crée une pression à la hausse significative sur l’inflation.

2022.09.05.Inflation
Pays connaissant une inflation supérieure à 6%
Source : Macrobond

4 – La crise énergétique européenne

L’Europe continue de s’enfoncer dans une crise énergétique sans précédent. Au mois d’août, le prix du contrat à un an pour l’électricité en France a dépassé pour la première fois les 1’000 € par mégawattheure. L’équivalent allemand a également atteint un niveau record, jusqu’à 829 € par mégawattheure. Certes, ces prix sont très volatils et ont d’ailleurs connu un fort recul au début du mois de septembre (cf. graphique ci-dessous). Par ailleurs, de nombreux pays (France, Grèce, etc.) sont prêts à mettre en place des mesures d’accompagnement, notamment pour les ménages les moins aisés. Enfin, nous notons que les stocks de gaz naturel de l’UE rapportés en août étaient conformes à la moyenne historique, grâce à l’augmentation des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) et à la réactivation des centrales électriques au charbon.

Cependant, une réduction substantielle des flux de gaz par le gazoduc Nord Stream 1 pourrait maintenir les prix de l’énergie en Europe à un niveau élevé et conduire à un hiver très compliqué. Début septembre, Gazprom a annoncé qu’elle avait « complètement arrêté » le transport de gaz vers Nord Stream jusqu’à ce qu’une fuite de pétrole non détectée auparavant soit rectifiée. Cela pourrait prendre des jours… ou des mois. Cela signifie que l’Europe sera désormais contrainte de dépendre encore davantage du GNL, beaucoup plus cher, revendu par la Chine. Les risques de récession dans l’UE restent donc élevés, comme le montre la faiblesse de l’euro, qui est tombé à parité avec le dollar américain (voir article n° 10).

2022.09.05.Prix électricité
Prix de l’électricité à un an en Allemagne et prix du gaz dans la zone euro
Source : Bloomberg

5 – La résilience des bénéfices des sociétés américaines  

Au deuxième trimestre 2022, 75% des sociétés du S&P 500 ont fait état d’une surprise positive en matière de bénéfices par action et 70% des sociétés du S&P 500 ont surpris positivement au niveau des revenus (source: Factset).

Toutefois, le momentum de croissance faiblit. Pour le trimestre, le taux de croissance agrégé des bénéfices de l’indice S&P 500 est de 6,3%. Il s’agit du plus faible taux de croissance des bénéfices depuis le T4 2020 (4,0%).

Après avoir atteint un niveau record de 13,5% au T2 2021, les marges bénéficiaires du S&P 500 sont redescendues à 10,9% au T2 2022, car la croissance des ventes a ralenti et les entreprises ont plus de mal à répercuter la hausse des coûts sur leurs clients. En termes de valorisation, nous constatons que le ratio cours/bénéfices à 12 mois du S&P 500 est de 16,7. Ce ratio est inférieur à la moyenne sur 5 ans (18,6) et à la moyenne sur 10 ans (17,0).

2022.09.05.Marge opérationnelle SP500
Marges opérationnelles du S&P 500
Source : Charlie Bilello

6 – Le rallye d’été des marches d’actions prend fin  

Dans ce contexte d’incertitude économique mondiale et de resserrement monétaire, les marchés boursiers mondiaux étaient orientés à la baisse au mois d’août, mettant fin au rebond initié en juillet.

L’indice MSCI World a reculé de 4,1% sur le mois. Les marchés d’actions européens ont le plus chuté, avec une baisse de 4.7% pour le MSCI Europe ex UK.  Aux États-Unis, le S&P 500 affiche un recul de 4,1%. Le S&P 500 a perdu 17,7% au cours des 169 premiers jours de bourse de 2022, ce qui constitue le quatrième plus mauvais début d’année de l’histoire.

Dans le reste du monde, le Japon a continué de surperformer, avec un gain mensuel de 1.2% (en yen) pour l’indice Topix. Les marchés émergents ont progressé de 0,5% et ce malgré les difficultés rencontrées par la Chine, tant dans son secteur immobilier qu’en raison de la vague de chaleur et de la sécheresse.

2022.09.05.Performance SP500
Les pires performances du S&P 500 au cours des 169 premiers jours

7 – Le premier «bear market» pour les obligations mondiales depuis une génération

Sur les marchés obligataires, la hausse des rendements souverains a entraîné des rendements négatifs pour tous les secteurs. Les marchés émergents et les obligations européennes à haut rendement ont surperformé, même si leurs performances mensuelles restent négatives.

Nous notons que les obligations mondiales sont désormais dans leur premier «bear market» depuis une génération. En effet, l’indice Bloomberg Global Bonds a chuté de 20% depuis son sommet de janvier 2021. Il s’agit également de la plus longue baisse du marché obligataire américain de l’histoire (25 mois et plus) et de la baisse la plus importante (-12,3 %) depuis 1980.

2022.09.05.Obligations mondiales
Les obligations mondiales en « bear market »
Source : Bloomberg

8 – Nul-part où se réfugier

La totalité des classes d’actifs (actions, bons du Trésor, obligations de qualité, à haut rendement, matières premières) a enregistré une baisse le mois dernier, une première depuis 81. En effet, même les matières premières ont reculé, le pétrole brut WTI enregistrant une baisse de 10% alors que l’or recule de près de 5%.

2022.09.05.Cross-asset
Le pire mois depuis 1981 pour investisseurs diversifiés
Source : Bloomberg

9 – Annus horribilis pour les portefeuilles «60/40»

Avec le recul simultané des marchés obligataires et des marchés d’actions, 2022 reste une année très difficile pour les portefeuilles multi classes d’actifs. Un portefeuille 60-40 (actions américaines/obligations américaines) subit son plus mauvais début d’année jamais enregistré.

2022.09.05.Portefeuille 60-40
Performances annuelles de portefeuilles 60/40
Source : Bespoke

10 – Le dollar au plus haut depuis 20 ans  

L’indice du dollar américain ($DXY) est à son plus haut niveau en 20 ans (soit juin 2002), en hausse de 54% par rapport à son plus bas de 2008. L’euro est d’ailleurs brièvement passé sous la parité en raison de la crise énergétique en Europe. Alors que le dollar s’envole, les monnaies asiatiques sont maintenant au plus bas de la COVID et de 2008. Pendant ce temps, le yen enregistre son plus fort recul depuis la crise financière asiatique. En août, la livre sterling a subi sa plus forte baisse mensuelle (-4.5%) par rapport au dollar depuis le referendum du Brexit, l’incertitude politique et l’inflation pesant lourdement sur la devise britannique. Un nouveau premier ministre sera nommé au mois de septembre à l’issue d’un scrutin parmi les membres du parti conservateur, ce qui entraîne des incertitudes quant aux perspectives de la politique budgétaire. Le marché s’attend maintenant à ce que la crise énergétique plonge l’économie britannique dans la récession.

2022.09.05.Bloomberg dollar index
Indice Bloomberg dollar (DXY)
Source : Charlie Bilello

 

Bonne semaine à toutes et à tous.