La biologie spatiale pourrait révolutionner la recherche biologique. Elle permet d'analyser les biomarqueurs moléculaires (tels que l’ARN, ou les protéines) tout en préservant leur lieu d'expression (au niveau du tissu et de la cellule). Cette outils cartographie les biomarqueurs et les types de cellules au sein d’un tissu. Elle fournit des données jamais capturées auparavant : le contexte spatial des biomarqueurs.
La biologie spatiale est la clé pour comprendre les interactions entre les biomarqueurs/cellules voisines et comment elles façonnent de nombreux mécanismes biologiques. Cette communication constante est obtenue par la disposition précise de biomarqueurs et de cellules spécifiques dans un tissu. Les biomarqueurs sont de plus en plus pertinents pour comprendre les mécanismes biologiques à l’origine des maladies ou des effets des médicaments.
Les outils actuels de génomique et de protéomique (PCR, séquençage,…) permettent l’analyse des biomarqueurs mais nécessitent la destruction des tissus. L’analyse des tissus, souvent par immunohistochimie (IHC), fournit des informations spatiales mais ne peut analyser qu’une poignée de marqueurs.
Une révolution nécessaire dans la recherche sur les biomarqueurs
Pendant longtemps, l’industrie pharmaceutique s’est attaquée à des maladies dont nous ne connaissions que très peu la biologie ou a utilisé des médicaments avant de comprendre pleinement leurs mécanismes d’action. Cette situation a fait des projets pharmaceutiques un processus créatif risqué. Les entreprises pharmaceutiques et biotechnologiques du XXIe siècle n’ont pas d’autre choix : les connaissances biologiques doivent s’étendre et couvrir les angles morts des outils actuels.
Les cellules qui composent notre corps sont comme les pièces d’un moteur: leur position sert un objectif. Malgré cela, les outils d’analyse actuels ne tiennent pas compte de ce paramètre. L’emplacement ou «contexte spatial» offre de nouvelles perspectives permettant de comprendre le fonctionnement du corps dans son ensemble, comme un orchestre.
Que manque-t-il donc? Le contexte spatial
La biologie spatiale détecte quels biomarqueurs sont exprimés au niveau des cellules et des tissus, en plus de la localisation de leur activité. Elle combine l’imagerie tissulaire et l’analyse des biomarqueurs (expression des protéines ou des ARNm). La biologie spatiale apporte la capacité de voir où les gènes sont exprimés et les interactions entre eux. Cette capacité pourrait permettre de comprendre le mécanisme à l’origine de l’apparition d’une maladie particulière. En effet, l’expression d’un gène dans une cellule conduit à la production d’une protéine, cette dernière pouvant inhiber ou déclencher l’activité d’une autre protéine dans la cellule voisine.
La localisation des protéines au sein d’une cellule ou d’un tissu affecte leur fonction, car chaque cellule ou compartiment cellulaire possède des propriétés chimiques ou moléculaires différentes (par exemple, les niveaux de PH). Les cellules exploitent ces différences pour réguler la fonction des protéines. Dans les cellules déréglées, l’activité des protéines est un marqueur des dommages causés par la maladie et peut aider à suivre sa progression.
Le domaine médical passe un temps considérable à décrire les symptômes liés à la maladie sans pour autant comprendre la biologie sous-jacente. La biologie spatiale cherche à comprendre comment l’emplacement précis d’une cellule dans un tissu malade et de ses cellules voisines peut influencer le déclanchement et la progression d’une maladie. Souvent dans les tests cliniques les symptômes doivent être suffisamment forts pour établir un diagnostic. La biologie spatiale vise à identifier les biomarqueurs qui conduisent aux symptômes à un stade précoce ou même avant qu’ils ne se manifestent.
Une meilleure définition des biomarqueurs clés dans des maladies spécifiques permet d’améliorer le traitement et le régime de dosage. L’étude des biomarqueurs permet de mesurer l’effet des médicaments sur les patients et est donc essentielle au développement de ceux-ci.
Les technologies derrière la biologie spatiale
L’échantillon de tissu à analyser est vaporisé par de petits «tags», qui sont des séquences d’ARN/ADN complémentaires au biomarqueur d’intérêt . Ces tags sont fluorescents et mettent en évidence les régions d’intérêt sur le tissu. En projetant une lumière UV sur celui-ci, les tags sont séparés des biomarqueurs, ce qui permet de les collecter et de les analyser sans détruire l’échantillon de tissu. Le résultat est un calque des régions d’intérêt du tissu, composé uniquement de ces tags.
Le «Next Generation Sequencing» (NGS) lit les tags détachés des biomarqueurs d’intérêt et révèle leur emplacement et leur quantité. L’information génétique capturée dans chaque tag est associée à la région d’intérêt dans le tissu. Le NGS quantifie la quantité d’ADN/ARN capturée, fournissant une mesure de la quantité du biomarqueur d’intérêt.
La biologie spatiale débloque des connaissances dans des domaines thérapeutiques majeurs comme l’immuno-oncologie
La biologie spatiale permet aux chercheurs de comprendre les interactions entre la tumeur et son environnement. La progression des cellules cancéreuses dépend fortement de l’environnement, notamment de l’apport de nutriments par les vaisseaux sanguins adjacents, de la régulation immunitaire et du remodelage des tissus qui permet aux cellules de métastaser.
L’identification des patients qui répondent le mieux à des thérapies spécifiques garantit un résultat optimal. La biologie spatiale pourrait saisir les mécanismes à l’origine de la réponse immunitaire en comprenant les interactions cellulaires. Une méta-analyse, combinant les résultats de 50 études, a montré que la biologie spatiale pouvait générer des données complètes pour mieux prédire la réponse aux immunothérapies. Elle fournissait moins de faux résultats que le profilage de l’expression génétique ou l’immunohistochimie. Ainsi, on peut mieux définir le stade de la tumeur et sa sensibilité au médicament et au dosage, ce qui permet de personnaliser davantage les soins aux patients.
Les opportunités du marché
Les applications sont diverses et ont un impact dans le diagnostic, la recherche et le développement clinique. Par exemple, la biologie spatiale a récemment été utilisée pour comprendre comment le virus COVID-19 infecte les patients et la réponse immunitaire qui en résulte dans les tissus pulmonaires, cérébraux et cardiaques. Le marché de la génomique et de la transcriptomique spatiales est l’un des marchés qui évolue le plus rapidement, avec un taux de croissance annuel composé de 23 % pour la période 2020-2030. Il vise un marché total adressable de 12 milliards de dollars.
Nanostring et 10x Genomics sont les leaders incontestés de ce marché et devraient le rester dans les années à venir. Les années 2021 et 2022 s’annoncent comme des années décisives pour les deux leaders, car ils introduisent de nouveaux produits avec un profilage spatial au niveau intracellulaire. L’augmentation de la résolution permettra aux chercheurs de saisir l’hétérogénéité et de détecter les différences subtiles dans l’expression des gènes au niveau d’une cellule unique.
Catalyseurs
Le prix. Le coût par échantillon (de 500 à 4 000 dollars par lame) continue de baisser. Comme pour le NGS, la baisse des prix entraînera une adoption plus large.
Résolution plus élevée. Nanostring et 10x lancent leurs plateformes de biologie spatiale à résolution unicellulaire et intracellulaire à partir de 2022. Ces nouveaux lancements augmenteront le marché adressable actuel.
Partenariats. De nouvelles collaborations, telles que celle entre Illumina et Nanostring, soutiendront davantage l’utilisation de la biologie spatiale.
Risques
La commercialisation reste un défi. Deux tiers des ventes sont encore destinées aux institutions académiques. Le succès dépendra de la capacité des entreprises à pénétrer et à gagner des parts auprès des clients biopharmaceutiques.
Innovation interne des grands acteurs. La biologie spatiale est à un stade précoce de développement et évolue rapidement. Par conséquent, le leadership précoce de certaines entreprises n’est pas garanti. Les grands acteurs, tels qu’Illumina, pourraient développer leur propre plateforme spatiale.
COVID-19. La pandémie pourrait encore peser sur les ventes. De nombreux laboratoires continueront à travailler à capacité réduite tout au long de l’année 2021, une reprise aux niveaux prépandémiques ne pouvant être observée qu’à la fin de l’année.