Le président salvadorien Bukele semble donner la priorité à la concentration du pouvoir plutôt qu’à la stabilité économique. Le samedi 1er mai, le nouveau Congrès, où le président bénéficie désormais d'une supermajorité, a tenu sa première session. Sa première mesure législative a été de remplacer les magistrats et le procureur général de la Cour suprême de justice.

Par Carlos de Sousa, Stratégiste marchés émergents

 

Cette décision a probablement été motivée par l’opposition de la Cour à certaines des restrictions liées au coronavirus et imposées par Bukele l’année dernière, ainsi que par la volonté de ce dernier de gouverner sans contraintes.

Les obligations internationales du Salvador ont chuté de plus de 8 cents par dollar sur la partie longue de la courbe, les rendements dépassant les 9% et effaçant les gains obtenus au cours du mois dernier. Le Salvador avait été l’un des souverains les plus performants des marchés émergents en avril (+7% de rendement total), car le marché s’attendait à ce que la victoire législative écrasante de Bukele soit suivie d’un accord avec le FMI sur un programme d’aide financière. Les négociations avec le FMI ont déjà été légèrement retardées et pourraient l’être davantage en raison des critiques formulées par les États-Unis et l’Organisation des Etats Américains, sur l’atteinte à l’indépendance de la justice.

Il s’agit certainement d’une détérioration institutionnelle plus rapide que ce à quoi nous nous attendions. Bien que cela puisse entraîner de nouveaux retards, cela ne devrait pas empêcher le Salvador de bénéficier d’un programme du FMI et de prêts multilatéraux supplémentaires. En outre, nous ne pensons pas que M. Bukele ait soudainement changé d’avis quant à son intention de poursuivre un ajustement budgétaire parrainé par le FMI.

La fonction déclarée du FMI est « d’aider les pays frappés par des crises en leur apportant un soutien financier, pour leur permettre de récupérer pendant qu’ils mettent en œuvre des politiques d’ajustement visant à rétablir la stabilité et la croissance économiques », et non de promouvoir la démocratie, qui, bien que souhaitable, n’est pas une valeur partagée par tous ses membres. Il existe des cas, comme celui de l’Ukraine, où la corruption est si répandue que les mesures de lutte anti-corruption figurent dans les tableaux de conditionnalité des prêts du FMI.

L’indépendance de la banque centrale est une exigence commune à tous les programmes du FMI, en raison de son impact sur les résultats économiques. Cependant, priver des ressources du FMI en raison du manque d’indépendance de la justice pousserait la conditionnalité beaucoup plus loin que d’habitude. L’administration Biden a déclaré son intention de se montrer plus sévère à l’égard de l’autoritarisme, mais le FMI a récemment mené à bien des programmes avec des pays non démocratiques comme l’Égypte. Et toute mesure sévère prise à l’égard du Salvador pourrait se retourner contre lui en aggravant la migration du Salvador vers les États-Unis, sujet politique ô combien sensible aux Etats-Unis.

Le Salvador n’a pas de meilleure option que de poursuivre dans la voie d’un accord avec le FMI. Les mouvements sur les marchés obligataires de ces derniers jours ont montré clairement que les marchés ne sont pas disposés à prêter au Salvador, à moins qu’il n’y ait un engagement fort en faveur de la consolidation fiscale (programme du FMI).  En outre, le Salvador est un pays dollarisé (le gouvernement ne peut pas monétiser son déficit) avec un système financier national relativement petit, qui a déjà atteint la limite légale des emprunts nationaux à court terme. Cette limite pourrait bien être modifiée par la nouvelle législature, mais sans l’aide du FMI, il resterait un important déficit de financement, que les ressources nationales ne pourraient couvrir. D’autres organismes multilatéraux seraient également moins enclins à prêter au Salvador si le FMI n’est pas impliqué, en raison de problèmes de durabilité.

Nous restons donc prudemment optimistes sur le Salvador à court terme, étant donné l’absence de meilleures options pour le souverain et les difficultés inhérentes, du point de vue des États-Unis, à adopter une position économique dure envers les pays du Triangle du Nord. Nous reconnaissons que la dérive vers l’autoritarisme réduit considérablement l’attrait de l’investissement au Salvador à moyen terme.