Les obligations émergentes à haut rendement devraient bénéficier d’un coup de fouet après la pandémie.

Par Carlos de Sousa, Stratégiste marchés émergents

 

  • Le G20 et le FMI ont apporté une aide financière significative aux pays à faible revenu (PFR) depuis le début de la pandémie, un soutien qui sera probablement renforcé dans les mois à venir.
  • La nouvelle allocation de droits de tirage spéciaux (DTS) de 650 milliards de dollars par le FMI est désormais une certitude. Elle permettra d’augmenter significativement les réserves de change des pays émergents classés comme des émetteurs à haut rendement.
  • En plus de l’allocation de DTS, le FMI réfléchit à de nouvelles façons de réaffecter 100 milliards de dollars supplémentaires de DTS attribués initialement aux pays riches en faveur des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur.
  • Du point de vue des investisseurs obligataires, ces mesures sont de nature à entretenir la surperformance des obligations émergentes à haut rendement au second semestre 2021.
  • La Côte d’Ivoire, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Tadjikistan, les Maldives et les Seychelles sont nos émetteurs favoris parmi les pays à faible revenu et les petits États insulaires en développement (PEID).

La pandémie a fait ressortir le contraste qui existe entre les pays riches et les pays pauvres. Les premiers sont parvenus à produire un effort de relance budgétaire et monétaire massif grâce à des taux d’intérêt historiquement bas et à accéder aux vaccins dès leur approbation. En revanche, de nombreux pays pauvres ont vu les portes des marchés se fermer au premier semestre 2020, ce qui les a obligés à engager une cure d’austérité ou, dans le meilleur des cas, à soutenir leur économie dans des proportions très modestes. Toutefois, cela ne veut pas dire pour autant que les PFR seront en difficulté dans le monde de l’après-pandémie.

1e partie: Ce que nous savons déjà: depuis le début de la pandémie, le FMI a apporté une aide significative aux PFR et annulé une partie de leur dette.

Le FMI a apporté une aide financière sans condition à 78 pays émergents et en développement. Le montant de ses prêts d’urgence face à la pandémie s’élevait à 109,6 milliards de dollars américains à la fin mai, dont 77% par le biais de l’instrument de financement rapide (IFR) et de la facilité de crédit rapide (FCR). Les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur n’ont reçu qu’un tiers de ce montant mais en sont les principaux bénéficiaires au regard de leur PIB.

Le conseil des gouverneurs du FMI approuvera une nouvelle allocation de DTS de 650 milliards de dollars américains répartis entre l’ensemble de ses membres. Cette mesure sera approuvée en août et les banques centrales des pays membres recevront les fonds peu après.

S’il est prévu que les pays riches en reçoivent la plus grande partie en valeur absolue, les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur seront les principaux bénéficiaires au regard de leur PIB. Dans l’ensemble, ces DTS attribués sous forme de réserves utilisables sans condition représenteront l’équivalent de 1,9% de leur PIB, contre 0,8% pour les pays à revenu élevé. Le montant exact varie selon les pays en fonction de leur quota au FMI. Le graphique ci-dessous met en évidence les 25 principaux bénéficiaires de l’allocation de 650 milliards de dollars de DTS rapportée au PIB et aux réserves de change.

bénéficiaires de l'allocation DTS
Figure 1 : Les 25 premiers bénéficiaires de l’allocation de DTS de 650 milliards de dollars US (par rapport au PIB et aux réserves de change)

Les pays lourdement endettés comme le Surinam, la Zambie et le Tadjikistan bénéficieront d’une allocation importante au regard de leur PIB et de leurs réserves de change. Il s’agit donc des principaux bénéficiaires de l’allocation de DTS initiale. C’est également le cas de pays insulaires comme la Jamaïque, les Seychelles, Trinidad et Tobago, la Barbade, Grenade et les Bahamas. Les Etats qui disposent de faibles réserves nettes comme l’Argentine, la Turquie et le Sri Lanka recevront eux aussi une importante bouffée d’oxygène même s’ils ne figurent pas parmi les 25 principaux bénéficiaires au regard de leur PIB.

2e partie: réaffectation de 100 milliards de dollars de DTS des pays riches aux pays pauvres

Pour le pays émergent moyen, l’attribution de DTS représentera moins de 2% du PIB et les PFR recevront un montant du même ordre. Il est significatif d’un point de vue macroéconomique mais pas au point de changer la donne. Voilà pourquoi les chefs d’Etat du G7 demandent désormais au FMI de formuler une proposition visant à réaffecter 100 milliards de dollars (sur les 437 milliards de dollars de DTS que les pays riches sont censés recevoir) au profit des pays les plus vulnérables. Les modalités de cette réaffectation ne sont pas encore clairement définies. Le FMI élaborera des propositions dans les prochains mois et cette réaffectation interviendra probablement au quatrième trimestre.

Le FMI envisage de réaffecter une partie de ces ressources par le biais de sa facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC), ce qui pourrait facilement doubler les DTS dont bénéficieront les PFR. Les PFR et les PEID peuvent emprunter à 0% auprès du FMI par le biais de la FRPC, qui est financée à titre volontaire via des accords bilatéraux avec les pays riches et de grands pays émergents qui, à l’instar du Brésil, disposent de réserves de change excédentaires. 14 pays ont promis de faire don de 15,4 milliards de DTS (soit 22,25 milliards USD) à la FRPC depuis le début de la pandémie. Entre mars 2020 et mai 2021, le FMI a prêté 10,1 milliards de dollars à des pays éligibles à la FRPC, dont 81% sans condition par le biais de la FCR. Le problème avec ces facilités sans condition est que les pays ne peuvent pas emprunter plus de 100% de leur quota au FMI par an – la plupart des pays ont déjà dépassé ce plafond en 2020 – et 150% sur une base cumulée. Par conséquent, la plupart des pays émergents pourraient recevoir une dotation supplémentaire équivalant à 50% de leur quota au FMI à la fin 2021 ou en 2022, s’ils en font la demande, en bénéficiant d’un taux d’intérêt nul pour les PFR via la FRPC.

Ces 100 milliards de dollars représenteraient plus de 10% du PIB de l’ensemble des pays éligibles à la FRPC. L’impact positif sur les PFR serait immense, le cas échéant. Toutefois, il ne serait pas réaliste de s’attendre à ce que ces pays empruntent des sommes aussi importantes auprès du FMI.

La réaffectation de 100 milliards de dollars de DTS profiterait probablement en priorité aux pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur. Dans le graphique ci-dessous, nous présentons un scénario dans lequel un cinquième de ces DTS sont réaffectés aux PFR par le biais de la FRPC, ce qui nous semble être le maximum envisageable pour ces économies relativement petites, le reste étant réaffecté à des pays à revenu intermédiaire par le biais du nouveau Fonds de résilience et de durabilité, proportionnellement aux quotas de ces pays au FMI. Les bulles de couleur magenta (axe côté droit), qui indiquent l’importance de cette aide rapportée au PIB, suggèrent que les PFR en seront de loin les principaux bénéficiaires. Il s’agit d’un scénario purement illustratif, dans la mesure où l’on ignore encore les modalités exactes de ce nouveau fonds. Nous pensons que les pays devront probablement appliquer un programme de résilience et de durabilité, qui devrait s’apparenter davantage à un programme de développement de la Banque Mondiale qu’aux programmes habituels du FMI assortis de nombreuses conditions. Cela pourrait aider à améliorer l’image du FMI, une institution souvent associée à une connotation politique négative dans de nombreux pays émergents.

allocation supplémentaire de DTS
Figure 2 : Une allocation supplémentaire de DTS de 100 milliards de dollars US pour les économies de marché émergentes (Scénario : PRGT + Resilience and Sustainability Trust)

Tout bien considéré, ces mesures sont de nature à entretenir la surperformance des obligations émergentes à haut rendement au second semestre 2021. En janvier dernier, nous expliquions pourquoi l’année 2021 serait marquée par la surperformance des obligations émergentes à haut rendement et, jusqu’à présent, on peut dire que nous avions vu juste. Depuis le 1er janvier, les obligations souveraines de ce segment ont généré un rendement total de 1,9% en dépit de la hausse des rendements obligataires aux Etats-Unis tandis que les titres investment grade ont cédé 3,4%. Si le spread entre les segments high-yield et investment-grade s’est très nettement resserré par rapport à l’an dernier, il demeure anormalement élevé au regard de sa moyenne historique. La normalisation en cours des spreads des obligations émergentes et les mesures de soutien du FMI susmentionnées devraient soutenir la surperformance des obligations émergentes à haut rendement au second semestre 2021.

 

Source : Calculs de Vontobel à partir des chiffres du Fonds Monétaire International