«La seule bulle sur les marchés financiers est celle des obligations d’État.» Ce triste message a été délivré par Jamie Dimon, PDG de JPMorgan Chase & Co, à l’occasion d’une récente interview accordée au Forum de l'économie mondiale de Davos de cette année. Mais quelles sont les circonstances qui l’ont amené à prononcer ces mots? Pour obtenir une réponse, il faut tout d’abord examiner les faits.

Par Dr. Volker Schmidt, senior portfolio manager

 

Aux États-Unis, la dette publique atteint désormais plus de 23’000 milliards de dollars et le déficit public de l’exercice budgétaire en cours, qui s’achèvera en septembre 2020, est estimé à lui seul à plus de 1’000 milliards de dollars. Ce déficit se compose de dépenses attendues à 4’600 milliards de dollars, face à des recettes de 3’600 milliards de dollars. La charge des intérêts dans le cadre des dépenses est estimée à 370 milliards de dollars.

La dette publique atteint donc approximativement la taille du produit national brut américain, un niveau qui, en soi, n’est pas si alarmant lorsqu’il est placé dans un contexte international: la dette publique de l’Italie, par exemple, dépasse déjà d’environ 35% la taille de son produit national brut. Plus inquiétante, en revanche, est la prévision du CBO (Congressional Budget Office), selon laquelle le déficit budgétaire américain devrait s’élever en moyenne à 1’300 milliards de dollars par an au cours des 10 prochaines années. Chaque année, le déficit public représentera donc plus de 4% du produit national brut. Une telle augmentation de la nouvelle dette au cours d’une longue période de temps n’avait pas eu lieu aux États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Même sans entrer dans les détails, il est évident que cette augmentation n’est pas viable et qu’elle sera difficile à refinancer dans un environnement de taux d’intérêt nuls. Certes, l’argent du déficit budgétaire ne sort pas du circuit, mais il n’est pas utilisé directement à des fins de refinancement. En dehors de la Réserve fédérale américaine, personne n’est en mesure d’acheter cette quantité record d’obligations d’État américaines supplémentaires. Par conséquent, la banque centrale américaine ne pourra pas se retirer aussi rapidement de son programme d’achat qu’elle vient justement de reprendre. Son soutien dans les prochaines années devrait donc être maintenu. Toutefois, dans le cas plutôt improbable où la Fed rejetterait cette logique et augmenterait même à nouveau les taux directeurs, par exemple à la suite d’une hausse inattendue de l’inflation, les détenteurs d’obligations d’État américaines seraient menacés de pertes de prix importantes. En bref: La bulle des prix des bons du Trésor gonfle de plus en plus, mais elle n’éclatera pas pour l’instant.

Tant que les investisseurs internationaux bénéficieront d’un rendement nettement positif sur les obligations d’État américaines dans le contexte actuel de faiblesse des taux d’intérêt, ils continueront à les acheter volontiers et à soutenir ainsi la Fed. D’autre part, la vigueur du dollar représente un autre argument d’achat pour les investisseurs étrangers. Toutefois, lorsque ces deux facteurs (rendement positif et dollar fort) ne seront plus réunis, alors très vite, la banque centrale américaine ne pourra plus compter que sur elle-même. Au plus tard à ce moment-là, la pression exercée sur l’État américain pour qu’il équilibre son budget augmentera également.

Et qu’en est-il des obligations d’État allemandes? Alors qu’aux États-Unis, c’est le montant des obligations d’État qui «gonfle», du côté de la dette allemande ce serait plutôt les prix et la performance de ces mêmes titres. L’an passé, le rendement des obligations d’État allemandes à 10 ans a atteint un plus bas de -0,7% et il s’en rapproche à nouveau actuellement, après une reprise intermédiaire. Comme la Fed, la BCE a récemment relancé son programme d’achats de titres et commencé à acquérir des obligations d’État allemandes. En ce moment, les craintes liées au coronavirus et à l’affaiblissement de l’économie mondiale qui en résulte ramènent les rendements du Bund à un niveau actuel de -0,5%.

Cependant, qui est prêt à acheter ces titres dès lors qu’une perte est certaine s’ils sont détenus jusqu’à leur échéance? Probablement presque personne. Pourtant, il semble que le calcul soit différent pour beaucoup d’investisseurs et de banques lorsque leur seule alternative est de placer leur argent à un taux de dépôt de -0,5%. Dans tous les cas, la BCE a déjà fait savoir qu’elle poursuivrait ses achats d’obligations et qu’elle ne relèverait pas son taux directeur avant que l’inflation s’approche de l’objectif de 2%. Comme une telle hausse n’est pas prévue en 2020, il nous faudra encore composer avec des rendements nettement négatifs pour les obligations d’État allemandes.

Mais il y a au moins une bonne nouvelle pour les investisseurs: cette bulle-là n’éclatera pas non plus cette année!

 

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