Les marchés nous rappellent un peu la période ayant précédé la crise financière : des valorisations boursières élevées, des primes de crédit très faibles et des émetteurs plus que douteux sur les marchés financiers! C’est également le cas aujourd’hui. L’Argentine arrive à emprunter à 100 ans sur les marchés financiers à tout juste 7,125%! Mais qu’est‑ce qui a changé par rapport à 2007?

Yves Longchamp, Head of Research, ETHENEA Independent Investors (Schweiz) AG

La fin du premier semestre 2017 a dévoilé quelque chose d’intéressant : le risque de crédit est une nouvelle fois très mal évalué et le risque de hausse des taux dans la zone euro est fortement surévalué.

Les écarts de rendement des obligations d´entreprise et autres produits de crédit avoisinent leurs plus bas niveaux historiques et ce, sur l’ensemble des marchés. Cette situation n’est pas tellement inquiétante, mais plutôt compréhensible car les taux de défaut actuels sont très faibles et le bas niveau des coûts de refinancement permet aussi aux entreprises d’honorer le service de leur dette. Ce qui est beaucoup plus préoccupant en revanche, c’est que la république d’Argentine est parvenue à emprunter quelque 3 milliards de dollars sur les marchés financiers le 19 juin 2017. Pour 100 ans! À moins de 8%!

Depuis son indépendance en 1816, l’Argentine, autrefois l’un des pays les plus riches au monde, a réussi l’exploit de faire faillite plus de sept fois. Avec une dette de plus de 100 milliards de dollars, le défaut de 2001 a été la plus grande faillite d’État de tous les temps1. En 2014, l´impossibilité de parvenir à un accord a débouché sur une faillite technique. Malgré tout, il semble y avoir suffisamment d’investisseurs désespérés convaincus de pouvoir gagner de l’argent avec ce type de placement. Mais je ne vois pas bien comment ils y parviendront. L’argument selon lequel le versement du coupon de 7,125% pendant 15 ans suffirait pour récupérer l´investissement initial n’est pas valable selon moi. En effet, au bout du compte, je recevrai mon argent en dollars, ce qui n’est pas forcément favorable à l’investisseur en euro que je suis. Les rendements effectifs en euro sont plutôt de l’ordre de 5% p.a. si je prends une couverture de change annuelle. Il me faudrait donc 20 ans, et non pas 15, avant de rentabiliser mon investissement.

Maintenant, si l’on regarde le marché des CDS (credit default swaps) sur l’Argentine, on se rend rapidement compte que l’assurance contre le défaut de paiement sur 10 ans coûte plus de 400 points de base, ce qui implique une probabilité de défaut de 44%. Mais il faudrait qu’aucun défaut ne survienne pendant 20 ans pour au moins ne pas perdre d’argent, ce qui ne peut être qu’un objectif minimal. Je ne demande pas d’éviter certains titres ou risques, mais seulement que le prix corresponde au risque encouru. Et pour ma part, un taux de 7,125 % par an pour supporter le risque argentin pendant 100 ans en dollars me semble bien trop peu cher payé. On aura beau tourner et retourner le problème dans tous les sens, le marché redevient désespérément excessif sur certains segments. Ceux qui sont suffisamment vieux se souviendront de la période ayant précédé la crise financière. À cette époque-là, les probabilités de défaut étaient gravement sous-estimées et mal intégrées dans les prix. L’ajustement à des niveaux de prix corrects s’était fait dans le plus grand désordre, entraînant des excès dans la direction opposée. Avec les conséquences que l’on connaît.

Guido Barthels, Portfolio Manager, ETHENEA Independent Investors SA

Bien entendu, la situation actuelle n’est pas directement comparable avec celle de 2007. Les marchés sont plus strictement réglementés, les banques et les compagnies d´assurance sont considérablement mieux capitalisées et les banques centrales ainsi que les autorités de surveillance sont davantage impliquées. Malgré tout, je ne serais pas surpris si nous assistions ces prochains mois, comme ce fut le cas au début de l’année dernière, à une correction massive sur les marchés du crédit. L’élément déclencheur peut être aussi anodin que le fameux battement d’ailes d’un papillon de la théorie du chaos de Edward N. Lorenz. La longue période de calme relatif, reflétée par les bas niveaux des indices de volatilité des marchés actions, suscite quasi invariablement la nervosité des investisseurs : ils me font penser à des personnes âgées qui se feraient réveiller en sursaut par le vent qui fait bouger les rideaux. C´est un sujet que nous avons déjà évoqué à de multiples reprises: prendre des risques doit toujours être fait en connaissance de cause afin d´éviter les erreurs inutiles.

Il m´est impossible d´achever ce commentaire sans aborder le risque de hausse des taux mentionné en introduction. Les marchés financiers ont profité des propos tenus par Mario Draghi à Sintra la dernière semaine de juin pour corriger sensiblement leurs attentes en matière de taux d’intérêt. Les rendements obligataires en euro et en dollar ont augmenté de 20 points de base sur les échéances à dix ans en l’espace de quelques jours, soit en moyenne une baisse de 1,50 point de pourcentage pour les prix. À une période où il faut se contenter de peu, cela représente un recul sensible de la performance annuelle pour de nombreux investisseurs professionnels. Bien entendu, ce ne sont là que d’infimes fluctuations mais dans le contexte d’ennui ambiant, elles suffisent à susciter l’émoi.

Mais sont-elles vraiment justifiées ? Mario Draghi a seulement énoncé ce que tout le monde sait depuis longtemps. L’Europe retrouve le chemin d’une croissance saine et l’ère des mesures non conventionnelles touche à sa fin. Il faudra cependant attendre encore quelques trimestres avant d’assister à de véritables relèvements de taux. Un écart de rendement de plus de 100 points de base entre le Bund et le taux d´inflation ne profite guère aux investisseurs dans la durée. Il est clair que dans le sillage de la normalisation des marchés monétaires, les rendements devraient aussi connaître une certaine normalisation. Aux États-Unis, la Réserve fédérale a déjà relevé ses taux directeurs à quatre reprises sans occasionner d’ondes de choc notables sur les marchés obligataires. L’élection de Donald Trump a provoqué à elle seule bien plus de fluctuations des cours. Par conséquent, les rendements européens devraient connaître une hausse modeste. Sur les marchés USD, nous demeurons plutôt optimistes et profitons de la faiblesse momentanée pour ajouter des obligations d’entreprise évaluées à leur juste valeur dans nos portefeuilles.

 

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1. La Grèce ne compte pas car le pays n’a pas officiellement fait faillite depuis l’introduction de l’euro.