De manière intéressante, il est possible de tracer certains parallèles entre l’année 2019 elle-même et la décennie écoulée.

Michael Blümke, CFA, CAIA, Senior Portfolio Manager

 

Le mois dernier a marqué non seulement la fin de l’année 2019, mais aussi celle de toute une décennie. Dans ces conditions, il est opportun de considérer le présent commentaire de marché dans un contexte temporel plus vaste.

Le début de cette décennie, tout comme celui de l’année qui vient de s’achever, a été marqué par un degré d’incertitude élevé. En 2010, juste après la crise financière, rien ne permettait de savoir si (d’un point de vue économique) le pire était déjà passé. Les marchés financiers mondiaux pansaient encore leurs plaies et les cours étaient encore loin d’avoir regagné leurs niveaux d’avant la crise. Il restait encore à voir si le retour de la croissance économique serait durable.

Le contexte était similaire au début de l’année dernière. Après les pertes accusées par la quasi-totalité des classes d’actifs en 2018 (entre autres sous l’effet de l’escalade d’un différend commercial d’envergure mondiale), rien ne portait à l’optimisme. Partout dans le monde régnait la crainte d’une fin imminente du cycle économique et le spectre de la récession qui l’accompagnerait.
Dix ans plus tôt une expérience de politique budgétaire à grande échelle, jusqu’alors inédite, avait été lancée en réaction aux crises économiques et financières. Parallèlement à des taux de refinancement historiquement faibles, les banques centrales internationales (en premier lieu la Réserve fédérale américaine) ont adopté différentes phases de mesures non conventionnelles, au moyen de nouveaux programmes d’achats d’actifs, gravant ainsi dans les mémoires une décennie de politique monétaire « ultra-accommodante ». Ces mesures ont permis non seulement de mettre un terme à la récession, mais aussi d’initier un cycle économique de longue durée et un rebond impressionnant des marchés boursiers. Au fil du temps, l’indice large MSCI World Total Return s’est adjugé 147 %, les rendements à 10 ans des bons du Trésor américain se sont repliés pour passer de 3,84% à 1,88% et ceux des Bunds sont même passés de 3,39 % à -0,18 %. À la suite de ces mesures, la taille du bilan des trois plus grandes banques centrales mondiales s’est nettement accrue.

Graphique 1 : Taille du bilan des plus grandes banques centrales, en milliards d’euros

Dix ans plus tard, il a bien été tenté de mettre progressivement un terme à cette expérience, avec pour résultat que l’économie mondiale, déjà ralentie, s’est approchée du début d’une récession. Le parallèle avec le début de la décennie devient particulièrement évident si l’on considère qu’encore une fois, l’intervention dévouée des banques centrales a permis une stabilisation durable des marchés financiers et de la croissance économique. Le changement de cap inattendu et très prononcé de la Fed en 2019, abandonnant sa politique de resserrement monétaire pour une attitude à nouveau plus conciliante, a donné le coup de départ d’un remarquable rebond soutenu par l’appétence au risque («Risk-On-Rallye»), et ce dans presque toutes les classes d’actifs. Avec un léger décalage, les fondamentaux se sont également stabilisés avant de s’améliorer. Les marchés financiers, et en particulier ceux des actions, venaient à nouveau de remplir leur fonction de précurseurs.

À nouveau, «Don’t Fight the Fed !» (en français : n’allez pas à l’encontre de la Fed) est le mot d’ordre qui a pu permettre de surmonter ces deux périodes du point de vue d’un gérant de portefeuille.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour l’année à venir ? Comment devraient se positionner les investisseurs ? D’un côté, nous savons que la position de soutien des banques centrales sera maintenue dans un avenir proche. D’un autre côté, une part non négligeable de ce dispositif monétaire est probablement déjà anticipée par le marché et intégrée dans les cours. En dépit d’une hausse au trimestre dernier, les taux à long terme s’établissent toujours à des niveaux historiquement faibles. Des deux côtés de l’Atlantique, la prime de risque des obligations d’entreprise de qualité moyenne atteint presque à nouveau ses niveaux d’avant la crise financière de 2008. De même, les valorisations des actions reposent sur des multiples de bénéfices ou de chiffres d’affaires actuels ou futurs qui se situent dans le haut de la fourchette historique. Pour autant, nous considérons qu’en marge des observations passées, ces valorisations ne sont pas mauvaises en soi. Nous ne pensons pas que des valorisations aussi « extrêmes » doivent directement donner lieu à un retour aux valeurs moyennes. Il s’agit plutôt de bien cerner les conditions-cadres actuelles et d’interroger, si nécessaire, les anciens dogmes établis lorsque l’environnement se caractérisait encore par une inflation soutenue et une croissance élevée. Cela ne signifie pas que le phénomène connu sous le nom de «retour à la moyenne» (Mean Reversion) n’aura pas du tout lieu cette fois. De plus, dans nos analyses, nous nous en remettons volontiers à la citation de Mark Twain selon laquelle «l’histoire ne se répète pas, elle rime».

Dans le contexte actuel, le défi est toutefois que la fameuse approche d’investissement constituée par les obligations d’État, presque « sans risque », n’a jamais offert des rendements aussi faibles. Il n’existe aucun fait dans l’histoire avec lequel puissent «rimer» les événements futurs.

Graphique 2 : Rendements des obligations d’État à 10 ans

C’est pourquoi il est d’autant plus important de rester également ouvert à des scénarios qui ne suivent pas nécessairement un ancien modèle connu. Compte tenu de l’environnement en constante mouvance qui, dans le doute, doit être considéré comme la nouvelle normalité, il convient de d’élaborer jusqu’à leur fin tous les scénarios possibles issus de cette rupture de modèle, ne fut-ce que mentalement. Par exemple, qu’est-ce que cela veut dire pour la politique monétaire des banques centrales, sachant que de nombreux pays développés sont déjà confrontés dès à présent à un endettement public colossal ? Tout d’abord, pas grand-chose, tant que la dette progresse moins vite que l’économie. Mais que se passe-t-il si c’est précisément l’inverse qui se produit? Que se passera-t-il, si à l’avenir la montée du populisme continue de faire grimper les dépenses actuelles au détriment d’une montagne de dettes à rembourser, sans stimulation de la croissance économique ? Sans entrer trop dans les détails, force est de constater que cet aspect, à lui seul, a des répercussions considérables, tant sur les taux que sur l’évolution des marchés financiers.

En qualité de société de gestion active, notre mission consiste ici à élaborer des scénarios à court et à long terme et à évaluer leurs conséquences pour les différentes classes d’actifs. Lors de la définition des probabilités subjectives de réalisation de ces scénarios, il convient de prendre garde à ne pas tomber dans les pièges inhérents à l’économie comportementale. Notre perspective positive est-elle due uniquement au fait que l’année écoulée a été favorable (effet d’ancrage), ou bien donnons-nous un tour positif aux théories en y recherchant des éléments qui nous confortent dans cette opinion (biais de confirmation)?

Pour la nouvelle année, qui coïncide avec le début d’une nouvelle décennie, notre scénario principal est relativement positif. Nous sommes parfaitement conscients des risques, qui, à n’en pas douter, sont très nombreux. Néanmoins, nous avons la conviction que les risques s’accompagnent toujours d’opportunités. Dans l’hypothèse où, par exemple, les taux devraient encore baisser (ce que nous supposons à plus long terme), les actions disposeraient encore d’un potentiel haussier en termes de valorisation. L’ampleur de ce potentiel, nous le découvrirons au fil de cette nouvelle année (décennie).

 

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