Il est 100% certain que la Fed va réduire sa fourchette de taux directeurs cette semaine. La banque centrale a tellement préparé le terrain en ce sens qu’on n’imagine pas qu’elle se déjuge. Pourtant on ne peut manquer de se demander: qu’est-ce qui explique au juste cet assouplissement monétaire? Bien des motifs ont été avancés : risque de récession, débâcle boursière, guerre commerciale à outrance, accident budgétaire, affaissement du marché du travail, décrochage de l’inflation anticipée. Aucun de ces risques ne s’est intensifié au cours des deux derniers mois, tout au contraire.

Par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

US : anticipations des taux monétaires

Il est assez comique de penser que la Fed, qui a renoncé l’été dernier à utiliser la forward guidance pour piloter les anticipations de politique monétaire à moyen terme (discours de Jerome Powell à Jackson Hole en août 2018), s’attache maintenant à micro-manager ces anticipations à l’horizon de quelques jours. La semaine passée, après un discours du président de la Fed de New York, où le marché avait vu le signal que la baisse des taux pourrait être de 50bp, un porte-parole de l’institution a vite dû corriger le tir. Quant au porte-parole officieux de la Fed, Nick Timiraos, le Fed watcher du Wall Street Journal, il a pris soin d’écrire que la baisse serait de 25bp. Va donc pour 25bp. Plus une option pour suivre le mouvement dans les prochains mois. C’est la vue reflétée par les contrats futures sur les taux courts (graphe).

Pourquoi cette baisse de taux? La réponse standard est qu’il s’agit d’une assurance pour se protéger au cas où certains risques viendraient à se produire, citons par exemple une récession, un défaut sur la dette fédérale ou un shutdown, l’intensification des tensions commerciales avec la Chine, la chute des anticipations d’inflation, un krach boursier, etc. En somme, un monde plus incertain appellerait une politique plus accommodante. Soit… mais ces dernières semaines, ces risques se sont atténués, non pas intensifiés, et certains ont disparu.

US : dollar contre panier et contre euro

Le parallèle est fait parfois avec les baisses de taux de 1995 ou 1998 mais ce n’est pas entièrement convaincant non plus. À l’époque, les taux réels étaient plus hauts qu’aujourd’hui et les conditions financières plus resserrées. Quant à l’idée avancée par Donald Trump qu’une baisse des taux permettrait de répondre à la « guerre monétaire » pratiquée par les autres pays, on doute qu’elle séduise grand monde au FOMC, a) car elle vient de Trump, b) car elle repose sur des prémisses erronées. De surcroît, c’est parce que la Fed a changé la direction de sa politique de taux (hausse, puis statu quo, puis maintenant baisse) que nombre de banques centrales ont d’ores et déjà ajusté leur plan ou baissé leur taux. Le pivot de la Fed n’a donc pas à ce jour vraiment pesé sur le dollar (graphe).

Politique budgétaire

C’est chaque fois la même histoire quand le plafond de la dette fédérale a été atteint (c’était en mars dernier, à 22 trillions). Le Trésor passe alors quelques mois à tirer sur ses réserves de liquidité, puis pour éviter qu’il fasse défaut sur sa dette (cela aurait pu arriver en septembre), le Congrès remonte ou suspend le plafond. C’est ce qui s’est passé le 23 juillet: la Maison Blanche et les responsables du Congrès ont avalisé l’accord négocié entre Steven Mnuchin, Secrétaire au Trésor, et Nancy Pelosi, Speaker de la Chambre. La ratification doit intervenir sous peu, avant la pause estivale. Au terme de cet accord, le plafond de la dette est suspendu pour deux ans. De toute évidence, aucun des partis ne voulait risquer d’avoir à mener une bataille budgétaire au beau milieu de la campagne électorale.

Les coupes automatiques de dépenses qui étaient prévues à partir d’octobre au titre du Budget Act Control de 2011 sont également oubliées, ce qui ouvre la voie à une hausse des dépenses fédérales de 320Md$ sur les années fiscale 2019 et 2020. Une partie concernera la défense, ce qui plaît au président Trump; l’autre les dépenses discrétionnaires, ce qui satisfait les Démocrates. Une fois passé l’accord général, il restera au Congrès à voter une douzaine de lois spécifiques sinon il y aurait un government shutdown. Le risque paraît minime, compte tenu du souvenir laissé par le dernier épisode de ce type. On avait perdu l’habitude de ce genre d’accord bipartisan, où chaque accepte fait des concessions car il y gagne quelque chose. Dans le cas présent, l’entente se fait sur le dos des futurs contribuables. Il est désormais avéré que plus personne au Congrès ne défend la ligne de la rectitude budgétaire. C’est pourtant ainsi que jadis les Républicains aimaient se présenter même si, en pratique, ils ont souvent davantage contribué à creuser les déficits (Reagan, Bush Jr) que les Démocrates (Clinton, Obama).

A suivre cette semaine

La réunion du FOMC le 31 juillet passerait presque pour un non-événement tant son issue a été préparée (voir ci-dessus). Il sera toutefois intéressant de voir si le FOMC considère que l’assouplissement se réduit à cette seule baisse de taux, ou si d’autres pourraient suivre d’ici la fin de l’année.

Il y a deux autres points forts au calendrier: l’indice ISM-manufacturier le 1er août et le rapport mensuel sur le marché du travail le 2 août. Compte tenu des données régionales déjà disponibles et de l’enquête PMI, il y a plutôt un risque baissier pour l’indice ISM-manufacturier qui était à 51.7 pts en juin. Les créations d’emploi ont fait du yo-yo depuis le début de l’année, et notamment les derniers mois (chute de 216k à 72k puis rebond à 224k). Le consensus attend un résultat à peu près sur la moyenne des trois derniers mois, à 155k. Cela prolongerait le ralentissement amorcé l’an passé mais serait suffisant pour maintenir la pression baissière sur le taux de chômage (attendu à 3.6%).

 

Sources : Bloomberg, Oddo BHF Securities