Pour sa quatrième réunion à la file, le FOMC poursuivra la semaine prochaine le resserrement de la politique monétaire. Une hausse des taux de 75bp est attendue, un rythme sans égal dans l’histoire de la Fed post-Volcker, plus rapide qu’en 1994. En agissant ainsi, la Fed veut corriger l’erreur qu’elle a commise en sous-estimant l’ampleur et la durée du choc d’inflation. En 2021, la Fed a donné trop de poids son objectif de plein-emploi, pas assez à son objectif de stabilité des prix. On peut se demander si elle ne commet pas aujourd’hui une erreur symétrique. D’ici peu, l’inflation pourrait amorcer son repli, juste quand le chômage se redressera.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

2022.07.25.Prévisions de croissance
US : prévisions de croissance (consensus)

Depuis la dernière réunion du FOMC, le 15 juin, le rythme de hausse des prix a accéléré pour toutes les grandes catégories de dépenses, énergie, alimentation, biens et services.Sur le marché du travail, les gains salariaux tendent à plafonner à un haut niveau et les entreprises continuent de manquer de bras. Rien, à première vue, qui puisse rassurer la Fed. Certains signes pourtant pointent dans le sens de la prudence. Depuis un mois, les données montrent une dégradation rapide des conditions d’activité. Les indices de climat des affaires (calibrés sur l’échelle ISM de 0 à 100) dépassaient 60 points en 2021, étaient entre 60 et 55pts au T1 2022 et pointent désormais entre 55 et 50pts, tout près du seuil critique d’entrée en récession. La construction résidentielle en particulier connaît un coup de frein brutal. Avec l’invasion de l’Ukraine qui a fait monter le degré d’incertitude globale, les prévisions de croissance ont été abaissées, très nettement ces dernières semaines (graphe). Pour 2023, la prévision médiane avoisine 1%, ce qui est compatible avec une contraction modeste de l’activité dans les prochains trimestres. Au S1 2022, la demande intérieure finale a augmenté (le PIB a sans doute baissé)(1) mais entame le S2 sans vigueur. Un peu plus de faiblesse, et le marché du travail risque de se retourner.

2022.07.25.Prix de l'esssence et politique de la FED
US : prix de l’essence et politique de la Fed

Ayant sous-estimé la durée et l’ampleur du choc d’inflation en 2021, il a fallu que la Fed démontre qu’elle n’avait pas oublié son mandat de stabilité des prix. Pour les ménages, les prix de l’énergie sont le signe le plus visible de ce choc et le déterminant principal de leurs vues sur l’inflation future. La Fed a amplifié le resserrement monétaire en phase avec les prix de l’essence (graphe). Ce n’est sûrement pas un hasard. Depuis que les prix de l’essence se replient, les ménages ont abaissé leurs « anticipations » d’inflation à moyen terme. C’est exactement ce qui est visé par la banque centrale. Pour la prochaine réunion du FOMC, les jeux sont faits semble-t-il (+75bp anticipé) mais pour les suivantes, la Fed devrait ralentir le rythme de hausse de taux. Vu les délais de transmission de la politique monétaire à l’économie, il ne sert à rien de trop relever les taux directeurs en 2022, si c’est pour les couper à nouveau en 2023.

Economie

En juin, le taux d’inflation a accéléré de 8.6% à 9.1% sur un an, nouveau record dans ce cycle. En partie, c’est dû au net rebond des prix de l’énergie (+7.5% m/m), mais ce n’est pas l’aspect le plus déplaisant de ce résultat. Depuis six semaines, le prix de l’essence a en effet reculé en moyenne de 10%, ce qui devrait effacer une large partie du rebond dès juillet. Pour le reste, l’accélération vient des éléments sous-jacents (+0.7% m/m vs +0.5% sur les trois mois d’avant), tant du côté des biens que des services. La Fed ne peut que conclure que la politique monétaire n’est pas assez resserrée. En contrepoint, soulignons que selon l’estimation flash de l’Université du Michigan, les anticipations d’inflation des ménages à 5-10 ans ont reculé de 3.1% à 2.8%. C’est leur plus bas niveau depuis juillet 2021, le taux d’inflation était alors de 5.4%. A force d’entendre qu’une récession est imminente, sinon déjà enclenchée, les consommateurs doivent se dire que les tensions de prix ne peuvent que se calmer.

Concernant les données « dures » d’activité, de dépenses et d’emploi, les derniers résultats sont mitigés (tableau). Les créations d’emploi sont restées dynamiques en juin, avec des gains dans la plupart des secteurs. Les ventes au détail réelles (corrigées de l’effet-prix) plafonnent, de même que la production industrielle. La construction résidentielle connaît un fort retournement, cumulant des difficultés du côté de la demande (hausse des taux hypothécaires) et du côté de l’offre (hausse des prix des matériaux). La correction immobilière est amenée à s’amplifier si l’on
en croit la chute de la confiance des constructeurs. En juillet, l’indice NAHB a perdu 12 points, après un recul cumulé de 17pts sur les six mois précédents.

2022.07.25.Economie Juin

Le Livre Beige de la Fed (clos à la date du 13 juillet) note que l’activité économique progresse à un rythme modeste, mais un nombre croissant de districts signalent une modération de la consommation des ménages ou un risque accru de récession. Le marché du travail est toujours jugé tendu mais avec des signes de modération de la demande de travailleurs. Il y a peu de mentions de licenciements à ce stade. Les nouvelles inscriptions au chômage, quoique toujours basses, sont désormais en hausse depuis près de trois mois (graphe à l’annexe 1).

Politique monétaire et budgétaire

Malgré la surprise haussière sur l’inflation (supra), les dernières déclarations venant de la Fed avant la période de silence pré-FOMC n’ont pas cherché à pousser les marchés à revoir leurs attentes de hausse de taux de 75bp à 100bp. Christopher Waller (Board) comme James Bullard (Fed de St. Louis), tous deux classés parmi les plus « faucons », soutiennent une hausse de 75bp. Somme toute, si tel est le cas, le resserrement se monterait à 225bp en seulement quatre mois, du jamais vu. En 1994, la hausse cumulée de 300bp avait été étalée sur un an. Comme les hausses vont se poursuivre après l’été, les fonds fédéraux seront au-dessus de la zone de neutralité estimée entre 2 et 3% avant la fin de l’année. Il est difficile de douter que la Fed a pour priorité absolue de calmer la surchauffe, quitte à prendre le risque d’une récession. Elle n’a nul besoin d’amplifier encore le rythme du resserrement. Après tout, si la Fed juge utile de piloter les attentes des marchés, elle ne peut se permettre de surréagir à chaque fois qu’une chiffre dévie un peu des attentes.

Le contexte de forte inflation a aussi des répercussions dans le champ budgétaire. Joe Manchin, le sénateur de Virginie occidentale, qui avait conduit à l’abandon du plan Build Back Better fin 2021 continue de s’opposer à tout projet d’envergure (dernièrement le plan climat de Joe Biden) par crainte que cela amplifie l’inflation. Ce n’est pas du meilleur effet pour les Démocrates à l’approche des mid-terms.

A suivre cette semaine

Outre la réunion du FOMC du 27 juillet, le calendrier est chargé: l’enquête du Conference Board sur la confiance des ménages et les ventes de maisons neuves (26), la balance commerciale et les commandes de biens durables (27). De quoi affiner la première estimation du PIB réel au T2 (28). Le nowcast de la Fed d’Atlanta qui est l’outil répliquant au plus près les comptes nationaux prévoit une contraction de 1.6% t/t en rythme annualisé, dont 2.5pt de contribution négative des inventaires.

(1) Vu les bizarreries affectant la mesure du PIB, la demande intérieure finale est un meilleur proxy du cycle.

Sources : Thomson Reuters, Bloomberg, Oddo BHF Securities