Depuis six mois, la Fed se disait "patiente", c’est-à-dire résolue à ne pas changer sa politique monétaire. Cette expression a disparu des propos récents de Jerome Powell et de ses collègues. Même si l’économie US reste solide, elle fait face à des risques baissiers, surtout à cause des initiatives tarifaires extravagantes de l’administration Trump. Le Mexique a pour un temps pris la place de la Chine en haut de la liste des pays à punir. Comme la Fed a une mission de stabilisation macroéconomique, elle envisage désormais à contrecoeur de baisser ses taux, mais sans doute pas au rythme agressif voulu par les marchés.

Par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

US: anticipations de baisse des taux de la Fed

Selon les contrats forward sur les taux monétaires US, la Fed est supposée couper ses taux de manière très agressive d’ici la fin de l’année, pour un montant compris entre 75 et 100bp (graphe). Cela amène à s’interroger sur les motivations que peut avoir la banque centrale à baisser ses taux. L’histoire en distingue deux types.

• Le premier type est la réaction cyclique usuelle comme en 1990/91, 2000/01 ou 2007/09. Quand la Fed constate une dégradation forte et rapide des données macro, autrement dit quand l’économie se dirige tout droit vers la récession, il est de son devoir d’assouplir sa politique. La baisse est alors massive et durable.

• Le deuxième type est la baisse de taux assurancielle comme en 1995/96 (post krach obligataire de 1994), 1998 (faillite de LTCM) ou 2002/03 (crise de corporate governance). Cela répond à une anxiété des marchés financiers qu’on ne veut pas voir s’amplifier. L’économie réelle n’est pas vraiment affectée. La baisse est alors en général de faible amplitude et corrigée sans grand délai.

Où se situe-t-on?

US: indice d’incertitude de politique économique

A première vue, dans aucun de ces deux cas chimiquement purs. L’économie US n’a pas aujourd’hui les caractéristiques d’une économie pré-récessive. Les conditions financières ne viennent pas de resserrer brutalement. Il n’y a ni crise de liquidité, ni effondrement des indices boursiers, ni explosion des spreads de crédit.

Le cas actuel est singulier à double titre. D’une part, la guerre tarifaire est à l’origine de poussées d’incertitude soudaines (graphe). D’autre part, la Fed n’est pas satisfaite de l’efficacité de sa stratégie monétaire car elle constate que cela n’a pas ramené l’inflation vers sa cible. Ces deux problèmes – les soubresauts de la politique commerciale US et la faiblesse chronique de l’inflation – vont pencher la balance vers une politique monétaire plus assouplie. Comment? Les marchés ont fait leur choix, celui d’une baisse de taux préventive et agressive. On doute que la Fed soit sur cette ligne. Les derniers commentaires, notamment ceux de Jerome Powell, entrouvrent la porte à une baisse des taux mais sans témoigner d’une volonté de taper vite et fort.

La conférence de la Fed de Chicago sur la stratégie monétaire (interventions de Powell et Clarida les 4-5 juin) a d’ailleurs été l’occasion de rappeler l’importance d’être crédible sur l’objectif d’inflation. La cible actuelle de 2% n’est pas censée être un plafond mais une moyenne de cycle. La Fed est en retrait de ce niveau. Par suite, la nouvelle poussée d’incertitude a accentué les anticipations de baisse des taux. Selon les contrats forward, la probabilité d’une baisse de taux à la réunion du 31 juillet est passée de 24% le 29 mai à 48% le 31 mai et à 67% le 6 juin.

A suivre cette semaine

Paraîtront les rapports d’inflation du mois de mai, le 11 juin pour les prix à la production et le 12 pour les prix à la consommation. Du fait d’un effet de base, l’inflation CPI est attendue en léger recul à 1.9% sur un an (vs 2%), l’inflation sous-jacente restant stable à 2.1%. Il est trop tôt pour que les dernières hausses de droits de douanes soit perceptible dans les données de prix. A suivre aussi les premières données d’activité le 14. Les ventes au détail devraient rebondir (+0.6%) en ligne avec le fort rebond des ventes de véhicule (+5.9%). Les attentes sont plus mesurées concernant la production industrielle, qui est sur une tendance légèrement baissière depuis le début de l’année (+0.2% attendu en mai).

 

Sources : Thomson Reuters, Bloomberg, Oddo BHF Securities