Même si l’économie s’est grandement adaptée à la crise sanitaire, les perspectives immédiates restent à la merci des restrictions à la mobilité et à l’activité. A peine le deuxième confinement terminé (remplacé par un couvre-feu) qu’il n’est question que d’un troisième. Le cafouillage du gouvernement à ce sujet est ahurissant. Les ministres se contredisent entre eux, le président fait savoir qu’il est agacé des déclarations de ses propres experts médicaux, la presse relaie à qui mieux mieux toutes les rumeurs. Le climat des affaires résiste bien mais cette crise sanitaire qui n’en finit pas pèse sur le moral des ménages. Ce sont aussi de futurs électeurs…

Focus France par Bruno Cavalier, Chef Economiste 

 

L’économie

France : comptes nationaux

Comme c’est le cas depuis près d’un an, les conditions économiques restent avant tout déterminées par la crise sanitaire et les restrictions associées. Plus de restriction implique moins d’activité, et vice versa. Le signe de la relation restrictions/activité est stable, l’élasticité ne l’est pas. Au T4, période durant laquelle la France était confinée pendant six semaines, puis soumise à un couvre-feu, le PIB réel a logiquement baissé, mais la contraction était assez modeste, à -1.3% t/t. C’est dix fois moins qu’au T2 (tableau). Pour l’essentiel, cela s’explique par le choc frappant la consommation des ménages, un grand nombre de commerces étant fermés par décision administrative et beaucoup de services étant inaccessibles. A la différence du printemps, il est notable que les dépenses en investissement ont continué de se redresser.

Ces écarts entre deux périodes de confinement s’expliquent d’abord par la différence de sévérité dans les mesures adoptées. Ensuite, les agents ont ajusté leurs comportements d’offre et de demande à des contraintes sanitaires qui se prolongent plus longtemps qu’il n’était imaginable au début de la pandémie. Les enquêtes de la Banque de France et de l’INSEE montrent que le choc est désormais bien plus concentré sur un petit nombre de secteurs que ce n’était le cas au printemps. Enfin, il est clair que les mesures de soutien en vue d’amortir le choc des restrictions (chômage partiel, garanties de prêt, aides directes aux secteurs en difficulté) sont efficaces et bienvenues.

France : confiance et dépenses des ménages

A l’heure actuelle, leur coût est un problème de deuxième ordre. Au total, la baisse de l’emploi est minime (-1.9% environ) en comparaison du choc sur le PIB. Le revenu des ménages ayant été largement protégé, les confinements ont pour effet de reporter les dépenses, non de les annuler. Dès l’assouplissement des restrictions sanitaires, le rattrapage est très vif. A ce stade, cela ne profite qu’au secteur des biens, mais quand la crise sanitaire sera surmontée (patience…), on peut présumer que le même phénomène se produira au bénéfice des secteurs où il est difficile d’imposer une distanciation physique (voyages, restaurations, loisirs). En tout état de cause, il y a un écart entre les dépenses des ménages et leur moral. C’était déjà le cas lors de la crise des « gilets jaunes ». Par sa longueur, la crise sanitaire fait ici peser un risque plus grand pour l’économie

La crise sanitaire

Le 14 janvier, le Premier ministre a annoncé l’extension du couvre-feu à partir de 18h (au lieu de 20h) à l’ensemble du territoire national pour une durée d’au moins quinze jours. C’était le moins restrictif des trois scénarios qui étaient en discussion, les deux autres prévoyant un nouveau confinement, soit limité au week-end, soit sur l’ensemble de la semaine (Voir Focus-France du 14 janvier : « Dans le brouillard de l’épidémie »).

Toutefois, cette décision était à peine annoncée qu’on entendait bruire les rumeurs au sujet du prochain tour de vis sanitaire. (Soit dit en passant, cela a fait oublier la lenteur de la campagne de vaccination). La presse était pleine des déclarations de virologues appelant à un confinement immédiat, si possible sévère, et annonçait une intervention TV du président Macron le 27 janvier afin d’officialiser la décision. Un confinement imminent étant présenté comme inéluctable, le débat ne portant plus que sur sa sévérité. L’une des questions les plus difficiles concerne l’ouverture des écoles et lycées. Avec plus de douze millions d’élèves, la perturbation de la vie quotidienne et, partant, de l’activité varie beaucoup selon la modalité retenue. Lors du premier confinement à partir du 17 mars, les écoles ont été fermées pendant trois mois. Dans le deuxième confinement à partir du 30 octobre, elles sont restées ouvertes. Entre les deux épisodes, les pertes d’heures de travail ont été réduites de près de 70% (tableau). En général, la fermeture des écoles est vue en France comme la mesure ultime.

Si tel était le plan initial, on ne peut que constater qu’il a été modifié en cours de route. Plusieurs raisons sont avancées. Tout d’abord, si les virologues sont des fanatiques du confinement, d’autres parties prenantes ont en tête les coûts associés, touchant à l’économie, l’emploi, le budget public, le système éducatif, la situation sociale et politique. L’arbitrage est délicat et fait nécessairement des mécontents. Diverses enquêtes signalent que l’opinion publique est de moins en moins disposée à suivre des restrictions, sans cesse changeantes et dont l’utilité n’est pas toujours prouvée. Le retour d’expérience sur les effets du couvre-feu national n’est même pas connu avec précision. De plus, divers indicateurs relatifs à l’épidémie sont loin des cotes d’alerte du printemps ou de l’automne. Le contre-argument est qu’il faut cette fois anticiper. L’option d’un confinement reste sérieusement envisagée, selon diverses modalités de sévérité. La décision semble-t-il est repoussée de quelques jours. D’ici là, la machine à rumeurs va tourner à plein régime.

La situation politique

La pandémie a de quoi rebattre totalement les cartes au plan politique. Les Etats-Unis en ont été un bon exemple l’an dernier. Qu’en est-il de la France? L’agenda électoral prévoit des élections régionales en juin 2021, repoussées déjà de trois mois, puis les élections présidentielles d’avril-mai 2022. On est à quinze mois de l’élection-phare, la seule qui intéresse les Français. Quel était la situation à quinze mois des élections précédente?

Pour 2002, nul n’aurait prédit que Jacque Chirac, alors moqué comme « super-menteur », serait réélu avec 80% des voix face à Jean-Marie Le Pen. Pour 2007, nul ne s’attendait à ce que Ségolène Royal gagne la primaire socialiste et sot en finale face à Nicolas Sarkozy. Pour 2012, nul n’aurait imaginé les déboires ancillaires du favori Dominique Strauss-Kahn, ouvrant la voie au retour improbable de François Hollande, et à sa victoire finale. Pour 2017, à quinze mois de l’échéance, le nom d’Emmanuel Macron était quasi inconnu du public, et à trois mois, la victoire semblait assurée au candidat de droite François Fillon. Tout cela pour dire qu’on peine à prendre avec beaucoup de sérieux les sondages actuels sur le sujet. L’avis que les Français auront sur la crise sanitaire et la crise économique va sans doute beaucoup changer d’ici 2022. De plus, à gauche, à droite, au milieu, et même hors du cercle des politiciens professionnels, la liste des prétendants à la présidence est longue et la sélection n’aura lieu que vers la fin de cette année ou au début 2022.

Cela dit, un sondage récent a retenu l’attention. Il prédit un duel Macron vs Le Pen, ce qui paraît en effet à ce jour un scénario probable. Il prédit aussi un score à 52% vs 48%, dans la marge d’erreur usuelle. Rappelons qu’en 2017, le score final avait été de 66% vs 34%, soit un écart de plus de 10 millions de voix. Marine Le Pen est assurément vue comme la principale opposante à Macron. Elle contrôle son parti et fait des efforts évidents pour faire oublier son débat raté de 2017. De son côté, Macron est exposé aux critiques. A défaut de prédire l’issue du match, juste un rappel sur l’arithmétique du vote. Si la participation est basse, il y aura 30 millions de suffrages exprimés; si elle est normale, il y en aura au moins 35. Pour gagner, Marine Le Pen devrait donc obtenir entre 5 et 7.5 millions de voix de plus qu’en 2017. Objectivement, cela met la barre à un niveau très haut.

 

Sources : INSEE, Oddo BHF Securities